DECRYPTAGE. Monde arabe : révolution ou contre-révolution ?

Créé le 25-10-2011 à 12h10 - Mis à jour à 15h45      13 réactions

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Par Le Nouvel Observateur

Les résultats du Printemps arabe risquent fort de ne pas être ceux qu’attendaient les manifestants. Par René Backmann.

Un Libyen faisant le V de la victoire après la mort de Mouammar Kadhafi. (Francois Mori/AP/SIPA)

Un Libyen faisant le V de la victoire après la mort de Mouammar Kadhafi. (Francois Mori/AP/SIPA)
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Les révolutions qui se sont succédé, depuis le début de l’année dans le monde arabe, sont-elles déjà devenues des contre-révolutions ? Bien avant que le Conseil national de transition libyen n’ait annoncé que la charia devait être "la source de la législation" du nouveau régime, deux experts, excellents connaisseurs du monde arabe avaient déjà soulevé cette question dans un article de la "New York Review of Books", du 29 septembre.

Examinant les conditions dans lesquelles les différentes révoltes se sont déclenchées et la manière dont elles ont évolué, Hussein Agha, chercheur au St Anthony’s College d’Oxford, et Robert Malley, directeur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à International Crisis Group, constatent que ces mouvements ont, à l’origine, au moins trois points communs : ils ne sont structurés par aucune organisation, ils n’ont pas de leader, ils n’ont pas de programme clair.

Ces révoltes, estiment-ils, ressemblent moins aux révolutions de 1848 en Europe ou au séisme qui a suivi en 1989, la chute du mur, dans le monde communiste qu’aux changements de régime qui se sont succédé dans le monde arabe dans les années cinquante et soixante.

Vaincre l’illégitimité, la corruption, l’incompétence

Gamal Abdel Nasser (à droite) et Anwar al-Sadat déjeunant au Caire en août 1952, après le coup d'Etat qui a fait tomber le roi Farouk 1er
Gamal Abdel Nasser (à droite) et Anwar al-Sadat déjeunant au Caire en août 1952, après le coup d'Etat qui a fait tomber le roi Farouk 1er en juillet. (AFP)


De l’irruption au pouvoir de Nasser en Egypte, à celle de Kadhafi en Libye, en passant par l’instauration des régimes baasistes en Irak et en Série, celle d’un régime "socialiste" au Yemen ou le combat du FLN en Algérie, ces révolutions arabes avaient en commun, selon Agha et Malley, des aspirations démocratiques et émancipatrices.

Ceux qui les incarnaient promettaient de mettre fin à l’illégitimité, à l’incompétence, à la corruption, au népotisme des pouvoirs en place. Ils s’engageaient à en finir aussi avec la distribution inéquitable des richesses, la concentration des pouvoirs entre les mains d’élites parasites. Ils juraient de délivrer leurs peuples du joug colonial. Leurs slogans glorifiaient l’indépendance, l’unité arabe, la liberté, la dignité, le socialisme. Les militaires, dans nombre de ces mouvements, jouaient le rôle de l’avant-garde, guidant le peuple vers un avenir prometteur.

Mis à part le "socialisme" inspiré par l’Union soviétique, dont l’échec n’est plus à démontrer et l’unité arabe, plus introuvable que jamais, ce sont souvent les mêmes aspirations qui habitent les protestataires d’aujourd’hui. Pourquoi ?

Une région en équilibre précaire

Parce que ces "révolutions" qui se voulaient modernistes ont rapidement perdu de vue leurs objectifs proclamés pour se muer en dictatures corrompues et prédatrices – parfois même héréditaires – uniquement préoccupées par l’obsession de conserver le pouvoir. Obsession qui s’est traduite, de Tunis à Damas, par le règne des polices politiques, la liquidation ou la mise à l’écart des opposants, la manipulation du clanisme ou des communautarismes, l’instauration du clientélisme.

Brejnev et Hafez el-Assad en 1974
Brejnev et Hafez el-Assad en 1974 à Moscou (ROSENTHAL/SIPA)

En fait, écrivent Agha et Malley, ce sont des révolutions destinées à abattre ces révolutions dévoyées qui se déroulent aujourd’hui sous des formes diverses dans le Monde arabe.

Avec les mêmes risques. Plus quelques autres.

Les auteurs, par exemple, ne cachent pas leur inquiétude face au danger de déstabilisation qui menace cette région en équilibre précaire. L’Iran, se demandent-ils, ne risque-t-il pas de chercher une compensation à l’éventuelle perte de son allié syrien en accroissant son influence en Irak, au prix d’une dislocation possible de ce pays ? Aujourd’hui allié de l’Arabie saoudite, le Bahrein peut-il demain, si la majorité chiite de sa population accède à une expression politique représentative, se tourner vers Téhéran ?

La Turquie, qui a des frontières communes avec la Syrie, l’Irak et l’Iran, et cherche à retrouver son rôle de grande puissance régionale sortira-t-elle affaiblie ou renforcée de cette crise ? Les nouveaux régimes qui s’installent – ou s’installeront – demain sauront-ils affronter les risques de fragmentation tribale, ethnique, communautaire, voire de guerre civile, comme au Yemen ou – on peut le craindre – en Syrie ?

Mouammar Kadhafi en 1969
Le colonel Mouammar Kadhafi prononce un discours le 27 septembre 1969 à Tripoli, après le coup d'Etat militaire. (AFP)

Les militaires et les islamistes sont les vainqueurs

Les résultats du Printemps arabe, redoutent Agha et Malley risquent fort de ne pas être ceux qu’attendaient les acteurs des manifestations.

Deux forces puissantes semblent déjà en mesure de confisquer la victoire des peuples : les militaires et les islamistes. Les premiers peuvent invoquer leur rôle dans la chute du régime déchu comme en Libye, ou la nécessité d’éviter la dislocation éventuelle du pays comme au Yemen ou en Syrie, pour s’emparer du pouvoir. Ils peuvent aussi, comme en Egypte, choisir un rôle plus habile et discret de "facilitateurs" en demeurant dans l’ombre pour diriger le pays sans paraître le diriger.

Les seconds ont visiblement compris que si ces révolutions n’ont pas été faites en leur nom, l’heure est venue pour eux d’agir. Et d’en tirer tout le bénéfice possible. En utilisant au mieux leurs atouts – capacité d’organisation, art du compromis – pour occuper la scène politique, comme en Libye ou en Tunisie, ou pour influencer discrètement ceux qui gouvernent en insistant moins sur la loi islamique que sur leur attachement aux principes de la "bonne gouvernance". Le tout, en affrontant, au sein de leur propre camp, les critiques et l’action souterraine ou non des salafistes

L’avenir proche, dans le monde arabe, sera sans doute déterminé, selon Agha et Malley au terme d’un débat politique entre les militaires, les islamistes et les restes des régimes déchus. Dans cette hypothèse, la victoire de protestataires du printemps est très peu probable. Et l’occident risque fort de se réveiller demain avec un monde arabe dont les régimes et les chefs seront plus représentatifs et plus légitimes que leurs prédécesseurs sans être pour autant plus compréhensifs et plus amicaux.

René Backmann - Le Nouvel Observateur

 

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Par Le Nouvel Observateur
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Bernard Delloue

Bernard Delloue a posté le 26-10-2011 à 09:30

La confiscation des aspirations du peuple
Le parasitisme politico-religieux a frappé une fois de plus. Ceux qui ont exposé leur vie pour des idéaux comme liberté, indépendance, laïcité, égalité pour toutes et pour tous, modernité, droit des peuples à assurer leur propre destin, se retrouvent dépossédés de ces aspirations, par un vote qui est apparemment démocratique. Mais les pressions de conformité des plus conservateurs, imposent une fois de plus leur loi. Vouloir s'émanciper des carcans et des tabous n'est que le fait d'une minorité éclairée, toujours en bute à ceux qui après le despotisme des tyrans, se réfugient dans le conformisme d'une croyance qui confine leurs libertés aux espaces délimités par les dogmes et les instances religieuses. L'émancipation des tutelles de quelque ordre qu'elles soient, demande une préparation mentale, une capacité à gagner son autonomie, qui doivent être cultivées pour leur permettre de se réaliser, A défaut de ce changement d'état, c'est le retour aux mêmes schémas de dépendance, voire de soumission qui font toujours le lit des puissances en embuscade pour s'emparer par quelques manipulations, du pouvoir. Il fallait voir les islamistes faire campagne, les femmes déjà emmitouflées et une journaliste être victime des intimidations de ceux qui lui demandaient de ne pas interviewer les passants sur un marché, au prétexte que cela les importunait. La mise en condition était déjà en place.

Lucien Petri

Lucien Petri a posté le 26-10-2011 à 10:48

Mais cher Monsieur ce sont les mêmes qui ont voté selon les racines religieuses de leur identité nationale et arabe? En quoi seraient-ils volés? Les tunisiens du monde ont voté à 50% pour ce parti musulman..et pourtant ils n'ont pas fait cette révolution, mais connaissent la perversité de l'occident et leur croisade permanente à leur égard, à l'égard de leur religion. Vous ne connaissez rien à ces pays, à cette religions toutes choses que vous regardez au travers du prisme déformant de la laicité militante de l'exception mondiale française et de la culture occidetale partout en échec quand elle veut s'imposer dans les 85% du monde non occidental.

Lucien Petri

Lucien Petri a posté le 25-10-2011 à 18:22

Je trouve curieux ce titre qui nie la réalité de l'expression populaire. Je trouve curieux ce titre très en ligne avec le disours de Dakar, très impérialiste, très néo colonial : "ils ne savent pas ce qu'ils font, il leur manque la main mise de l'occident".En France nous avons élu Sarkosy ....la cata! En quoi pouvons nous juger avec un œil de l'occident impérialiste leur choix démocratique? Pourquoi condamner dès le début par " à priori" de droite ou islamiste rime avec intégriste et attentats? Pourquoi toujours penser que l'occident ,15% du monde, détient la vérité universelle et que sa démocratie est exemplaire alors qu'aujourd'hui nous vivons sous la dictature du marché et de la finance???. Pourquoi donc les manifestants seraient-ils déçus puisque c'est eux qui ont voté??? Qui nous a demandé de penser pour eux? Notre passé colonial? Je trouve que le nouvelobs tire de plus en plus ves la droite...

armand selig

armand selig a posté le 19-11-2011 à 18:04

« « Pourquoi condamner dès le début par " à priori" de droite ou islamiste rime avec intégriste et attentats? » »
--->Ce n’est nullement un a priori. Nous faisons en Europe, un constat empirique : tous les attentats ou actions violentes entraînant des morts par centaines sont revendiqués par un islam intégriste ou terroriste, une infime minorité. Mais la grande majorité, elle, dite modérée, reste silencieuse, constamment. On ne peut que croire ce qu’on voit...

« « Pourquoi toujours penser que l'occident ,15% du monde, détient la vérité universelle et que sa démocratie est exemplaire alors qu'aujourd'hui nous vivons sous la dictature du marché et de la finance???. » »

---> Nous vivons sous la dictature du marché, oui, mais elle semble assez préférable aux autres pour que l’Europe et la France soit ardemment préférée par ceux qui, en Orient, goûtent à leurs dictatures spécifiques...

« « Pourquoi donc les manifestants seraient-ils déçus puisque c'est eux qui ont voté??? Qui nous a demandé de penser pour eux? Notre passé colonial? » »

---> Notre passé colonial n’a rien à voir avec le vote dont parle l’article de Mr Backmann.
S’il devait intervenir de façon positive, c’est moins pour nous culpabiliser, - hum, que c’est bon, l’autoflagellation - que pour nous créditer, au moins, d’une certaine expérience , d’un certain recul...

Jo Tape

Jo Tape a posté le 25-10-2011 à 17:23

Ceci: "Les résultats du Printemps arabe risquent fort de ne pas être ceux qu’attendaient les manifestants. " me paraît d'une naïveté incroyable ! Il est évident que ce qu'on a appellé des "révvolutions" ne seront au final que des redistributions de pouvoirs à des oligarchies mécontentes de leur statut antérieur. Par ailleurs, on ne me fera jamais croire à la "spontanéïté" de ces mouvements. Ils sont le fruit d'une judicieuse exploitation d'un contexte par ces futures oligarchies ET, dans le cas de la Libye et de la Syrie avec le soutien fort peu désintérressé de l'Occident en droite ligne avec le projet final: la guerre en Iran (fin 2012 ?)

Marc d'Infotox The Webmag

Marc d'Infotox The Webmag a posté le 25-10-2011 à 15:33

La Lybie islamiste ou l'alibi occidental.
Quant à l'avenir des pays musulmans, il est écrit dans le passé des autres pays "libérés" (Iran, Irak, Afghanistan...) sauf à se voiler la face comme ces sous-hommes que sont les femmes victimes désignées des lois dites religieuses qui priment toute égalité de droits et de devoirs laïques.
Et ne feignons pas la surprise...une fois de plus car, après l'Irak, pour croire les arguments soi-disants humanitaires occidentaux censés permettre l'invasion des troupes de l'Otan, il faudra vraiment croire en Dieu, Allah et autres divinités abstraites!.

Roland Courtecuisse

Roland Courtecuisse a posté le 25-10-2011 à 15:29

bonjour,
Les "occidentaux" sont intervenus dans ces "révolutions" et ne sont certainement pas étrangers dans leur déclenchement, mais en obéissant ainsi aux ordres de la finance internationale, ils se trouvent dans l'impasse et bien incapables de faire avancer ces pays vers plus de liberté réelle, d'autre part il est à craindre que les conditions des relations économiques et commerciales avec ces gouvernants deviennent bien moins souples qu'avec les anciens régime, certes gourmands en "backchiches" mais ouverts, mais bon il est impossible que "la finance" gagne à tout coup.
Salut

Lucien Petri

Lucien Petri a posté le 26-10-2011 à 09:24

Ces révolutions n'en déplaisent aux occidentaux est en final un acte de " libération" des pouvoirs politico- financiers de l'occident. C'est le second volet de la décolonisation avortée du fait du néo-colonialisme occidental qui a gardé une main mise sur ces pays en soutenant des dictatures vénales . Second volet qui affirme l'identité de ces peuples autour des racines et du ciment d'une langue commune et de l'Islam, façon de se différencier des " racines chretiennes de l'occident qui la si souvent continué ses croisades contre eux que ce soit en France ou en Afrique.

Kangoo Durant

Kangoo Durant a posté le 25-10-2011 à 15:22

Toutes révolutions de libertés étant espoir qui ce perd au fil du temps!

2012 sera un moment de vérités et, nous constaterons l'état!

Cyril Rust

Cyril Rust a posté le 25-10-2011 à 15:03

@Stream

La liberté est cher, si en faisant ces révolutions, il gagnent un peu plus de droit, je pense qu'il sera difficile de leur retirer.
Au moins, cela ne devrait pas être un retour en arrière pour eux.

Maintenant, pour le reste, ils se rendront surement compte rapidement qu'abandonner son libre arbitre et sa volonté (qui sont aussi des dons de Dieu) afin de se faciliter la vie, va à l'encontre de la liberté elle même.

Chaque peuple apprend à sa vitesse, nous avons nous même encore beaucoup à apprendre, peut-être que le meilleur moyen est de prendre son temps...

 
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