Entretien

"Il n'y a pas eu de révolution Facebook"

 Propos recueillis par Bernard Poulet - publié le 05/05/2011

Pour Evgeny Morozov, pourfendeur de la cyberutopie, Internet ne constitue pas en soi un outil émancipateur et peut même devenir un instrument de contrôle aux mains des régimes dictatoriaux.

Des opposants à Moubarak au Caire, le 5 février 2011.
REUTERS/Steve Crisp
PROFIL

Evgeny Morozov est né en 1984 en Biélorussie. Il vit depuis quelques années aux Etats-Unis et enseigne actuellement à l'université Stanford. Il est éditorialiste à Foreign Policy et à la Boston Review, et a écrit de nombreux articles, notamment dans The Economist, Newsweek et le Wall Street Journal. Il vient de publier un livre intitulé The Net Delusion. How Not to Liberate the World (Allen Lane).

A propos des soulèvements en Tunisie et en Egypte, les médias ont insisté sur le rôle des réseaux sociaux, parlant même de révolutions Twitter ou Facebook. Evgeny Morozov, spécialiste reconnu des nouvelles technologies de l'information, explique en quoi c'est inexact. Il montre aussi que ces technologies risquent de plus en plus d'être au service des ennemis de la liberté.

Les révolutions arabes auraient été organisées grâce aux réseaux sociaux. On avait déjà parlé de révolutions Twitter ou Facebook à propos de l'Iran, de la Moldavie ou de la Biélorussie. Avec le recul du temps, que faut-il en penser?

La première fois où l'on a associé les nouvelles technologies et des mobilisations populaires, ce fut aux Philippines, en 2001, quand d'immenses manifestations provoquèrent la chute du président Joseph Estrada, accusé de corruption massive. On avait parlé du triomphe de la révolution du téléphone portable. Plus tard, la "révolution orange" de 2004, en Ukraine, fut également facilitée par le portable, et déjà par les blogs. Ensuite, Facebook et Twitter ont fourni de nouveaux instruments pour organiser des mobilisations, notamment en 2009, en Moldavie ou en Iran, lors de la "révolution verte" avortée.

Mais toutes ces "révolutions" sont différentes. Elles apparaissent dans des contextes particuliers. Ce serait une erreur de les réduire à quelque chose qui aurait été provoqué ou même lancé par les nouvelles technologies. Parfois, comme en Ukraine, en 2004, je crois qu'elles n'ont joué aucun rôle. En Moldavie, les protestataires se sont servis de tous les moyens de communication dont ils pouvaient disposer, mais je ne pense pas que les outils technologiques aient servi significativement à la mobilisation. Ils ont surtout été utiles pour faire connaître les événements à l'étranger. Ils ont beaucoup intéressé aux Etats-Unis, où la Moldavie est devenue, pendant ces manifestations, l'un des thèmes les plus recherchés sur Twitter.

Est-ce qu'en Occident on n'a pas tendance à prendre l'écho médiatique donné par les nouvelles technologies pour un indice de leur rôle dans les mobilisations ?

En effet, et cette confusion est d'autant plus facile dans le cas de pays comme la Moldavie ou l'Iran : il existe de grandes diasporas à l'étranger, très actives sur Internet. On a compris, après coup, que beaucoup des messages, certes écrits en farsi pour l'Iran et en roumain pour la Moldavie, provenaient en réalité de l'extérieur de ces pays. En Iran, à la veille de l'élection présidentielle de 2009, on avait comptabilisé moins de 20 000 comptes Twitter (0,027 % de la population), et un responsable d'Al-Jazira a déclaré qu'on n'avait répertorié que 6 comptes Twitter actifs pendant les manifestations. En revanche, plus de 3 millions d'Iraniens vivent en exil. Il y a eu de grandes foules dans les rues, mais Internet n'y était pas pour grand-chose. Et s'il n'y a plus de manifestations aujourd'hui, les technologies de l'information ne sont pas suffisantes pour les relancer.

Les tweets n'ont pas renversé Ahmadinejad, et Al-Qaida sait parfaitement utiliser Internet comme un outil de propagande.

Il est pour le moins inexact d'affirmer, comme l'ont fait un grand magazine américain et beaucoup de commentateurs, que désormais "la révolution sera twittée". La prétendue Twitter revolution iranienne a surtout révélé, chez certains Occidentaux, le rêve d'un monde où les technologies de l'information seraient un instrument de libération, où la technologie servirait à répandre la démocratie autour du globe. Mais ce n'était qu'un rêve, les tweets n'ont pas renversé Mahmoud Ahmadinejad, et Al-Qaida sait parfaitement utiliser Internet comme un bon outil de propagande.

Et pour la Tunisie et l'Egypte ?

Certes, en Egypte, de nombreux jeunes ont été révoltés par le meurtre de Khaled Said, en 2010, et l'ont fait savoir via Internet, nourrissant les futurs mouvements de protestation contre les brutalités de la police. Cela a contribué à constituer une espèce de sphère publique on line qui a influencé l'opinion. Mais, là aussi, il est fort possible que beaucoup de ceux qui s'exprimaient à ce sujet sur Facebook aient vécu hors d'Egypte.

C'est seulement après les événements de Tunisie, et quand les conditions sociales et politiques devinrent favorables, que Facebook, au moins auprès d'une partie de la jeunesse, a contribué à donner de l'écho aux manifestations. Mais, après que les foules se sont mobilisées, ces outils sont devenus moins importants. En Tunisie, les jeunes activistes étaient très performants du fait de la censure qu'il leur avait fallu contourner dans les années précédentes. Sans le vouloir, Ben Ali a formé une génération d'utilisateurs d'Internet.

N'était-ce pas plutôt une révolution Al-Jazira ?

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