Kodak : la dernière photo

Créé le 04-11-2011 à 19h06 - Mis à jour le 05-11-2011 à 07h58      2 réactions

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Par Natacha Tatu

Le géant américain a sous-estimé la brutalité de la révolution digitale. Il lutte pour sa survie en tentant de négocier ses milliers de brevets.

  (Sipa)

(Sipa)

Peut-on sauver le soldat Kodak ? L'icône américaine est à l'agonie. Il n'y a pas si longtemps, c'était une des plus belles marques du monde, comme Coca-Cola. Mais, après cinq ans de pertes, la firme centenaire de Rochester (Etat de New York) a un pied dans la tombe.

Fin septembre, des rumeurs de dépôt de bilan faisaient dégringoler l'action au-dessous de la barre fatidique de 1 dollar. Depuis janvier dernier, le groupe a perdu les deux tiers de sa valeur, tombant à moins de 330 millions !

Et dire qu'il valait 30 milliards au faîte de sa gloire, en 1995. Depuis, les dirigeants de la multinationale ont beau multiplier les déclarations rassurantes, les analystes n'y croient plus.

"Aussi facile à utiliser qu'un stylo"

Comment diable le géant de la photo s'est-il retrouvé dans ce trou noir ? Fondé en 1880 par George Eastman, inventeur de génie, Kodak va être, un siècle durant, un de ces succès comme l'Amérique les aime. Elève médiocre, ce fils d'un entrepreneur ruiné travaille comme garçon de bureau à 14 ans. Passionné de photographie, il veut créer un appareil "aussi facile à utiliser qu'un stylo"

En 1884, il dépose un brevet de la pellicule, premier substitut aux plaques de verre, mis au point dans la cuisine de sa mère. En quelques décennies, Kodak va s'imposer à coups d'innovation comme le leader absolu de la photo grand public, devenant ce que Frigidaire est au réfrigérateur.

"Jamais le consommateur américain ne se détournera de Kodak"

La stratégie ? Simple : des appareils bon marché, produits en masse pour faire baisser les coûts, mais des pellicules chères, qui vont devenir la vache à lait du groupe.

A grand renfort de campagnes de pub : "Appuyez sur le bouton, nous ferons le reste." Un slogan qui, dès 1888, va faire la renommée du groupe.

Pendant près d'un siècle, Kodak va imposer ses standards, traitant toute concurrence par le mépris, même lorsque les concurrents, comme Fuji, commencent à attaquer le marché. "Jamais le consommateur américain ne se détournera de Kodak", dit-on dans le groupe.

"Le numérique, c'est nous qui l'avons inventé"

La descente aux enfers commence au tournant de 2005, quand la multinationale affiche les premières pertes de son histoire. Kodak a raté le virage du numérique.

Un comble. "Le numérique, c'est nous qui l'avons inventé", rappelle Chris Veronda, porte-parole de la firme qui récuse "tout retard" en la matière. En 1974, c'est bel et bien un chercheur de Kodak qui va déposer un brevet pour un appareil digital de la taille d'une boîte à chaussures.

Mais le groupe va sous-estimer la brutalité de la révolution qui s'annonce. Assis sur ses ventes de pellicules, le géant de la photo s'est assoupi. D'après une anecdote restée célèbre, au début des années 1990, le patron de Kodak de l'époque se serait d'ailleurs endormi lors d'une rencontre avec Bill Gates !

En 2003, quand le groupe décide enfin de s'attaquer au numérique, c'est trop lentement, et trop tard. En deux ans, plus de 28 000 emplois sont supprimés, soit plus de la moitié des effectifs. Perdu, Kodak n'arrive plus à régler la focale sur son avenir.

Un business formidable

Lorsque Antonio Perez est nommé en 2005, Kodak perd 1,3 milliard de dollars (1 milliard d'euros). Cet ancien dirigeant de Hewlett Packard, évincé au profit de Carly Fiorina, va orienter le groupe vers la vente d'imprimantes. "Ca va être un business formidable pour notre entreprise", promet-il encore en juillet dernier aux analystes.

Las ! Malgré les milliards investis dans le développement de ce nouveau marché, le pari est loin d'être gagné. Avec 6% des ventes, contre 60% pour HP, le calcul de Perez, qui consiste à vendre des imprimantes chères et des recharges bon marché, prenant le total contre-pied de ses concurrents, s'est révélé, pour l'instant du moins, peu probant.

"C'est une méconnaissance des consommateurs et un pari d'autant plus absurde que certains fabricants, aujourd'hui, sont prêts à leur offrir purement et simplement l'imprimante", explique Ken Luskin, président d'Intrinsic Value Asset Management.

Convaincu qu'Antonio Perez voulait prendre sa revanche sur Hewlett Packard, cet investisseur considère que les déboires de Kodak reposent pour beaucoup "sur un problème d'ego et de mauvais management".

Des milliers de brevets

Mais Kodak est-il pour autant condamné ? Pas si vite ! Reste d'abord une marque. Certes, moins belle qu'elle ne l'a été, mais mondialement connue.

Surtout, la firme est assise sur un trésor de guerre : plusieurs milliers de brevets en imagerie numérique, que le groupe essaie aujourd'hui de monétiser. Google, Apple, Microsoft, Samsung sont sur les rangs...

Un pactole que certains analystes estiment à quelque 2 milliards de dollars. Assez pour sauver le soldat Kodak. Faut voir ce qui en restera après...

Natacha Tatu - Le Nouvel Observateur

Article publié dans l'hebdomadaire du jeudi 3 novembre 2011

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Par Natacha Tatu
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Tra roth

Tra roth a posté le 5-11-2011 à 10:57

Je ne pense pas que tout ait été dit sur l'effondrement de Kodak. En effet, la technologie et les produits de cette entreprise sont irréprochables, et les plus grands font appel à eux. Par exemple, les boitiers numériques Hasselblad, qui sont parmi les meilleurs boitiers professionnels existants, utilisent des capteurs Kodak. J'ai donc du mal à comprendre qu'on puisse nous dire que Kodak a raté la révolution numérique. Il y a là quelque chose d'inexpliqué...

Fanny Bocquet

Fanny Bocquet a posté le 5-11-2011 à 09:53

La vie industrielle est faite de naissances mais aussi de dispartions, en France, on a vu mourir aussi SIMCA, panhard etc etc.Ce qui prouve qu'il ne faut pas vivre sur ses lauriers!!!

 
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