Marianne


Plus de sans-papiers en garde à vue : que va faire Hollande ?

Jeudi 7 Juin 2012 à 12:00 | Lu 7833 commentaire(s)

Tefy Andriamanana
Journaliste à Marianne, j'écris sur le numérique ainsi que sur les questions de police/justice... En savoir plus sur cet auteur

La chambre criminelle de la Cour de cassation estime que la garde à vue et l’emprisonnement des sans-papiers est contraire au droit européen. La Cour de Justice de l’Union européenne s’était prononcée sur ce sujet il y a un an.


(Jobard/Sipa)
(Jobard/Sipa)
Les sans-papiers vont-ils définitivement échapper à la garde à vue ? La chambre de criminelle de la Cour de cassation vient de rendre un avis estimant que « le ressortissant d’un Etat tiers ne peut (...) être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée pour entrée ou séjour irréguliers selon la procédure du flagrant délit ». En clair, le seul délit d'entrée ou de séjour irrégulier ne sera plus suffisant pour emmener une personne 24 heures au poste et plus si affinités. Toutefois, il faudra attendre la décision définitive de la 1ère chambre civile, compétence en matière de droit des étrangers, pour connaître le sort des sans-papiers, la chambre criminelle n’ayant été saisie que pour consultation.
 
Et au nom de quoi la chambre criminelle s’est prononcée ? Tout vient du droit européen, de la compétence de la Cour de cassation. En effet, la directive retour de décembre 2008 interdit l’emprisonnement des sans-papiers pour le seul délit de séjour irrégulier. Or, l’article L621-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) punit d’un an de prison le fait de pénétrer illégalement sur le territoire français ou de se maintenir en France après l’expiration de son visa, même si aucune décision formelle d’expulsion n’a été prise.
 
Et en France, seules les personnes soupçonnées d’une infraction punie par une peine d’emprisonnement peuvent faire l’objet d’une garde à vue. Et inversement, sans possibilité d’incarcération, pas de possibilité de garde à vue.

La garde à vue, un prétexte

Mais la garde à vue n’est qu’un prétexte. En effet, peu de sans-papiers sont emprisonnés, 200 sont condamnés par an à de la prison ferme, 300 à des peines avec sursis. Les sans-papiers relèvent le plus souvent des juridictions administratives et non pénales. Dans les faits, suite à la garde à vue, le procureur passe le dossier au préfet qui décide de l’expulsion et d’un éventuel placement en rétention en attendant. Vu la surcharge des services judiciaires et préfectoraux, un délai de 24 heures voire plus n’est pas de trop pour régler l’affaire.
 
Désormais les policiers arrêtant une personne sans-papiers auront deux solutions. Soit arrêter l'intéressé pour une autre infraction punie d’une peine de prison et permettant donc la garde à vue (faux papiers, outrage à agent…) soit retenir l’individu au poste pendant une durée de 4 heures maximum (comme toute personne ne pouvant prouver son identité), un délai trop court pour enclencher une procédure d’expulsion. Les expulsions seront donc plus compliquées. 
 
En février dernier, le Conseil Constitutionnel, saisi par une QPC, avait estimé au contraire que la garde à vue de sans-papiers est bien conforme au bloc de constitutionnalité et notamment à la Déclaration des droits de l’Homme. En revanche, il ne s’est pas prononcé sur la compatibilité avec le droit européen: « L'examen d'un tel grief relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ». Tout repose donc sur la décision finale de la Cour de cassation qui sera rendue à une date qui n’est pas encore connue.

Imbroglio

Mais l’affaire couvait depuis plus d’un an. Fin avril 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne avait sanctionné l’Italie au nom de la directive retour pour avoir emprisonné un sans-papier s'étant soustrait à une mesure d'expulsion. Dans la foulée, la Cour d’appel de Nîmes s’est saisie de cette décision pour annuler la garde à vue et le placement en rétention d’un sans-papier. A l’inverse, la Cour d'appel d’Aix-en-Provence, par exemple, a confirmé une garde à vue malgré la décision de la CJUE au nom d’une très subtile interprétation juridique. 
 
En effet, la Cour d'appel d’Aix  a fait une interprétation très stricte que l'arrêt de la CJUE estimant qu'il ne s'appliquait qu'aux cas similaires au cas italien, aux seuls sans-papiers restés en France malgré une décision d’expulsion (un délit puni de 3 ans de prison par l’article L624-1 du Ceseda). Les autres, n’ayant encore fait l’objet d’aucune décision et relevant de l’article L621-1, ne sont pas concernés selon la Cour d'appel. Une certaine incohérence vu que si les clandestins de l’article L624-1 peuvent éviter la garde à vue, les autres, accusés d’un délit moins grave (peine d'un an de prison au lieu de trois), devraient tout autant protégés. 
 
A l’époque, Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, avait affirmé que la France n’était pas concernée. Mais le ministère de la Justice a finalement pondu une circulaire demandant aux parquets de ne plus placer les sans-papiers en garde à vue pour le seul délit de séjour irrégulier. Toutefois, cette circulaire a maintenu l’incohérence de la Cour d’appel d’Aix ne parlant que des sans-papiers arrêtés dans le cadre de l’article L624-1, les autres, relevant de l’article L621-1, pouvant continuer à être mis en garde à vue. 

Un défi pour Hollande

La chambre criminelle de la Cour de Cassation a donc désavoué le ministère. Pour elle, les sans-papiers de l’article L621-1 évitent bel et bien la garde à vue. Et si la 1ère chambre civile suit cet avis, les deux catégories de sans-papiers seront protégées. Ceux de l’article L621-1 par l’arrêt définitif de la Cour, ceux relevant de l’article L624-1 par l’arrêt de la CJUE d’avril 2011 et la circulaire du ministère de la Justice de mai 2011.
 
Mais François Hollande devra quand même agir. La politique migratoire ne peut se satisfaire d'une base juridique faite de bric et de broc entre des circulaires et des jurisprudences. Pour trancher, le gouvernement devra jongler entre respect du droit européen et nécessaire efficacité de la politique migratoire. Une occasion de montrer que la gauche peut rompre avec l'angélisme et se montrer pragmatique.













Abonnez-vous à la Newsletter de Marianne
Recevez tous les jours les meilleurs articles de Marianne.net