Le
projet de directive européenne " retour " qui se prépare est
scandaleux
Mercredi 18 juin sera soumis à l'approbation
du Parlement européen le projet de directive dite " retour "
visant à harmoniser les conditions dans lesquelles les migrants irréguliers sur
le territoire de l'Union européenne doivent être détenus et "
reconduits ".
Il apparaît avant toute chose nécessaire de rappeler la réalité
que recouvre l'expression pudique de " retour ". L'expulsion
est une violence qui multiplie les uns par les autres les traumatismes de
l'arrestation inopinée, de l'emprisonnement, de la perte de son logement, d'une
perte d'emploi, de la spoliation de la totalité de ses biens, parfois de la
séparation brutale de son conjoint et de ses enfants, de la dislocation de tout
lien avec son milieu et d'une reconduite contrainte, éventuellement assortie de
violences.
C'est une humiliation dont on ne se remet pas. Le pays dans
lequel on avait placé l'espoir d'une existence nouvelle, qu'on avait parfois
bataillé des années pour rejoindre, vous rejette, vous expulse et vous dépose
sans bagage sur un Tarmac où personne ne vous attend.
Même quand les expulsés ont des proches au pays, la honte les
empêche parfois de les rejoindre : celui qui faisait vivre toute une famille
est devenu une charge. Nombre d'expulsés finissent désespérés, désocialisés, à
la rue... Il faut que ceux qui votent la loi le sachent.
Le projet de directive européenne soumis aux parlementaires
reflète en partie la brutalité du sort réservé aux sans-papiers : jusqu'à
dix-huit mois d'internement pour le seul fait d'avoir franchi des frontières et
de vouloir vivre en Europe ; rétention et expulsion de mineurs et de personnes
vulnérables (femmes enceintes, personnes âgées, victimes de torture...) ;
possibilité d'expulser des personnes vers un pays de transit, même en l'absence
de lien avec ce pays ; interdiction de retour sur le territoire européen pour
une durée de cinq ans de ceux ayant été expulsés ; absence d'obligation de
fournir un titre de séjour aux étrangers souffrant de maladies graves ;
application aux mineurs isolés de l'ensemble de ces mesures.
UN RÉGIME D'EXCEPTION
Officiellement, le projet de directive " retour " vise
à encadrer les conditions de rétention et à en limiter la durée dans ceux des
pays européens dont la législation tolère un internement théoriquement
indéfini. Nous craignons qu'elle devienne la norme européenne sur laquelle vont
être tentés de s'aligner tous les pays de l'Union. Pour preuve, l'Espagne vient
d'annoncer le passage de sa durée maximale de rétention de trente à quarante
jours et l'Italie de deux à dix-huit mois !
Si elles étaient adoptées, les dispositions du projet de
directive " retour " placeraient les étrangers en situation irrégulière,
même mineurs, sous un régime d'exception : internement à la discrétion du
pouvoir, faiblesse des droits de la défense, bannissement. Comment concevoir
qu'une institution censée incarner la démocratie à l'échelle de l'Union
européenne envisage d'infliger un tel traitement à une fraction de sa
population ?
Davantage encore que chacun des Parlements nationaux des Etats
de l'Union, le Parlement européen a une responsabilité devant l'histoire. Du
fait de son existence récente, il n'a pas été mêlé aux déchirements et aux
tyrannies du passé européen. Il incarne au contraire un certain idéal, en
rupture avec les conflits et les dictatures qui ont trop souvent marqué
l'Europe. Sous peine de disqualifier son institution, le Parlement ne doit pas
adopter ce projet de directive.
Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU ;
Francine Blanche, secrétaire confédérale de la CGT
Laurent Cantet, cinéaste ;
Marc Peschanski, Directeur de recherche INSERM ;
Aminata
Traoré, ancien ministre de culture au Mali.