La Birmanie : nouvel Eldorado ou miroir aux alouettes ?


Catégories : Actualités analysées, Asie et Océanie | Un commentaire | Vu 648 fois par 384 lecteurs

La situation est paradoxale : alors que le prix Nobel de la paix récemment élue Aung Sang Suu Kyi exhorte les grandes compagnies du monde entier à ne pas encore investir dans son pays (par peur de légitimer et de renforcer une junte militaire encore omnipotente), ces mêmes compagnies commencent à regarder avec envie vers la Birmanie, rassurées qu’elles sont par la libéralisation politique du pays (dont le principal symbole est l’élection d’Aung Sang Suu Kyi)…

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Total en Birmanie

Quel intérêt pourrait présenter pour des investisseurs (en grande partie des investisseurs du Golf) ce pays très largement sous-développé de 50 millions d’habitants ?

Son sous-sol est riche (gaz, pétrole, zinc, jade, rubis…), il possède des milliers d’hectares de terres arables non exploitées (fait particulièrement intéressant pour des pays désertiques obnubilés par la question de leur sécurité alimentaire) et est, selon la FAO, le premier exportateur mondial de riz. Son potentiel pour le secteur du BTP est immense.

Sa position géographique est idéale, car le pays est un carrefour entre l’espace indien et l’aire sinisée. Les pétroliers du Golf louchent notamment sur le pipeline Chine/Birmanie, qui permet aux supertankers de ne pas avoir à passer par le détroit de Malacca (gagnant ainsi un temps précieux).

Enfin, les autorités birmanes font de nets efforts pour attirer ces investisseurs : le contrôle des changes a été desserré, les processus administratifs vont en se simplifiant.

Et pourtant… Aung Sang Suu Kyi a raison !

Ces éléments ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Malgré les apparences, l’instabilité politique est encore grande (la région de Rakhine, par exemple, vient d’être replacée en état d’urgence, du fait d’affrontements ethniques meurtriers). La Birmanie est classée 3e pays le plus corrompu au monde (score fort peu glorieux, quand on considère que les deux premiers sont la Somalie et la Corée du Nord). Enfin, élément majeur, la Birmanie offre un cadre juridique extrêmement flou et risqué : par exemple, le pays ne reconnait pas explicitement le droit de propriété !

Le risque pour les investisseurs reste donc colossal, et n’a pas fondamentalement diminué ces derniers mois. Il n’est raisonnable que pour des entreprises d’Etat chinoises (la junte étant très liée à Pékin, ces firmes sont moins exposées) et pour des entreprises implantées de longue date, soutenues par leur pays d’origine et bénéficiant d’accords surs, longuement négociés (Total, pour ne citer qu’elle).

Il est très difficile de savoir si on assiste à un réel changement politique en Birmanie, ou si la junte, économiquement à bout de souffle, ne fait pas juste mine de desserrer l’étau politique uniquement pour profiter des fonds étrangers (la plupart des sanctions économiques contre le pays ayant été levées). Il est impossible, à l’heure actuelle, de trancher sur cette question. Seul le temps pourra y répondre.

Investir en Birmanie, c’est encore soutenir et légitimer la junte militaire.

Sylvain Zuber est étudiant en 2e année à HEC Paris. Passionné d'histoire et de géopolitique, il est rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis novembre 2011.

Une réponse à “La Birmanie : nouvel Eldorado ou miroir aux alouettes ?”

  1. LudoZ

    Certes, mais “investir” dans les pays sous-développés ne reste-t-il pas plus porteur, à terme, que de “subventionner” fusse au travers d’associations caritatives ?
    Les subventions tombent dans les poches desfactions corrompues au pouvoir
    L’investissement les engraisse sans doute aussi … mais les entreprises et états qui le font ne sont pas des saints : ils attendent un retour, les bénéficiaires de la mane sont donc de facto obligées de les laisser employer (d’aucuns diraient “exploiter) leurs habitants.
    D’une certaine façon, c’est quand même mettre le pied dans la porte : l’intérêt commun bien compris du pouvoir et des investisseurs est que çà se passe bien, et les peuples finissent par en bénéficier !
    Et tout le monde sait depuis longtemps qu’un état fort est plus rassurant pour les investisseurs qu’une démocratie vacillante et détronée tous les 6 mois par un coup d’état.
    Certes un peu cynique, mais tout bien réfléchi n’est-ce pas l’économie qui petit à petit fait changer la Chine ???
    D’aucun

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