MYANMAR (BIRMANIE) Les investisseurs occidentaux reviennent à Rangoon

L'apparente volonté des autorités birmanes d'entamer des réformes politiques aiguise l'appétit des entreprises européennes et américaines. Car, sur le plan économique, tout – ou presque – reste à faire dans ce pays.
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La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et le nouveau président du Myanmar Thein Sein, Rangoon le 1er décembre 2011 La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et le nouveau président du Myanmar Thein Sein, Rangoon le 1er décembre 2011 AFP

Lorsqu'il ouvre ses portes, une fois par mois, le British Club de Rangoon est pris d'assaut par des diplomates, des membres d'ONG et des professeurs d'anglais dont les consommations sont décomptées sur une ardoise à l'ancienne. Toutefois, depuis que le gouvernement birman semble s'être décidé à sortir de son long isolement et à entamer des réformes politiques et économiques, une nouvelle clientèle a fait son apparition : les investisseurs occidentaux.

"Les ressources minières dU Myanmar nous intéressent et nous voulons en avoir un meilleur aperçu car la situation pourrait évoluer", explique le responsable d'un fonds de capital-investissement. Plusieurs décennies d'isolement ainsi qu'un sévère régime de sanctions occidentales contre le pouvoir militaire répressif ont fait du Myanmar l'un des pays les plus pauvres d'Asie, dont la survie dépend des milliards de dollars d'investissements chinois dans le secteur minier.

Mais, depuis que la junte a cédé le pouvoir à un gouvernement "civil" en mars dernier, le nouveau président Thein Sein a dévoilé une série de mesures qui ont relancé l'intérêt des investisseurs étrangers pour l'un des derniers marchés asiatiques encore non exploités. "Ici, les milieux économiques estiment que l'heure est venue", explique Wael Elmawie, qui réside au Myanmar depuis 1999 et dirige PEB Steel, une société libanaise de bâtiments métalliques préfabriqués. "Si le gouvernement revient sur les récentes évolutions, il perdra pour de bon la confiance du reste du monde."

Les investisseurs espèrent à présent que la visite début décembre 2011 de la secrétaire d'Etat Hillary Clinton permettra d'accélérer les réformes et poussera les Etats-Unis et l'Union européenne à alléger les sanctions qui empêchent de nombreuses sociétés occidentales de travailler dans le pays. Fin décembre, le milliardaire George Soros, dont la fondation fait entrer de l'aide dans le pays, a passé huit jours au Myanmar. Ce regain d'intérêt pour le pays est visible dans les grands hôtels de Rangoon où se pressent les délégations d'hommes d'affaires. De nombreuses multinationales se renseignent sur les opportunités commerciales, notamment dans les secteurs du gaz, du pétrole, des télécommunications et des biens de consommation.

Si le régime de sanctions interdit tout nouvel investissement américain, Caterpillar, le premier fabricant mondial d'engins de terrassement en terme de chiffre d'affaires, est présent dans le pays par le biais de sociétés intermédiaires. D'après ses représentants, ces activités sont "entièrement conformes aux lois en vigueur." "Presque toutes les grandes entreprises américaines sont présentes au Myanmar", explique Ernest Bower, responsable du programme Asie du Sud-Est au Center for Strategic and International Studies [un cercle de réflexion de Washington].

Le potentiel du Myanmar ne fait aucun doute. Avant l'arrivée au pouvoir des militaires, c'était l'un des principaux exportateurs de riz en Asie. Le pays était une sorte d'entrepôt stratégique entre la Chine, l'Inde et le reste du Sud-Est asiatique. Outre un marché intérieur de 60 millions d'habitants, le pays est riche en ressources naturelles comme le pétrole, le gaz et divers minéraux. Le secteur touristique est également prometteur, estime le Néerlandais Frank Janmaat, directeur adjoint d'un groupe hôtelier birman. L'année dernière, le pays a reçu 300 000 visiteurs, soit 10 % du nombre de touristes accueillis par son voisin le Laos, un pays bien plus petit.

Il reste toutefois de nombreux défis à relever. Il n'existe ni système bancaire, ni réseau de télécommunications, ni cadre légal efficaces, et l'économie reste contrôlée par une poignée de nantis fidèles au pouvoir. Et par le passé, les périodes de réforme ont été suivies de revirements spectaculaires. Pour l'heure, les investissements étrangers se concentrent dans les secteurs du gaz, du pétrole, de l'énergie hydroélectrique et des mines. La France, la Corée du Sud, la Thaïlande et surtout la Chine arrivent en tête. Ces entreprises créent relativement peu d'emplois, alors que leur activité a un coût environnemental très élevé pour les communautés locales, explique Sean Turnell, spécialiste de l'économie birmane à l'université Macquarie de Sydney, en Australie. Bref, elles ne font pas grand-chose pour créer "les fondations d'une future croissance".

Même si le gouvernement poursuit ses réformes, les investisseurs étrangers seront confrontés au manque de main-d'œuvre qualifiée. La junte a en effet négligé le système éducatif et fermé les universités pendant plusieurs années. "Les gens veulent un avenir meilleur, mais il faudra du temps pour les former", conclut Elmawie.

OUVERTURE — A quoi joue le pouvoir ?

Si le gouvernement birman est sans nul doute engagé dans une politique de libéralisation économique visant à attirer les investisseurs étrangers, sa décision, le 9 janvier, de suspendre la construction d'une centrale électrique de 4 000 MW autour de la future zone industrielle de Dawei (anciennement Tavoy) envoie un message pour le moins ambigu. "La suspension du projet illustre le climat imprévisible qui prévaut au Myanmar même si le nouveau gouvernement cherche à redorer son image afin d'attirer des investisseurs pour relancer son économie", écrivait ainsi au lendemain de cette décision le Bangkok Post, faisant état du trouble du consortium Italian-Thai Development (ITD).

Numéro un de la construction en Thaïlande, ITD a obtenu en 2010 des autorités birmanes une concession dans cette région ouvrant sur la mer d'Andaman pour y implanter un port en eau profonde, un chantier naval, une raffinerie pétrolière, une usine pétrochimique, une aciérie, une fabrique d'engrais et la fameuse centrale, rappelle le webzine The Irrawaddy (publié depuis Chiang Mai, en Thaïlande, par des exilés birmans). Une voie ferroviaire, une autoroute et un pipeline doivent aussi être construits pour se raccorder au réseau thaïlandais et, plus loin, à la Chine. Un premier investissement de 8 milliards de dollars [6,2 milliards d'euros] a été annoncé. A terme, ce sont plusieurs dizaines milliards qui pourraient être injectés dans cette zone de 200 km2, qui changera radicalement le visage de la région. "Les nouvelles infrastructures raccourciront énormément les routes d'approvisionnement en énergie de la Thaïlande et auront le potentiel de faire de cette zone sur la mer d'Andaman un carrefour commercial pour la Chine et l'Asie du Sud-Est en évitant le détroit de Malacca engorgé", poursuit The Irrawaddy.

Aujourd'hui, l'ensemble du projet n'est pas compromis mais seulement la mégacentrale au charbon, dont une large partie de la production électrique était destinée à la Thaïlande. Le gouvernement birman estime qu'une structure plus modeste, de 400 MW, suffirait à répondre aux besoins de ce nouveau pôle industriel. Néanmoins, après la suspension annoncée le 9 janvier, les cercles d'affaires risquent de redoubler de prudence avant de s'engager dans le pays. Pourquoi alors une telle volte-face du pouvoir ? Quatre mois après l'annulation d'un projet de barrage hydroélectrique chinois dans le nord du pays, cette décision, écrit Francis Wade sur son blog dans Asian Correspondent, "met à mal notre capacité à rationaliser ce qui se passe dans la capitale Naypyidaw". Le gouvernement a dit tenir compte de l'opposition grandissante dans l'opinion publique, inquiète de l'impact écologique et des déplacements de population. Engagées dans des pourparlers de paix avec différents groupes ethniques, les autorités doivent aussi composer avec la rébellion karen qui contrôle en partie la région et qui s'est élevée contre le projet de construction d'une route vers Bangkok. Pour mener à bien sa politique d'ouverture, tant en direction de l'opposition et de la société civile à l'intérieur que vers des chancelleries et milieux d'affaires à l'extérieur, le président Thein Sein est donc dans le devoir de réaliser un savant numéro d'équilibriste.

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