Birmanie, le dégel

Symbole de la lutte pour la démocratie en Birmanie, Aung San Suu Kyi a été libérée.

Monde

En Birmanie, «la suspension des sanctions a d’abord un impact symbolique»

Arrivage d'une cargaison de ciment dans le port de Rangoun, le 8 avril.
Arrivage d'une cargaison de ciment dans le port de Rangoun, le 8 avril. (Photo Soe Zeya Tun. Reuters)

Interview Reconnaissant l'ouverture du régime, l'Europe, les Etats-Unis et le Japon annoncent une levée partielle des restrictions qu'ils avaient imposées. Les explications de Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse spécialiste de la région.

Libération

Une page se tourne bel et bien en Birmanie, où le dégel amorcé par le régime commence à porter ses fruits. Après la libération de nombreux prisonniers politiques, après l'ouverture des négociations avec les groupes rebelles des minorités ethniques, après, surtout, le retour en grâce par la voie des urnes d'Aung San Suu Kyi, élue au Parlement avec 36 autres membres de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le président Thein Sein a obtenu gain de cause : les sanctions internationales qui pesaient depuis bientôt quinze ans sur le régime commencent à être levées.

Ce lundi, l'Union européenne devrait formaliser à Luxembourg la suspension pour un an de ses sanctions, en particulier les restrictions à l’encontre de plus de 800 entreprises actives dans le domaine de l'exploitation forestière, de la mine et du commerce de pierres précieuses... Seul l'embargo sur les armes sera maintenu.

Mardi, les Etats-Unis ont de leur côté annoncé la levée de sanctions interdisant l’exportation en Birmanie de certains services financiers, dont ceux à visée humanitaire, démocratique, éducative, sociale et sanitaire, sportive ou religieuse. Et samedi, le Japon devait annoncer l'abandon de la dette de 300 milliards de yens (2,8 milliards d’euros) due par la Birmanie et le retour de l’aide à ce pays, selon le quotidien Asahi Shimbun.

Reste que le désenclavement au moins partiel de ce pays, à l'économie très mal en point, va modifier la distribution des cartes d'un jeu auquel les partenaires de la Birmanie, UE comprise, vont devoir maintenant s'adapter, relève Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse spécialiste de l'Asie du Sud-Est à l'Asia Center, enseignante à l'Institut d'études politiques de Paris, actuellement basée à Bangkok. 

Quelles sont précisément les sanctions imposées à la Birmanie, et depuis quand  ?

Les premières sanctions européennes ont été mises en œuvre en 1990 après que la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) a été privée de sa victoire électorale. Ces sanctions étaient toutefois limitées : quelques restrictions commerciales et un premier embargo sur les armes. En 1992, les attachés de défense ont été retirés de Rangoun et les pays européens ont décidé d’expulser tous les attachés militaires birmans de l’Union. C’est après la déclaration de « Position commune » formulée en octobre 1996 que les sanctions sont devenues plus strictes : restrictions de visa, suspension des visites à haut niveau, refus d’accorder à la Birmanie les avantages de l’accord Union européenne / Asean (l'Association des nations de l’Asie du Sud-Est) qu’a intégrée la Birmanie (en même temps que le Laos) en juillet 1997. Les sanctions ont été revues tous les six mois, puis tous les ans ; elles se sont étoffées au fil des abus et des rapports les dénonçant – gel des avoirs, restrictions commerciales et d’investissement.

Ont-elles réellement été appliquées ou y a-t-il eu des entorses  ?

Oui, les sanctions ont été appliquées, mais elles ne concernaient que les entreprises européennes qui n’avaient pas encore de liens avec la Birmanie. Ceux qui avaient des investissements antérieurs à 1996 ont pu continuer leurs affaires. C’est évidemment le cas de Total, qui a investi dans le gisement gazier de Yadana jusqu’à récemment. Ce qui explique qu’en dépit des sanctions, les entreprises européennes sont longtemps restées dans le peloton de tête des investisseurs en Birmanie. C’est d’ailleurs souvent par le biais d’une pression des opinions publiques que des entreprises européennes (Heineken…) ont décidé de se retirer du pays alors qu’elles auraient pu y rester. Enfin, les embargos commerciaux ont pu être contournés : on achète des rubis birmans à Bangkok et des meubles fabriqués à partir du teck birman en Indonésie…

Quel devrait l’impact de la levée des sanctions, sur le plan économique mais aussi symbolique  ?

La suspension, et probablement la levée des sanctions d’ici un an, a d’abord un impact symbolique. De nombreuses études ont été publiées, y compris par des ONG très critiques à l’égard du régime birman, qui ont montré qu’au final, les sanctions avaient eu peu d’impact économique : les militaires birmans se sont tout simplement tournés vers d’autres partenaires, prioritairement en Asie, beaucoup moins regardants sur les droits de l’homme et les conditions politiques. La junte n’a donc jamais été un régime aux abois. Au point de dédaigner les visites des représentants européens (Piero Fassino avait été nommé envoyé spécial de l’UE en 2007 et n’a pu entrer en Bimanie qu’en 2011 !) qui tentaient une ouverture.

Au final, la diplomatie européenne a été une diplomatie déclaratoire, qui, en plaçant systématiquement la junte en position défensive, a fini par ne plus avoir d’effet et à couper toute possibilité de dialogue. Conclusion : l’Europe s’est figée dans le rôle de «chevalier blanc» de la démocratie, capable de déclarations fracassantes après chaque drame (on se souvient des diatribes de Gordon Brown, Premier ministre britannique, ou de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères français, pendant la révolution safran de septembre 2007), mais sans véritable lien avec la réalité et les difficultés endurées par la population.

A la suite d’un récent voyage dans le pays, j’ai pu me rendre compte moi-même de cette «lassitude» à l’égard de cette diplomatie qui vise plus à rassurer les opinions publiques européennes qu’à s’engager auprès d’une société birmane éprouvée. En outre, en ayant octroyé à Aung San Suu Kyi le statut d’icône, l’Union européenne en a non seulement fait une cible facile pour la junte mais, surtout, s’est éloignée d’autres acteurs de la société civile tout aussi engagés, voire des représentants réformateurs de la Tatmadaw (l’armée). 

Dernier point : sur le plan économique, les entreprises européennes seront évidemment bienvenues, mais elles vont être surprises par l’état de délabrement du pays et par le fait que les affaires s’y traitent bien différemment qu’ailleurs. Le processus d’apprentissage va prendre du temps et, à mon sens, le retour sur investissement devrait aussi être lent, voire difficile compte tenu de l’état de la concurrence : les entreprises chinoises, thaïlandaises, singapouriennes, malaisiennes, coréennes ne partageront pas facilement un gâteau dont elles tirent de lucratifs bénéfices depuis longtemps.

La décision de l’UE de lever les sanctions était-elle incontournable au vu de l'évolution récente du régime  ?

Oui clairement. Non seulement parce que le nouveau gouvernement birman a donné depuis dix-huit mois quelques gages probants (ce qui ne signifie pas, à mon avis, que la Birmanie se dirige pour autant vers la démocratie), mais parce que la politique européenne a marginalisé nos intérêts dans ce pays et menacé nos relations avec les partenaires régionaux, avec l’Asean notamment. La Birmanie constitue un test intéressant non seulement sur les capacités de la diplomatie européenne (dépasser les divisions et les pesanteurs bureaucratiques), mais aussi sur les nécessaires ajustements que l’Europe va devoir accomplir pour s’inscrire comme un participant pro-actif dans les mutations qu’engendre la globalisation : va-t-on être capable d’audace politique ou va-t-on rester enfermés dans nos normes et discours ?

Après de nombreux faux départs, la Birmanie entame une nouvelle étape: les risques sont bien là, mais les possibilités de changement aussi, et pas nécessairement des changements selon nos procédures. L’Union européenne doit rapidement s’adapter.

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