Plus de 70 ans après qu'elles aient obtenu le droit de vote, les féministes québécoises constatent le chemin parcouru pour les droits des femmes, mais aussi les batailles qu’il leur reste à mener. Souvent critiquées ou ridiculisées, les chiens de garde du mouvement ne laissent rien au hasard quand il s'agit de discrimination basée sur le sexe.

«Être féministe, ça n’a jamais été populaire. C'est porter une identité qui a été malmenée», tranche la doctorante en sociologie Mélissa Blais. Bien que les femmes, de façon générale, adhèrent au principe d’égalité entre les sexes, plusieurs ont peur de se faire étiqueter comme «lesbiennes frustrées» ou de ne pas séduire si elles s’affichent publiquement comme féministes. «Les femmes vivraient donc une sorte de relation amour-haine avec le mot lui-même», ajoute celle qui est également chargée de cours à l’UQÀM.

«Le fardeau de la cause féministe, c’est de déconstruire, génération par génération, ce que c’est que le féminisme.»

Illusion ou réalité ?

Qu’on se le dise : certains femmes trouvent le principe-même du féminisme démodé, voire inutile. Mais l’égalité hommes-femmes est-elle atteinte ? «Certaines femmes ont intériorisé cette notion que les femmes ont les mêmes droits que les hommes. Mais dans les statistiques, ça ne va pas du tout, déplore Mélissa Blais. On voit que la situation a évolué, s’est transformée, mais la division sexuelle du travail n’a vraiment pas changé. Ce sont encore les femmes qui sont discriminées dans l’emploi, ce sont elles qui sont les plus pauvres, ce sont elles qui s’occupent des enfants.»

La lassitude du discours féministe, toutefois, se retrouve chez les plus jeunes. Une constation qui pourrait s’expliquer par le manque d’expérience, selon la sociologue. « Quand elles vont voir le plafond salarial, les femmes vont se rendre compte qu’elles doivent performer plus que les hommes pour atteindre les mêmes postes. Quand elles vont avoir leur premier enfant et vont se rendre compte que l’idylle amoureux se transforme en la division du travail inégale, c’est là qu’elles entendent le discours féministe et se disent que ce n’est pas désuet. Elles seront capables de mettre des mots sur leur réalité. »

Un renouveau féminin

Le conflit étudiant qui perdure au Québec rejoint plusieurs causes sociales, dont celle des femmes. «De tout temps, à chaque fois qu’il y a un cycle de mobilisation, il va y avoir plus de féministes», explique-t-elle. Par la force du nombre, le mouvement de contestation prend de l’ampleur. En restera-t-il des traces une fois la mobilisation atténuée ? «On verra!»


francoise david

Beaucoup trop de poids sur leurs épaules

Françoise David est une fervente militante féministe avant de co-fonder le parti Québec solidaire. Quand elle est entrée sur le marché du travail, dans les années 70, l'ancienne présidente de la Fédération des femmes du Québec dit avoir constaté un important changement dans le climat familial de l'époque, période de lutte pour le droit à l'avortement. «Les femmes ont réalisé qu'elles n'étaient pas les seules à devoir s'occuper des enfants. Peu à peu, les hommes ont pris en charge des responsabilités familales.»

Mais malgré ces améliorations, les femmes sont «encore largement responsables du bonheur familial»., en plus de vouloir percer dans leur milieu de travail, comme les hommes. «Les femmes s'en demandent beaucoup, et la société est bien exigeante envers les parents. Il faut se dire qu'à un moment donné, ça suffit, qu'on ne peut pas être parfaites. Être parent, c'est aussi faire des erreurs.»

Elle se réjouit toutefois de voir certains parents décider de travailler à temps partiel ou des propriétaires de petites entreprises s'accorder des horaires flexibles, « pour avoir le temps de vivre ».

manifestation montreal
Ce n'est pas parce que c'est discriminatoire que c'est drôle

Elles ont fait parler d'elles lors du Grand Prix et après le spectacle de la Coalition des humoristes indignés (CHI), et c'est grâce à elles que Gabriel Nadeau-Dubois parle des «étudiantes» avant les «étudiants». Les militantes féministes de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) se sont immiscées dans les sphères de l'organisation depuis ses débuts afin de faire respecter l'égalité hommes-femmes.

D'emblée, la membre du comité Esther Paquette, du cégep Saint-Laurent, explique qu'elle était présente au controversé spectacle d'humour et que la représentation féminine avait passé un mauvais quart d'heure. «Non seulement était-elle presque absente, mais on riait des laides, des grosses, des femmes âgées, bref, celles qui ne sont pas attirantes sexuellement, énumère-t-elle. On s'attendait à entendre des blagues qui se moquent des femmes, mais là, c'était trash

L'organisation va même jusqu'à défendre l'agente 728, du Service de police de la Ville de Montréal, filmée par une caméra amateure pendant qu'elle aspergeait un manifestant de poivre de Cayenne et rendue «célèbre» sur YouTube. «Elle s'est fait traiter de lesbienne frustrée sexuellement. On réduit le rôle de la femme à son pouvoir sexuel.»

leaclermontdion

Pour des femmes belles et bien dans leur peau

Depuis la création de la Charte de l'image corporelle saine et diversifiée, Léa Clermont-Dion a remarqué une «une prise de conscience collective sur la dictature de la beauté». Bien qu'elle n'ait pas remarqué un changement majeur dans l'industrie de la mode, le nombre de témoignages qu'elle reçoit de femmes insatisfaites des modèles maigrelets qui dominent les publicités lui confirment l'importance de sa Charte.

«J'ai réalisé à quel point les profits expliquaient tous les choix, explique-t-elle. Pour mettre fin à cette dictature de la beauté, il faudrait avoir les compagnies de notre bord.»

Mais la loi du marché n'est pas la seule à blâmer, selon Léa Clermont-Dion. Dans le contexte des élections, celle qui écrit présentement un essai sur le culte de la beauté dans la société rappelle que les politiciennes subissent, elles aussi, une grande pression de la part du public. «Le dilemme avec les femmes, c'est que nous devons absolument être belles pour réussir. Si nous le sommes trop, il est difficile d'obtenir une certaine crédibilité. Les femmes qui sont moins jolies ont plus de difficulté à se faire entendre. Nous sommes dans une société où les apparences comptent suvent plus que le contenu et c'est dommage.»

Ce qu'elles ont dit du tweet de François Legault

«Il prend les femmes pour des valises. Elle est finie depuis longtemps, la période du salaire d'appoint. Demandez à une femme enseignante si elle aimerait une augmentation de salaire, c'est sûr qu'elle ne dira pas non!»
- Françoise David

«Le travail des femmes est encore moins valorisé que celui des hommes et surtout, moins bien payé. L'égalité des sexes n'est pas atteinte, mais nous ne nous contentons pas d'un salaire moindre pour autant.»
- Esther Paquette

«Quand il dit ça, c'est comme si la pauvreté était quelque chose que tu pouvais souhaiter la fin de semaine. Il est complètement déconnecté de la misère et de la pauvreté. Il n'a jamais eu faim dans la vie, François Legault.»
- Mélissa Blais

«François Legault est un dinosaure jusqu'à preuve du contraire.»
- Léa Clermont-Dion, sur Twitter

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  • Marie Lacoste-Gérin-Lajoie (1867-1945)

    En 1893, elle est l'une des seules femmes francophones à militer au sein du Montreal Local Council of Women (MLCW), comité majoritairement anglophone et qui est l'un des premiers groupes féministes du Québec. Elle s'en dissocie en 1907 pour co-fonder la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB), qui s'adresse aux Canadiennes françaises catholiques. Elles militent contre l'alcoolisme, la violence domestique et l'abandon. Marie Lacoste-Gérin-Lajoie y occupera les fonctions de secrétaire (1907-1913) et de présidente (1913-1933). En 1902, elle publie le <em>Traité de droit usuel</em> à la suite de nombreuses lectures sur la situation juridique de la femme mariée au Québec. L'ouvrage devient une référence pour le militantisme féministe. Sa fille, Marie, a été la première bachelière du Québec.

  • Idola Saint-Jean (1880-1945)

    Professeure, actrice, écrivaine et politicienne, Idola Saint-Jean s'implique auprès du Comité du suffrage provincial du suffrage féminin dès ses premiers moments pour que les femmes obtiennent le droit de vote. Elle fonde, en 1927, l'Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec, qui mise davantage sur les femmes de la classe ouvrière. Elle multiple les écrits dans les journaux et déclarations pour que le gouvernement provincial accorde le droit de vote aux femmes. Elle ira même jusqu'à envoyer une pétition de 10 000 signatures au roi George V pour faire valoir sa cause.

  • Thérèse Casgrain (1896-1981)

    Grande humaniste, politicienne et fervente défenderesse de la justice sociale, Thérèse Casgrain milite pour le droit des femmes dès les années 1920. Par la suite, elle est présidente de la Ligue pour les droits de la femme jusqu'en 1942, année où elle se présentera en tant que candidate «indépendante-libérale» à une élection fédérale partielle. Adversaire politique de Maurice Duplessis, elle est la première femme à être chef d'un parti politique quand elle dirige le Parti social-démocratique (PSD) du Québec de 1951 à 1957, l'ancêtre du Nouveau Parti démocratique du Québec (NPQD). Ce n'est toutefois qu'en 1966 qu'elle fonde la Fédération des femmes du Québec (FFQ), figure toujours proéminente dans les droits des femmes d'aujourd'hui. Thérèse Casgrain devient ensuite sénatrice, est nommée officier de l'Ordre du Canada et obtient le Prix du Gouverneur général, en plus de recevoir des doctorats honorifiques en droit de douze universités canadiennes. Ouf!

  • Marie-Claire Kirkland-Casgrain

    Avocate de formation, Marie-Claire Kirkland-Casgrain s'illustre comme une pionnière en politique. Après s'être activement impliquée dans les formations libérales jeunesse, elle est élue à l'élection partielle de 1961. Première - et seule - femme de l'Assemblée nationale, elle occupe plusieurs ministères. Elle améliore grandement la situation des femmes du Québec en faisant adopter, notamment, en 1964, le projet de loi 16 sur la capacité juridique de la femme mariée et la loi établissant le Conseil du statut de la femme. Elle quitte la scène politique en 1973 pour devenir juge de la cour provinciale et présidente de la Commission du salaire minimum. Par la suite, elle est nommée par l'Ordre du Canada et reçoit le Prix du Gouverneur général.

  • Lise Payette

    D'abord animatrice à la radio et à la télévision, elle fait sa marque à Radio-Canada avec l'émission <em>Appelez-moi Lise</em>, qui fait d'elle une porte-parole du mouvement féministe québécois. Élue en 1976 sous le gouvernement de René Lévesque, elle occupera trois ministères, dont celui de la Condition féminine. Lise Payette sera d'ailleurs la première femme à s'appeler «la» ministre. Elle réussit à obtenir de meilleurs services de garde pour les enfants, la création de centres d'aide pour femmes et des fonds accrus pour les femmes monoparentales. De plus, Lise Payette réussit à imposer des bureaux de la condition féminine dans pas moins que douze ministères. À la suite du référendum de 1980, elle décide de ne pas se représenter en 1981 et devient auteure et productrice pour la télévision. Elle est maintenant chroniqueuse au journal Le Devoir et effectue un <a href="http://quebec.huffingtonpost.ca/2012/05/29/lise-payette-radio-canada_n_1553056.html" target="_hplink">bref retour radiophonique</a> à Radio-Canada.