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Témoignages de féministes dans le monde

L'œil de la rédaction

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Témoignages de féministes dans le monde

"Les Rwandaises ont réussi à sortir le pays du chaos"

Immaculée Ingabire, coordinatrice de la coalition contre les violences faites aux femmes


"Le génocide contre les Tutsis a provoqué de profonds changements. Alors que beaucoup d’hommes étaient morts ou dans l’incapacité d’agir, les femmes ont pris des responsabilités et ont montré qu’elles pouvaient être à la hauteur. Bien qu’elles aient été victimes de viols massifs, les Rwandaises ont réussi à sortir le pays du chaos. Ce qui a brisé le machisme traditionnel.

56,2% de femmes parlementaires

Depuis, d’immenses progrès ont été réalisés sur le plan juridique. Les femmes représentent 56,2 % des députés à l’assemblée. Elles ont acquis le droit d’hériter de leur père et de divorcer. Le viol, y compris le viol conjugal, est condamné par la loi. Toute forme de violence contre les femmes est reconnue comme un délit de coups et blessure. On applique la politique de la tolérance zéro.
 
Mais tout n’est pas résolu. S’il existe une véritable volonté politique en faveur des droits des femmes, il faut encore faire évoluer les mentalités. Et montrer que la culture n’est pas immuable, que toute société est capable de faire évoluer ses traditions. Aujourd’hui, je vise les générations futures."

"Les Camerounaises n’ont aucune responsabilité politique"

Alice Nkom, avocate pour le droit des femmes et des homosexuels


"Je tire mon chapeau à toutes ces femmes camerounaises qui parviennent à nourrir et éduquer leurs dix enfants avec à peine 40 000 CFA (60 euros) par mois. Quel responsable du FMI parviendrait à relever un tel défi qui tient pour moi du miracle !
 
Avocate pionnière au Cameroun, je me suis notamment battue pour que l’adultère commis par un homme soit autant puni que lorsqu’il s’agit d’une femme. La loi n’a toujours pas changé mais dans les faits, les tribunaux ont évolué sur cette question. Les camerounaises ont aussi acquis le droit de succession et le droit de sortir du pays sans demander l’autorisation à leur mari. Mais elles restent toujours très mal loties.
 
Le plus grand combat à mener aujourd’hui est d’ordre politique. Alors qu’elles composent plus de la majorité de la population, les Camerounaises n’ont aucune responsabilité politiques. Elle sont quasiment absente du gouvernement. Le seul ministère qu’on leur confie est celui de la condition féminine et encore… Le budget de ce poste est ridicule.
 
Donner l'exemple

Au Gabon, après le décès du président Omar Bongo, trois femmes ont joué un rôle clef dans la gestion sa succession et dans l’organisation des élections : la présidente du Sénat, la présidente du Conseil constitutionnel et la ministre de la Communication. Des responsabilités qu’elles ont pleinement assumées. Au Cameroun, cela paraît impossible. Je n’arrête pas d’interpeller notre président sur cette question. Il faut absolument qu’il donne l’exemple en nommant des femmes à des postes de responsabilité. Sinon rien ne changera."

"Une manipulation islamiste" en Algérie

Wassyla Tamzali, avocate, présidente du Forum des Femmes Méditerranée en Algérie et ancienne directrice des droits des femmes à l’Unesco

 
"Quand la philosophe française Elisabeth Badinter parle d’offensive naturaliste nourrie d’écologisme extrémiste, c’est pour moi une réflexion de riches. En Algérie, les femmes doivent faire face à une offensive beaucoup plus dangereuse. Celle de l’islamisme.
 
Aujourd’hui il existe un féminisme islamique qui essaie d’améliorer la situation des femmes dans le cadre du dogme coranique, qui joue sur la liberté d’interprétation. Certaines pensent qu’il est possible de conserver un rapport à Dieu tout en se battant pour la reconnaissance des droits des femmes. Une réflexion qui nous vient notamment d’Asie.
 
Je pense que c’est un piège, une manipulation islamiste ou pire encore une alliance avec les islamistes. L’islam ne reconnaît pas l’égalité entre les hommes et les femmes. Toute religion est un instrument politique au service du pouvoir.
 
Des principes éthiques

Le féminisme ne se limite pas à la question juridique des droits, il inclut des principes éthiques. C’est un mouvement révolutionnaire qui doit aboutir à l’abolition des rapports de domination, qui doit mettre fin au patriarcat. S’il n’est pas mené jusqu’au bout, il reste constamment menacé de mort.
 
En Algérie, il est donc indispensable de rétablir la liberté de conscience, de faire respecter la démocratie, de re-politiser les sujets et de sortir du relativisme culturel, entretenu notamment par les Européens et les féministes occidentales qui méconnaissent l’islam. Il n’y a aucune fatalité."

"Les filles voilées dérangent l'orthodoxie islamique" en Turquie

Nilüfer Göle, sociologue

"La société civile turque est très vivante et les femmes y jouent un rôle essentiel. Elles participent aux luttes contre les discriminations, font pression pour faire évoluer les lois et les mentalités. Les problèmes que rencontrent les femmes dans leur quotidien ne sont pas restés tabou. Il y a eu une prise de conscience collective. Par exemple, la réforme du code pénal en 2004 représente une belle avancée pour le droit des femmes. Et ces transformations ne sont pas dues aux pressions de l'Union européenne. C'est le résultat d'une mobilisation sociale et politique.

Il est vrai qu'avec un gouvernement islamique, la  laïcité en Turquie est mise à l'épreuve mais elle n'est pas menacée. La question du foulard, qui a surgi en Turquie dans les années 80, a provoqué d'importantes divisions. Mais aujourd'hui, les filles voilées s'autonomisent et dérangent l'orthodoxie islamique. Elles s'approprient la littérature féministe, développent leur propre discours sur les droits des femmes, elles s'investissent dans la sphère publique. Certaines, journalistes ou écrivaines, sont devenues des figures publiques, des porte-paroles. C'est une autre affirmation de soi qui ne passe pas par une libération du corps comme dans les années 70.

le féminisme occidental a loupé son rendez-vous avec l'islam

En Occident, j'ai l'impression que le féminisme a loupé son rendez-vous avec l'islam. Le discours dominant reste empreint d'arrogance, de colonialisme et de préjugés envers les femmes musulmanes. Je pense que l'on devient féministe à la lumière des autres femmes et de leur expérience. La société doit rester ouverte. Face au problème kurde, par exemple, la Turquie s'est crispée. Redoutant l'implosion de l'unité nationale, elle a refusé d'écouter cette minorité. Il y a eu blocage et le problème s'est empiré.

A mes yeux, un des problèmes qu'il faut régler d'urgence en Turquie est celui des crimes d'honneurs. Des familles qui tuent leur fille pour laver leur honneur.  J'analyse ce phénomène comme une des conséquences de la modernisation et de l'exode rurale. Contraintes de quitter leur terre, des populations rurales se retrouvent dans des milieux urbains plus ouverts qui fonctionnent selon d'autres codes et d'autres moeurs. Ce qui crée des tensions entre les communautés. Et les femmes en sont alors les premières victimes."

"Les Indiennes bénéficient d’excellentes politiques publiques"

Urvashi Butalia, directrice de la maison d’édition féministe Zubaan

 
"En Inde, les femmes sont partout dans la société. On les retrouve aussi bien au sommet de la pyramide social, dirigeants les plus grandes entreprises du pays, qu’au plus bas de l’échelle, vivant dans une très grande misère.
 
Aujourd’hui, elles bénéficient d’excellentes politiques publiques. Dans les plans gouvernementaux, elles ont une place spécifique. Par exemple, nous avons obtenu une loi condamnant les violences domestiques, une des meilleures au monde, je pense. En fait, les principaux problèmes pour les Indiennes sont d’ordre sociaux : la pauvreté, la faim, la santé. Mais sans se revendiquer féministes, de nombreuses femmes se mobilisent sur ses questions.
 
Bien qu’elle n’ait pas été initiée par les féministes indiennes, je pense que la plus importante des réformes a été l’obtention de quotas en 1992 aux élections municipales. Cela a entraîné de profonds changements à l’échelle locale. D’ailleurs, depuis ce succès, les hommes politiques refusent d’avoir un système similaire pour les élections législatives. Le gouvernement a aussi instauré un salaire journalier minimum qui permet d’embaucher les femmes pour de petits travaux d’intérêts publics, ce qui les aide à sortir de la misère.
 
La religion, un précieux soutien

Sur le plan religieux, les féministes indiennes ont réalisé un gros travail d’autocritique. Elles continuent de condamner l’intégrisme tant hindouiste que musulman mais reconnaissant certaines vertus à la religion. Par exemple, pour certaines femmes hindoues, la sortie au temple reste la seule sortie qu’elles se permettent, c’est le seul lien de socialisation qui leur reste. Pour les plus démunies, la religion reste un précieux soutien psychologique et moral. Les féministes indiennes mènent aussi des réflexions sur l’amour, sur la nature des relations au sein des couples et ne s’opposent pas nécessairement aux mariages arrangés largement majoritaires en Inde.
 
La situation est donc complexe. Et parfois je trouve que les féministes occidentales refusent d’analyser cette complexité et considèrent l’Inde comme en retard. Or, il ne faut pas voir les mouvements des femmes comme une évolution historique mais comme une multitude de réalités."

"Ces avancées sont menacées par le retour des taliban"

Shoukria Haida, présidente de Negar, association de femmes afghanes


"En Afghanistan, les rapports sont très agressifs. Les droits des femmes ne sont pas respectés bien qu’il y ait eu des améliorations après les chutes des taliban. Les femmes ont pu recommencer à travailler, à sortir de chez elles et à amener leurs filles à l’école. Même s’il y a encore beaucoup de lacunes, des choses ont été faites. Après deux ans de mobilisation en organisant des pétitions et des conférences dans les provinces les plus peuplées du pays, nous avons réussi à faire inscrire en 2004 le principe d’égalité hommes/femmes dans la constitution afghane.
 
Une star Ac' à l'afghane

La société afghane évolue. Par exemple, nous avons aussi une émission de Star Academy. Filles et garçons y participent. D’ailleurs, une des candidates qui a fini bien placée est désormais chanteuse et femme politique. Elle a été élue aux élections municipales de Kaboul et va se présenter aux prochaines législatives. Elle se bat désormais à nos côtés pour le droit des femmes.
 
Mais aujourd’hui, ces avancées sont menacées par le retour des Taliban au pouvoir. La politique de la main tendue d’Hamid Karazaï a été validée à la conférence de Londres en janvier 2010. Ce qui est une honte pour l’Afghanistan et le monde. Pour moi, la priorité aujourd’hui, c’est de refuser farouchement le partage du pouvoir avec cette milice que constituent les taliban."

Au Chili, "le féminicide demeure au centre de nos actions"

Ana María Portugal, journaliste coordinatrice générale de l'ONG féministe ISIS International


Avec les guérillas, les mouvements révolutionnaires qui se sont opposés aux dictatures latines dans les années 70, les droits des femmes ont gagné du terrain. On a incorporé un regard social et politique à l'action des femmes. Après des années de travail, certes la discrimination et la violence ne se sont toujours pas éradiquées mais on a fait beaucoup des progrès.

Le « féminicide » ("femicidio" en espagnol désigne les assassinats violents de femmes commis par des hommes, NDLR) que nous dénonçons demeure au centre de nos actions. On est passé du discours de victimisation à celui de réaffirmation. On donne aux femmes des outils pour en finir avec cette représentation dramatique et prendre les choses en mains pour réagir. Le Chili est un pays moderne, où il existe des lois en faveur des femmes, mais le sujet central reste les mentalités. Une loi de protection ne sert à rien si on se confronte à l'incompréhension et l'incompétence des juges et des avocats.

Les nuisances médiatiques

Pour moi, le défi plus important est celui de la culture et des messages médiatiques. On peut faire une marche géante le 8 mars avec des pancartes
«arrêtons la violence», mais le soir à la maison la télévision défait tout avec ses programmes tels que les shows-réalité et les «telenovelas». Le message que véhiculent les médias n'arrange en rien notre combat. Pour cela, il est impérative que le mouvement féministe puisse rompre ce cercle médiatique.

Il existe des expériences notables comme l'Agence de presse de la femme crée au Mexique, ainsi que des réseaux des femmes journalistes qui s'engagent à faire évoluer les contenus. Cela n'est pas une tâche facile mais, à mon avis, c'est une stratégie à long terme qui nécessite un travail critique et permanent.

Il y a aussi des événements importants qui font changer les idées reçues. Michelle Bachelet (présidente du Chili de 2006 à 2009, NDLR) est une pionnière. Elle a ouvert un espace, initié une nouvelle façon de gouverner. Sous son mandat, il y a eu des avancement notables à travers les politiques sociales qu'elle a lancées avec les femmes de son pays. Après de débats houleux la pilule du lendemain sera distribuée, c'est un pas énorme !

Ce qui compte, c'est que toutes ces batailles puissent perdurer dans le temps. Un gouvernement rétrograde peut faire rapidement reculer ces luttes. Je reste optimiste puisque s'annoncent des moments de questionnements et de rébellion. Le plus important pour moi est de donner des outils aux femmes pour qu'elles puissent dire non. Jamais me droits ne seront bafoués. Je ne le permettrai pas. Je ne serai plus passive, je vais continuer à me battre! »

"Les femmes russes sont encouragées à rester chez elles"

Svetlana Aivazova, sociologue intervenant pour des ONG sur la question de genre, traductrice du "Deuxième sexe" en russe.


"Avec la crise économique, le problème majeur est le travail et les bas salaires. En Russie, le taux d’activité des femmes reste très élevé. Bien qu’elles ne parviennent pas aux postes les plus hauts, elles accèdent assez facilement aux postes d’encadrement. Les entrepreneurs les considèrent globalement mieux éduquées, plus attentives et responsables. Il faut dire que les femmes russes ont accès à l’enseignement supérieur depuis plus d’un siècle.

Mais aujourd’hui, avec une baisse de la fécondité et une augmentation du chômage, les femmes sont encouragées à rester chez elles. Pourtant, la plupart des familles russes ont besoin de deux salaires pour vivre correctement. Deux tiers des femmes russes vivent dans des conditions très précaires. Dans le secteur du textile, on demande une revalorisation des grilles de salaires.
 
Les femmes se heurtent à d’importants problèmes de garde. A l’époque soviétique, toutes les usines d’État disposaient d’une crèche. Aujourd’hui, dans le cadre de la propriété privée, les entrepreneurs n’ont plus d’obligation dans ce domaine.
 
Menace sur le droit à l'avortement

Sous l’influence de l’église orthodoxe qui intervient de plus en plus dans les politiques publiques, l’image de la mère est fortement revalorisée. Le droit à l’avortement est remis en cause. Des députés ont demandé à ce que l’avortement devienne payant. Les violences conjugales posent aussi de sérieux soucis. Nous réclamons une loi qui condamne enfin les violences domestiques.
 
Dans ce contexte, la question de la représentation politique des femmes est passée au second plan. Pourtant, en Russie, les femmes avaient été combattives dans ce domaine. Dans les années 90, des listes composées uniquement de femmes avaient été présentées aux élections législatives."
 
Propos recueillis par Camille Sarret et Paola Martinez
Février 2010

Une femme en colère

Zoom:Une femme en colère
Dans son dernier livre, Une femme en colère (Gallimard), Wassilya Tamzali, algérienne féministe, interpelle les intellectuels occidentaux qui se sont battus pour l'universalité des droits de la personne humaine, et se montrent aujourd'hui incapables de penser cette universalité au-delà de l'Europe.

Musulmanes et modernes

Zoom:Musulmanes et modernes
Dans son ouvrage, Musulmanes et modernes, la sociologue d'origine turque Nilüfer Göle révèle un nouveau profil de la femme musulmane voilée. Une femme qu'elle décrit comme éduquée, urbanisée, non cantonée à l'espace intérieur. 

Le féminisme islamique aujourd'hui

Un numéro spécial de Critique internationale (SciencesPo - Ceri)

Vingt ans après l’apparition du concept de féminisme islamique forgé à partir de la situation iranienne, il convient de dresser le bilan d’un débat toujours polémique et trop souvent ignoré. Les contributions réunies ici témoignent d’un parti pris d’acception large du concept : de la formulation d’un discours intellectuel, universitaire ou militant, aux mouvements sociaux ; du rôle des partis et des organisations islamiques à l’élaboration de nouvelles subjectivités féminines. En revenant sur les enjeux d’un débat mondialisé et sur ses diverses expressions en Iran, au Maroc et en Arabie Saoudite, ces pistes de recherche permettent d’envisager autrement la troisième vague du féminisme dans les mondes arabe et musulman.

Une livraison passionnante de l'excellente revue du Ceri, sous la direction de Stéphanie Latte Abdallah

Élections en Russie : répartition des élus selon les genres

Un livre de Svetlana Aivazova

Dans cet ouvrage paru en 2008, en Russe et en Anglais (Moscou, Consortium of Women’s Non-Governmental Associations, 2008), la politologue aborde la scène politique récente, du point de vue de l'étude des genres, de la présence des femmes par rapport à celle des hommes, une perspective très novatrice et dérangeante dans ce pays où les femmes ont presque disparu des assemblées avec le passage à la démocratie...
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