Économie

Recherché en Suisse, recruté par Bercy

Le Monde | • Mis à jour le |

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C'est un café chic entre le Louvre et la Seine. Il arrive, élégant, une trottinette de ville noire repliée à la main. Un client ordinaire, si ce n'étaient ces policiers en civil dissimulés sur la terrasse auxquels il doit signaler régulièrement, par texto, ses intentions. S'il part. S'il reste.

Depuis début octobre, Hervé Falciani est l'un des hommes les mieux protégés de France. Ce Franco-Italien de 41 ans, ancien informaticien de la banque HSBC de Genève, a fui la Suisse fin 2008 en emportant 127 000 noms de clients étrangers y possédant un compte. C'est lui qui a mis au jour la plus grande affaire au monde de fraude et d'évasion fiscales présumées. Il fait depuis l'objet d'un mandat d'arrêt international lancé par la Suisse pour vol et violation du secret bancaire.

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Ses révélations - touchant à des intérêts économiques puissants, à des réseaux de blanchiment d'argent issu d'activités criminelles qui pourraient vouloir le faire taire - ont déclenché des enquêtes aux Etats-Unis, en Espagne, en Italie et, depuis avril, en France. Ce qui lui vaut d'être protégé par tous ces pays.

Le 4 octobre dernier, après des années de blocage sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France a donné un coup d'accélérateur au dossier. Après la justice, Bercy a annoncé son intention de coopérer avec Hervé Falciani au sujet des listings dérobés. Et de travailler avec lui sur un outil de contrôle des flux bancaires à même de juguler la fraude. Pour le "voleur de fichiers", c'est un soutien de poids, bien plus important que la place de chercheur que lui a offerte la France en 2010 à l'Inria, laboratoire public d'innovation numérique.

La collaboration avec le ministère de l'économie et des finances lui confère un statut "politique". Afin d'assurer sa protection, l'Etat met à sa disposition des logements sécurisés, loués sous des noms d'emprunt, pour qu'il ne reste jamais au même endroit. Et qu'il tienne sa femme et sa fille loin de la tourmente.

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"Je m'expose davantage. Je deviens plus dangereux, lâche Hervé Falciani sans ciller. C'est le prix à payer pour la cause que je défends et que je ne lâcherai pas, la mise sous contrôle d'une finance mondiale complaisante - sinon complice - avec l'argent sale..." Ceux qui ont approché l'homme - tel le député socialiste du Cher Yann Galut, rapporteur du projet de loi contre la fraude fiscale - le disent "déterminé, solide, cohérent". Mais les ressorts intimes du personnage, justicier solitaire moderne lancé à l'assaut du système, restent flous...

Bridé par le secret judiciaire, dans l'incapacité de lever les parts d'ombre de son histoire (notamment sur le rôle exact des services secrets qui l'ont aidé dans sa fuite) et se refusant à livrer les noms présents sur les listes, Hervé Falciani entretient le mystère. Mais émaille aussi son récit de cailloux blancs. Banquier à Monaco, son père lui aurait enseigné l'importance de l'éthique à la fin des années 1980. Après des études de mathématiques appliquées, il fait ses débuts dans la succursale de HSBC à Monaco, pour informatiser les passages d'ordre de Bourse, où, selon lui, il contribue - déjà - à déceler une fraude. En 2001, il est promu à Genève, où il découvre "le monde des gestionnaires" qui, dira-t-il au juge, organisent l'opacité.

En 2006, il décide de dénoncer le système : "J'en avais trop vu. Il était impossible de me taire. Si je ne l'avais pas fait, personne d'autre à ma place ne l'aurait fait." Il obtient de l'aide auprès d'experts anticorruption. Et élabore sa stratégie. C'est au Liban qu'il déclenche toute l'affaire, se fait arrêter en Espagne et coopère avec le parquet anticorruption de Madrid. Devenu le symbole de la lutte contre la fraude, Hervé Falciani dit ne poursuivre qu'un seul but : "Terminer [sa] mission auprès des pays qui [le] soutiennent." Jusqu'à pouvoir un jour retrouver sa liberté.

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