Économie

Paradis fiscaux : Londres, Washington et Canberra passent à l'offensive

Le Monde | • Mis à jour le | Par

 Singapour

C'est un nouveau coup de semonce pour les paradis fiscaux, ces trous noirs de la finance mondiale où vient se cacher l'argent issu de l'évasion et de la fraude fiscales. Les grands pays du G20 semblent désormais vouloir les "discipliner".

Un mois tout juste après les révélations de l'enquête OffshoreLeaks – à laquelle a participé Le Monde – les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie ont annoncé de concert, jeudi 9 mai, avoir mis la main sur des données comparables à celles obtenues par le consortium d'investigation américain ICIJ qui fut à l'origine de l'OffshoreLeaks.

Ces données portent sur la création de sociétés offshore, par des entreprises et par des individus, dans les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques et les îles Cook, ainsi qu'à Singapour. Soit exactement le même sujet et le même périmètre que ceux couverts par l'OffshoreLeaks.

Selon l'ICIJ, il pourrait d'ailleurs s'agir des mêmes fichiers, même si les données entre les mains des trois pays semblent plus volumineuses encore. Un proche du fisc britannique a confirmé au Monde que cela "semble être le cas". Jamais les Etats n'avaient accédé à des données d'une telle ampleur.

Selon l'administration fiscale du Royaume-Uni, les fichiers informatiques en possession des trois Etats représentent, en termes de masse de données, 400 gigaoctets. Pour l'OffshoreLeaks, ce chiffre s'élevait à 260, soit l'équivalent de 160 WikiLeaks – l'affaire de câbles diplomatiques divulgués en 2010. Ces données avaient alors permis la mise au jour de plus de 122 000 sociétés opaques.

Le fait que ces fichiers secrets soient entre les mains d'Etats, et non plus seulement de journalistes – qui, tenus à la protection des sources, ne pouvaient les livrer au fisc ou à la justice – annonce des heures difficiles pour les fraudeurs, qui n'ont pas déclaré les fonds déposés sur les comptes de ces sociétés.

Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie précisent ainsi qu'ils ont commencé à travailler ensemble, pour remonter jusqu'aux propriétaires réels de ces sociétés offshore, dissimulés derrière des prête-noms (des actionnaires et des dirigeants fictifs). Une coopération d'un genre et d'une importance inédits.

"Le HM Revenue and Customs [l'administration fiscale du Royaume-Uni] travaille avec [ses homologues] américaine et australienne [respectivement l'IRS et l'ATO] sur ces données, qui révèlent que des entreprises et de riches particuliers ont recouru massivement à des structures offshore complexes pour cacher des actifs", écrit le fisc britannique, jeudi, dans un communiqué. Une centaine de propriétaires de ces sociétés auraient d'ailleurs déjà été identifiés outre-Manche et seraient sous le coup d'enquêtes, de même que 200 intermédiaires ayant aidé à la création de ces entités (comptables, avocats, conseillers fiscaux, etc.).

"NE LAISSER NUL ENDROIT OÙ ALLER"

"Si vous fraudez le fisc, vous nous aurez à vos trousses, a lancé, jeudi, à l'adresse de ses concitoyens, le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, décidé à frapper un grand coup. L'utilisation de structures offshore pour cacher illégalement des actifs ou des revenus n'est plus tolérable."

"Les résidents britanniques qui ont recours à ces structures offshore seraient bien avisés de faire le point sur leur situation fiscale, et de demander conseil, pour s'assurer qu'ils sont en règle avec la loi britannique", écrit de son côté le fisc.

Le fisc américain, lui, estime que cette coopération nouvelle engagée avec le Royaume-Uni et l'Australie vise un objectif très ambitieux : "Ne laisser nul endroit où aller à ceux qui essaient d'échapper illégalement à l'impôt", indique l'IRS.

Cette déclaration a de quoi réjouir l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le secrétaire général, Angel Gurria, avait prédit, le 6 avril 2009, dans un entretien au Monde, que "celui qui veut frauder n'aura bientôt nulle part où se cacher". L'OCDE venait alors d'être mandatée par le G20, réuni à Londres, pour établir une liste noire des pays non coopératifs en cas d'enquêtes fiscales.

ACCENTUER LA PRESSION

L'enquête menée conjointement par trois grands Etats, visiblement désireux de prendre la tête du combat contre la fraude fiscale, afin de récupérer de l'impôt, va accentuer la pression sur les territoires et les pays les plus réticents à lever leur secret bancaire, totalement et sans condition, et à coopérer. Comme, jusqu'à présent, dans l'Union européenne, la Suisse, le Luxembourg et l'Autriche

"Depuis un mois qu'a éclaté l'affaire OffshoreLeaks, on assiste à une accélération de l'Histoire. Il faut s'en féliciter, déclare Daniel Lebègue, président de l'Organisation non gouvernementale anticorruption Transparency International, ancien directeur du Trésor et ancien directeur général de la Caisse des dépôts. Les politiques sont face à leurs responsabilités. Ils se doivent de prendre le problème de l'évasion fiscale avec le plus grand sérieux."

L'enquête conduite par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie sera, à ce titre, suivie de près par les autres pays membres du G20. Ceux-ci n'ont déjà qu'une question en tête : pourront-ils accéder à leur tour aux données confidentielles sur les propriétaires des sociétés offshore, afin d'identifier leurs propres résidents ? Les trois pays laissent entendre que cela pourrait être possible…

Lire :  "Offshore Leaks : Cazeneuve souhaite récupérer les données concernant les Français"

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