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Les paradis fiscaux coûtent à la France 60 à 80 milliards d'euros par an

Le Monde | | Par

Le fichage par l'OCDE des pays non coopératifs en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ira de pair avec des sanctions fiscales.

Près d'un an de travail et des centaines d'heures d'auditions à huis clos, dont certaines hautement confidentielles et sensibles, de hauts fonctionnaires de l'administration fiscale, de juges anticorruption, de régulateurs, d'experts de la lutte contre la fraude, de fiscalistes et de financiers de haut vol de Genève ou de la City, restituées dans un rapport à la fois dense et précis de 325 pages...

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Mercredi 9 octobre, les députés de l'Essonne Nicolas Dupont-Aignan (non inscrit) et du Nord Alain Bocquet (communiste), responsables d'une mission d'information sur les paradis fiscaux, constituée en novembre 2012, ont présenté le résultat de leurs investigations devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale.

"POISON MODERNE DES DÉMOCRATIES"

Le premier intérêt de ce rapport est de dresser un nouvel état des lieux, documenté et chiffré, de ce qu'ils nomment "le poison moderne des démocraties", en révélant des sommes, des lieux, des noms de multinationales s'adonnant à une optimisation abusive de leurs impôts via la technique financière des prix de transfert (qui revient à transférer les bénéfices dans les pays à fiscalité faible voire nulle).

Selon les informations obtenues par MM. Dupont-Aignan et Bocquet, issues de données de l'administration, la fraude fiscale entraîne un manque à gagner de 60 à 80 milliards d'euros chaque année pour la France et le budget de l'Etat - à comparer aux 53 milliards d'euros de recettes de l'impôt sur les sociétés - et une perte de... 2 000 milliards d'euros pour l'ensemble de l'Union européenne !

C'est mille milliards de plus que la précédente évaluation livrée au début de l'année par le Parlement européen. Ce nouveau chiffrage provient d'une étude sur la fraude totale aux prélèvements obligatoires dans l'Union, réalisée à la demande de la Commission européenne et datée du 20 septembre.

LES "CARROUSELS DE TVA"

S'agissant de la fraude à la TVA, la perte est chiffrée à 193 milliards d'euros par an, soit 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) européen, avec des pics en Italie (36,1 milliards d'euros) et en France (32,2 milliards, soit trois fois l'estimation du ministère des finances français).

Les "carrousels de TVA" (en fait, de l'escroquerie organisée entre plusieurs entreprises établies dans des Etats différents) représenteraient le tiers de la fraude, soit 10 milliards d'euros en France.

Au total, selon une estimation découlant des travaux de Gabriel Zucman, de l'Ecole d'économie de Paris, il y aurait dans les paradis fiscaux près de 600 milliards d'euros d'avoirs appartenant à des résidents français, des grosses fortunes (220 milliards, l'équivalent de 10 % du PIB de la France) et des entreprises (360 milliards).

"PASSER DES PAROLES AUX ACTES"

Le second intérêt du rapport déposé devant la Commission des affaires étrangères, ce sont les 45 propositions très concrètes qu'il formule, des réponses juridiques et politiques au problème de la fraude et de l'évasion fiscale internationales. Celles-ci correspondent, pour beaucoup, à des demandes de magistrats, de fonctionnaires ou de juges anticorruption butant sur les failles du droit international.

S'il s'agit du neuvième rapport parlementaire en quinze ans sur les territoires offshore et la grande délinquance financière - ceux de Vincent Peillon et Arnaud Montebourg en 2001, puis de Didier Migaud et Gilles Carrez en 2009 ayant fait date - celui-ci a de meilleures chances d'être regardé avec attention par le gouvernement, dans un contexte post-affaire Cahuzac en France et, à l'international, de mobilisation active du G20 contre les fraudeurs à l'impôt.

Un projet de loi de lutte contre la fraude fiscale est en cours d'examen au Parlement, mais il est jugé insuffisant pour réduire les angles morts de la régulation, dans lesquels la fraude se développe, par bon nombre d'experts.

"Il est temps de passer des paroles aux actes et de mener la guerre contre la fraude qui met en péril nos économies en crise et sape le principe républicain d'égalité devant l'impôt, déclare au Monde M. Bocquet. L'Europe souffre d'une paralysie congénitale et la France d'une frilosité. Il faut mettre fin à la faiblesse des Etats face aux mafias de la fraude fiscale et aux intermédiaires favorisant l'optimisation fiscale, banques ou avocats, qui ont tous une responsabilité."

"PILOTAGE AU PLUS HAUT NIVEAU"

"Je le dis haut et fort. Nicolas Dupont-Aignan et moi-même avons été frappés par l'étendue de la fraude et par la grande porosité entre l'argent propre et l'argent sale, poursuit le député du Nord. La France et l'Europe doivent agir pour récupérer les recettes fiscales qui leur manquent cruellement et permettraient de soulager la pression fiscale sur les populations et d'apaiser ces débats que l'on connaît aujourd'hui en France sur le poids de l'impôt."

M. Bocquet pointe cette incongruité économique, qui illustre le caractère artificiel de l'économie de certains pays, dont l'activité purement financière est déconnectée de l'économie réelle : "Est-il normal que Jersey soit le premier exportateur de bananes dans le monde ? Que Genève soit le premier exportateur de pétrole ?"

Parmi les préconisations des parlementaires, retiennent l'attention au plan national : la création d'un comité interministériel de lutte contre la fraude, placé sous l'égide du premier ministre, pour "un pilotage au plus haut niveau" ; ou l'association du Parlement au dispositif, via la création d'un Observatoire parlementaire en lien avec les administrations sociales et fiscales, à qui seraient transmises des statistiques détaillées du contrôle fiscal.

Au plan international, le rapport pousse la France à l'action, pour obtenir la levée du secret bancaire dans les dernières grandes places fortes financières (Suisse, Luxembourg, Singapour etc.) et accélérer le passage à un système mondial d'échanges automatiques de données bancaires sur les contribuables. "Ce genre de guerre ne peut être gagné que si tout le monde s'y met", concluent les deux députés.

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