Jérusalem envoyé spécial

Courtaud, pataud, bedonnant, mal à l'aise dans son corps, avec un visage poupin sur lequel flotte en quasi-permanence un énigmatique petit sourire, il fait un peu chef scout vieilli. Et on ne l'imagine pas en blonde. Pourtant, à Beyrouth en 1973, Ehud Barak s'était bel et bien travesti en jeune femme. Il dirigeait alors un commando israélien chargé d'assassiner trois responsables de l'OLP. Mission accomplie. L'année précédente, déjà colonel, il s'était déguisé en mécanicien de la compagnie El Al pour mettre fin à un détournement d'avion de la Sabena par un groupe palestinien. Mission encore accomplie: les terroristes furent éliminés. Il y aura d'autres missions, aussi périlleuses.

Soldats-barbouzes. Ehud Barak appartient alors aux «commandos du chef d'état-major», dont la vocation est d'agir derrière les lignes adverses. Etrange unité où la discipline compte moins que la personnalité et les capacités d'initiative des soldats-barbouzes qui la rejoignent. Barak y excellera. Plus tard, il accédera au poste de chef d'état-major de Tsahal, où il termine sa carrière en 1995. Lorsqu'il prend sa retraite, il est l'homme le plus décoré de l'histoire d'Israël.

Dans ses spots télévisés, certains des faits d'armes de Barak sont complaisamment rappelés. Israël a sans cesse besoin d'être rassuré et «le militaire numéro un» du pays s'y emploie. A l'armée, il n'a pas été qu'un baroudeur à l'endurance légendaire. Il a été un organisateur, un planificateur, un préparateur méticuleux d'opérations complexes. Ehud Barak aime assembler. Adolescent, il excellait dans son kibboutz natal à démonter et à remonter les pistolets-mitrailleurs Uzi. A l'armée, il faisait de même avec les serrures et des mécanismes d'horlogerie. Aujourd'hui, il aime bricoler des montres. Cette minutie, ce goût de rassembler des éléments épars, on les retrouve dans son jeu politique. Barak a mené une campagne précise, sans à-coups, soucieuse de rassembler et de n'oublier aucune des communautés du patchwork israélien. De Gaulle et Napoléon. L'homme est un tacticien. Vendredi, devant ses conseillers en communication américains médusés, il a fait l'éloge du Fil de l'épée et de Vers l'armée de métier, écrits par un certain Charles de Gaulle. Napoléon est l'autre militaire qu'il admire. Aux Guignols de l'info israéliens, il apparaît sous cette caricature. Cette campagne, beaucoup ont pu la trouver terne sur le plan médiatique. A la différence du «magicien» Netanyahou, capable de faire flamber les foules sous ses harangues, le leader travailliste manque de charisme. On le sent timide. Une réserve que l'électorat israélien, qui aime les meneurs, n'apprécie pas toujours.

Dans son entourage, beaucoup craignaient un second tour et l'inévitable débat télévisé où Bibi risquait de le malmener. Pourtant, l'homme est brillant. «Il est anormalement intelligent», confie son ami et conseiller privé, Jean Frydman. Justement, à cause de tous ses talents (c'est un pianiste doué, un excellent mathématicien, un ingénieur diplômé de l'université américaine de Standford, un physicien qui excelle à parler littérature), n'est-il pas trop content de lui? Ehud Sprinzak, chercheur en sciences politiques à l'Université hébraïque, estime dans le Jérusalem Post qu'il est «un penseur brillant et fin, ayant une vision stratégique à long terme» et qu'il est aussi «un homme honnête». Mais, ajoute-t-il, «Barak vous donne l'impression qu'il est plus doué que n'importe qui au monde. Et il n'est pas particulièrement doué pour les relations humaines. Il s'est aliéné pas mal de gens dans son parti». A l'évidence, Rabin, l'homme qui a encouragé ses premiers pas en politique et dont il se veut l'héritier, séduisait davantage. «Barak est méfiant, c'est normal pour qui vient du renseignement militaire. Mais il est plus ouvert, plus créatif et plus ouvert que Rabin. Malgré les apparences, il est aussi moins militaire, avec une vision plus large d'Israël au Moyen-Orient. Ce n'est pas les Palestiniens qu'il craint, mais l'Irak et l'Iran», estime Frydman. Il a aussi une approche globale de la sécurité d'Israël, qui intègre la force militaire, mais aussi sa situation économique, sa prospérité, sa cohésion ethnique.

De belles bourdes. Ehud Barak revient de loin. A 57 ans, il n'a qu'une courte carrière politique derrière lui. Comme ministre de l'Intérieur de Rabin, puis, brièvement, chef de la diplomatie de Shimon Pérès, qu'il écartera de la direction travailliste. A ses débuts, il a fait quelques belles bourdes, déclarant que, Palestinien, il aurait été terroriste. Ses débuts dans le parti furent difficiles. Ce n'est que récemment qu'il a grimpé dans les sondages.

«Ce n'est pas une colombe, c'est un faucon sécuritaire, un centriste; c'est ce que les Israéliens veulent et dont ils ont besoin aujourd'hui», résume Ehud Sprinzak. Il s'est abstenu d'entériner la dernière mouture de l'accord d'«Oslo 2» lors de sa présentation au sein du cabinet Rabin. Lors de la guerre du Golfe, en 1991, alors chef d'état-major, il était partisan de répliquer aux missiles irakiens. «C'est vrai, ce n'est pas une colombe, mais c'est un grand pragmatique, confirme Jean Frydman. Il le sera avec les Palestiniens et les Syriens. A la différence de Netanyahou, qui a encouragé sans arrêt la fragmentation sociale en Israël, il en a très peur et s'efforcera de la réduire.» L'un des passe-temps de Barak est de vider une boîte d'allumettes pour les rassembler ensuite et bâtir avec un petit château. Avec Israël, le jeu sera bien plus difficile .

PERRIN Jean-Pierre