auto-suggestion L'effet placebo pris sur le fait auto-suggestion - 30/06/2003 par Patrick Philipon dans mensuel n°366 à -- En quelques mois, trois études ont bouleversé l'étude de l'effet placebo. Pour la première fois, grâce à sa signature biologique dans le cerveau, on le voit à l'oeuvre. Les mécanismes de ce phénomène, couramment utilisé dans les essais cliniques, restent cependant encore -- activité biologique. L'étonnant est que cela « marche » assez souvent. Persuadé de recevoir un traitement actif, le malade guérit : c'est l'effet « placebo ». Du latin, « je plairai », sous entendu « je ferai plaisir à mon médecin -- chiffre est régulièrement repris. À tort, car on sait aujourd'hui que la réalité est beaucoup plus diverse [1]. Selon les pathologies, et même les expériences, l'effet placebo peut guérir dans 10 % à 90 % des cas. Il est surtout efficace contre la douleur sous toutes ses formes, la toux, la dépression, la maladie de Parkinson, l'ulcère gastrique ou -- par opposition aux maladies organiques comme les infections ou le cancer, « pour lesquelles il n'existe à ce jour aucune preuve convaincante d'un effet placebo », selon Jean-Jacques Aulas, psychiatre et pharmacologue de l'hôpital du Vinatier Lyon, l'un des rares spécialistes français de la question. -- retentissant il y a deux ans [2]. En effet, l'intensité des troubles fonctionnels ne peut s'évaluer que subjectivement. Le patient recevant un placebo ne minimise-t-il pas tout simplement des troubles pourtant inchangés, ne serait-ce que pour « faire plaisir » au médecin ? On mesure pourtant bien depuis longtemps des modifications objectives de paramètres comme la température, la tension artérielle, le taux sanguin de cholestérol ou le rythme cardiaque sous l'influence d'un placebo. Mais les opposants arguent qu'il s'agit de grandeurs sensibles à l'état psychique, de paramètres « psychosomatiques ». -- soixante-dix, puis rapidement exigé, que les essais cliniques de molécules thérapeutiques se fassent en « double aveugle » contre placebo. C'est aujourd'hui la procédure standard : l'efficacité du médicament candidat est comparée à celle d'un placebo, sans que les patients ni les médecins ne sachent avant la fin de l'étude qui a reçu quoi. Cette forme de reconnaissance institutionnelle de l'effet placebo ne saurait dissimuler la pauvreté des connaissances sur ses mécanismes. C'est un phénomène composite, auquel concourt la qualité de la relation entre le soignant et le soigné, voire l'effet de la prise en charge per se. La forme même du placebo est importante : les injections sont plus efficaces que les gélules, elles-mêmes plus actives que les pilules... La taille et la couleur du médicament jouent également. À l'évidence, l'effet placebo oeuvre à l'articulation du psychique et du physiologique, remettant en cause un dualisme encore très répandu. On comprend donc qu'il provoque un débat aux enjeux théoriques et -- manière d'évoquer un mécanisme psychologique. Chacune de ces hypothèses a ses limites. Le conditionnement, en particulier, suppose que le sujet fasse une association entre un signal ici, le placebo et une expérience physique qui lui a été liée préalablement - en l'occurrence le bien-être ressenti lors d'une prise antérieure de médicament actif. Or, l'effet placebo se manifeste aussi chez des patients « naïfs » n'ayant jamais pris le médicament que mime le placebo. La plupart des spécialistes expliquent, prudemment, que les diverses hypothèses ne sont pas exclusives [3]... -- d'explication, physiologique cette fois. À l'époque, John Levine, de l'université de Californie à San Francisco, soulageait la douleur due à une extraction dentaire, soit par de la morphine, soit par un placebo. En administrant ensuite à ses patients un produit qui bloque l'action des endorphines des neurotransmetteurs calmant la douleur, il a constaté que ce produit, la naloxone, annulait l'effet du placebo [4]. Il démontrait ainsi, même indirectement, le rôle des endorphines dans l'effet placebo. Un temps contesté, ce résultat a été depuis conforté, tout au moins dans le cadre de la douleur [5]. Reste qu'on ne l'avait toujours pas vu à l'oeuvre. -- une cohorte de volontaires dont il venait de brûler légèrement une zone de la peau. Un premier groupe avait reçu un antalgique, qui agit comme les endorphines, un deuxième un placebo et le troisième n'avait subi aucun traitement. En braquant sa caméra à positons sur les zones cérébrales impliquées dans le soulagement de la douleur par les endorphines et les opioïdes, Martin Ingvar a enfin vu le placebo à l'oeuvre ! Ce dernier active bien les mêmes zones cérébrales que l'antalgique - tout au moins chez tous les sujets qui ont répondu à l'injection par une diminution de la douleur ressentie. Pour confirmer la libération d'endorphines provoquée par la prise d'un placebo, il a alors injecté au groupe concerné de la naloxone, qui a bel et bien annulé le soulagement. Mais rendons à César ce qui est à César : la toute première observation de l'effet d'un placebo sur l'activité céré- brale a été rapportée quelques mois plus tôt, en août 2001 [7]. Jon Stoessl et ses collaborateurs de l'université de Colombie britannique, à Vancouver Canada, qui en sont les auteurs, ne travaillent pas sur la douleur. Ils s'intéressent à la maladie de Parkinson, une affection sensible à l'effet placebo, qui peut en atténuer momentanément les manifestations [3]. Ce trouble est dû à une dégénérescence des neurones cérébraux producteurs d'un neurotransmetteur appelé dopamine. On la traite - partiellement - en compensant cette perte par des analogues pharmaceutiques de la dopamine. Les chercheurs canadiens ont donc fait l'hypothèse que l'effet placebo induirait tout simplement la libération de dopamine dans le cerveau, renversant ainsi le cours de la maladie. Pour la tester, ils ont eux aussi utilisé la TEP. Ils ont d'abord -- récepteurs cérébraux à la dopamine, molécule qui sera donc éliminée si de la dopamine ou un analogue vient se fixer là. Puis ils ont traité les patients, soit par de l'eau salée - le placebo -, soit par de la dopamine pharmaceutique. Les images obtenues montrent sans ambiguïté que l'eau salée provoque une élimination de la molécule marquée, au même titre que la dopamine pharma- ceutique. Seule explication possible : les patients placés sous placebo ont sécrété de la dopamine endogène ! Autre pathologie, autre preuve. Au cours d'essais cliniques de médicaments, on avait déjà constaté que l'effet placebo peut aussi diminuer les symptômes des patients dépressifs, même si ce soulagement ne dure pas. En mai 2002, Helen Mayberg, psychiatre et neurologue de l'université de Toronto, a publié les résultats obtenus sur 17 patients sévèrement dépressifs [8]. Ils ont reçu, en double aveugle, un antidépresseur ProzacÆ ou un placebo, et leur activité cérébrale a été examinée en TEP avant le traitement, puis une et six semaines après qu'il a commencé. Dans chaque groupe, l'état clinique de quatre -- l'activité dans le cortex cérébral et une diminution dans les régions les plus liées aux émotions - limbique et paralimbique - chez les patients qui réagissent au placebo par rapport à ceux qui ne le font pas. On retrouve les mêmes changements chez les patients qui vont mieux grâce au ProzacÆ avec des modifications d'activité de certaines zones supplémentaires. Ces différences suffisent-elles à expliquer le soulagement plus durable dû au ProzacÆ que celui dû au placebo ? Helen Mayberg peut seulement le suggérer. -- l'université de Californie à Los Angeles, est restée dans l'ombre. Elle contribue pourtant aussi à la visualisation cérébrale de l'effet placebo [9]. Ce psychiatre cherchait un moyen de prévoir rapidement la réponse de patients dépressifs à deux types d'antidépresseurs. Ces molécules ne commençant à agir qu'après plusieurs semaines de cure, des indicateurs précoces de la sensibilité de chaque patient éviteraient des traitements inutiles et non dénués d'effets secondaires. Dans ce cadre, 51 patients déprimés ont donc reçu, soit des placebos, soit un des deux antidépresseurs. Étant donné le but pratique de l'expérience, Leucher a choisi une technique légère et peu coûteuse -- dans le cortex préfrontal. Les cliniciens tiennent peut-être là leur indicateur précoce. Mais, à leur surprise, les patients qui réagissent au placebo ont eux aussi un électroencéphalogramme différent de ceux qui n'y réagissent pas, précisément dans le cortex préfrontal. Cependant, cette modification diffère radicalement de celle due aux antidépresseurs : la cordance croît, et seulement à partir de la quatrième semaine. Aurait-on là un indice de l'existence d'un mécanisme propre à l'effet placebo, qui passerait par d'autres voies que les médicaments qu'il « mime » ? Ou est-ce simplement une autre manière de constater les différences plus précisément décrites par Helen Mayberg ? -- importance considérable » pour les spécialistes mais en rappelle les limites : « C'est la première fois que l'on observe une trace anatomique de l'effet placebo, mais cela ne nous renseigne pas beaucoup sur ses mécanismes. » En effet, si cet ensemble de travaux confère au phénomène un nouveau statut, celui d'un objet d'étude palpable par les -- mouvements psychiques. Certaines questions restent donc entières. Comment le corps est-il capable de sécréter les substances adéquates ? Pourquoi certains patients qui reçoivent un placebo n'y répondent-ils pas ? Les résultats décrits traitent de cas particuliers : faut-il s'attendre à découvrir d'autres voies d'action au fur et à mesure de l'exploration de nouvelles pathologies ? En viendra-t-on à considérer non plus un effet placebo unique mais plusieurs effets aux mécanismes physiologiques différents ? Autant d'interrogations auxquelles les National Institutes of Health américains ont décidé de s'attaquer en -- difficile à étudier. Un pas vient d'être franchi, qui lui donne une nouvelle matérialité : plusieurs équipes ont observé directement des activités cérébrales liées à l'effet placebo, pour plusieurs pathologies : douleur, maladie de Parkinson, dépression. Les mêmes mécanismes seraient à l'oeuvre chez les patients, qu'ils soient soulagés par un médicament ou par un placebo. Ces résultats laissent penser que l'effet placebo n'agirait pas de manière uniforme : il y aurait plutôt « des » effets placebos.. Par Patrick Philipon * Vous devez vous identifier ou créer un compte pour réagir à cet -- [9] A.F. Leucher et al., Am. J. Psychiatry, 159, 122, 2002. [10] http://placebo.nih.gov [3] R. de la Fuente-Fernandez et A.J. Stoessl, Trends in Neuroscience, -- Sur le même thème * L'effet placebo pris sur le fait : Réponse de l'auteur * L'effet placebo pris sur le fait : Réponse de l'auteur : * L'effet placebo pris sur le fait * L'effet placebo pris sur le fait * Sur les marchés, de la cause à l'effet