Article Mécanismes de l’effet placebo et du conditionnementDonnées neurobiologiques chez l’homme et l’animal -- Résumé Un placebo est un comprimé, un liquide ou une injection administrés en pharmacologie comme témoin de l’activité d’un médicament. Dans de très nombreux cas, ce produit inactif semble induire des effets biologiques ou psychologiques chez l’humain. Deux interprétations ont été envisagées : l’une propose que l’effet du placebo est une réponse conditionnée de type pavlovien, l’autre qu’il est en relation avec l’attente d’une réponse au traitement. Les mécanismes impliqués dans -- techniques d’investigation en neurosciences, notamment à l’imagerie cérébrale. La dopamine et les endorphines ont clairement été identifiées comme médiateurs des effets placebo. Ceux-ci s’accompagnent de modifications semblables à celles observées après administration du médicament, et cela dans les mêmes aires cérébrales. C’est le cas pour le placebo-dopamine dans la maladie de Parkinson, le placebo-analgésique, le placebo-antidépresseur et le placebo-caféine chez le sujet sain. Le problème reste de comprendre comment le conditionnement ou l’attente de la réponse peuvent activer, dans le -- Summary Mechanisms of placebo effect and of conditioning : neurobiological data in human and animals A placebo is a sham treatment such as pill, liquid, injection, devoid of biological activity and used in pharmacology as a control for the activity of a drug. In many cases, this placebo induces biological or psychological effects in the human. Two theories have been proposed to explain the placebo effect : the conditioning theory which states that the placebo effect is a conditioned response, and the mentalistic theory for which the patient expectation is the primary basis of the placebo effect. The mechanisms involved in these processes are beginning to be understood through new techniques of investigation in neuroscience. Dopamine and endorphins have been clearly involved as mediators of the placebo effect. Brain imaging has demonstrated that the placebo effect activates the brain similarly as the active drug and in the same brain area. This is the case for a dopamine placebo in the Parkinson’disease, for analgesic-caffeine- or antidepressor-placebo in the healthy subject. It remains to be understood how conditioning and expectancy are able to activate, in the brain, memory loops that -- __________________________________________________________________ L’effet placebo Définition et caractéristiques -- 1 L’effet placebo est l’effet thérapeutique obtenu par l’administration de comprimés, liquides, injections et toutes procédures qui n’ont pas d’effet spécifique sur la maladie à traiter [1-3]. L’administration d’un placebo, c’est-à-dire d’une substance inactive, à la place du produit actif semble néanmoins avoir un effet sur divers paramètres biologiques ou comportementaux. La réalité pratique de ces effets a justifié l’introduction de placebo dans les protocoles de recherche pharmacologique réalisés depuis soixante ans. La recherche scientifique se trouve donc dans la situation paradoxale de tenir compte d’un -- 2 Toutes les maladies sont sensibles à l’effet placebo [4], mais l’intensité de l’effet est variable [5-7]. Celui-ci est particulièrement important, en termes d’efficacité et de pourcentage de -- 3 Le terme placebo (du latin placere, plaire) revêt d’emblée une connotation psychologique. En effet, si le placebo en tant qu’agent actif est totalement aspécifique, l’effet obtenu est au contraire très spécifique et dépend des informations que peut avoir le patient [9, 10] -- d’une approche interdisciplinaire (neurobiologie, sciences humaines et sociales) ainsi que la difficulté des problèmes abordés a limité la recherche dans le domaine des mécanismes d’action du placebo. 4 On dispose cependant depuis quelques années de nouvelles voies d’approche. L’aspect neurobiologique du processus a été abordé selon deux lignes de recherche : l’une montrant que l’effet placebo correspond à une réponse conditionnée de type pavlovien, l’autre que l’attente et la conviction du patient est à la base de l’effet. On peut trouver des données expérimentales et cliniques confortant l’une ou l’autre de ces hypothèses [8, 10-13]. Plus récemment, des données neurobiologiques ont jeté un nouvel éclairage sur l’effet placebo. Ces données impliquent en premier lieu la biochimie cérébrale : le cerveau synthétise, en plus des neuromédiateurs classiques, de nombreuses -- cerveau et système immunitaire. Enfin, l’imagerie cérébrale par tomographie par émission de positons (TEP) a récemment montré que l’effet placebo correspond à des modifications spécifiques dans des aires cérébrales identifiées. Dans le cas de patients parkinsoniens (souffrant d’un déficit dopaminergique), l’effet « placebo-dopamine » a été associé à une libération de dopamine endogène dans le cerveau et sa liaison dans le striatum [21, 22]. De façon similaire, chez l’individu en bonne santé, un placebo de caféine induit une libération de dopamine dans le thalamus et sa fixation dans le putamen [23], tout comme la caféine elle-même. -- 5 L’administration d’un placebo ne produit d’effets que chez environ 30 % des individus. Le taux de réponse le plus élevé est obtenu dans le traitement de la douleur : dans une étude portant sur plus de 1 000 -- d’efficacité est ainsi de 35 % en moyenne [3, 22]. Ce sont les douleurs expérimentales chez le sujet volontaire qui sont le moins sensibles à l’effet placebo, tandis que les douleurs liées à une maladie reliée à l’angoisse (angine de poitrine, par exemple) sont les plus sensibles (jusqu’à 90 % de réponse). 6 Curieusement, quand le placebo est actif, sa pharmacologie est assez semblable à celle d’un composé biologiquement actif [1, 3]. L’effet du placebo dépend de la voie d’administration (intraveineuse, intramusculaire, gouttes, comprimés, suppositoire). La latence de son action est courte, et il agit en général plus vite que le médicament, avec un pic d’activité maximale plus précoce. On peut constater une relation dose-effet, et le placebo serait actif pendant deux semaines, particulièrement sur la douleur. Comme le médicament, le placebo peut avoir des effets secondaires (nocebo, du latin nocere, déplaire) et entraîner une dépendance. Interprétations de l’effet placebo Conditionnement pavlovien -- 7 La réponse biologique à un placebo présente de grandes analogies avec une réponse conditionnée. Comme la salivation du chien immortalisée par Pavlov, de nombreuses réponses biologiques peuvent être associées à un -- conditionnement dans le cas de la douleur, de l’immunosuppression, de l’addiction, de la psychopharmacologie et de la régulation de la glycémie [3, 14, 28, 29, 36]. Il faut noter que l’effet placebo est particulièrement important quand le malade a déjà été traité par un produit actif. -- 10 La théorie du conditionnement ne peut expliquer les effets placebo obtenus quand le sujet n’a pas été antérieurement traité par un médicament [8, 30]. Dans une telle situation, c’est bien l’attente positive du patient concernant l’amélioration de son état qui semble être le moteur de l’effet placebo. Conditionnement et attente sont probablement simultanés : les deux interprétations ne sont pas mutuellement exclusives, puisque des expériences menées chez l’animal -- avec le thérapeute. Les données les plus précises concernent l’activation de voie dopaminergique nigro-striée dans l’attente de l’effet thérapeutique ou bénéfique d’un placebo. Une libération de dopamine endogène a pu être mesurée dans le striatum de patients parkinsoniens et de buveurs de café recevant un placebo [21, 23], ce qui confirme le rôle important de la dopamine dans les séquences attente/récompense. Par ailleurs, l’effet prolongé de traitements par un placebo est peu compatible avec les phénomènes d’extinction observés lors de conditionnements de type pavlovien. Tout cela n’est pas facilement quantifiable, car relié au système de croyance des individus -- réponse attendue. L’effet placebo dans différentes maladies Douleur -- 12 L’effet placebo sur des douleurs associées à un grand nombre de maladies est bien documenté [4, 6, 7, 22]. De 26 % à 32 % des cas lorsqu’il s’agit de douleurs migraineuses [7], l’efficacité du traitement placebo peut atteindre 90 % pour d’autre types de douleurs. L’analgésie induite par l’administration d’un placebo peut être antagonisée par la naloxone, un antagoniste des opiacés, ce qui suggère que le placebo stimule la libération d’opiacés endogènes [5, 32]. L’imagerie cérébrale [32] a confirmé que le placebo produit une augmentation de la circulation cérébrale dans le cortex cingulaire comparable à celle observée après l’injection d’opiacés ; une -- régions corticales et sous-corticales (cortex cingulaire, amygdale, thalamus) [33]. La dopamine pourrait être également impliquée dans l’analgésie induite par le placebo, en raison des interactions opiacés-dopamine démontrées dans les circuits mésolimbiques et mésocorticaux [22]. -- Les douleurs expérimentales provoquées chez des volontaires sains sont moins sensibles à un effet placebo. Cependant, même dans ces conditions, une analgésie placebo peut être obtenue et corrélée avec des modifications centrales, mises en évidence par l’IRM fonctionnelle [34], dans le thalamus, le cortex somato-sensoriel, le mésencéphale, -- 14 Dans les essais cliniques concernant la dépression, l’effet placebo est de l’ordre de 35 % [13] (c’est-à-dire que 35 % des patients voient leur état s’améliorer). Dans une méta-analyse incluant 19 essais cliniques de médicaments antidépresseurs, l’effet placebo, quand il est exprimé en pourcentage de l’effet réel de l’antidépresseur, représenterait 75 % de l’efficacité du traitement [13, 35]. Des études encéphalographiques quantitatives [36] ont montré une activation spécifique des aires préfrontales chez les patients répondant soit à l’antidépresseur, soit au placebo. Des mesures effectuées par TEP ont, quant à elles, permis de mettre en parallèle les modifications centrales observées chez des sujets déprimés répondant au traitement par un antidépresseur (la fluoxétine) ou au placebo [37]. Le placebo produit une activation dans les cortex préfrontal, cingulaire, prémoteur et pariétal, et une inhibition dans l’hippocampe et le thalamus. L’antidépresseur stimule, -- précurseur de la dopamine (L-dopa) qui compense le déficit. Cette maladie neurodégénérative est, de façon surprenante, sensible à l’effet placebo, ainsi que le démontrent plusieurs essais thérapeutiques randomisés [7, 21, 22]. 16 R. De la Fuente-Fernandez et al. ont émis l’hypothèse selon laquelle les effets placebo observés dans la maladie de Parkinson pourraient avoir comme mécanisme d’action l’activation de la voie nigro-striée, atteinte dans cette maladie [22]. Il ont donc utilisé du raclopride marqué, une molécule se liant aux récepteurs dopaminergiques, pour détecter en TEP les récepteurs cérébraux de la dopamine. Les malades recevaient soit une injection de L-dopa, soit un placebo. Les modifications des signes cliniques étaient évaluées immédiatement après l’administration du traitement. L’injection de L-dopa, qui occupe rapidement les récepteurs de la dopamine présents dans le noyau caudé et le striatum, entraîne bien une diminution de l’intensité de l’image obtenue par TEP. Le placebo produit la même occupation des récepteurs, et une amélioration parallèle des symptômes cliniques. Il semble donc capable de déclencher une libération de dopamine endogène dans le -- produire de la dopamine. Les résultats de cette étude suggèrent que, en dépit de l’atteinte neurologique observée dans la maladie de Parkinson, l’effet placebo est présent et passe par une libération de dopamine endogène. Homéopathie et effet placebo 17 -- praticiens sont soucieux d’une reconnaissance « scientifique » de ces effets. Dans cet objectif, des essais cliniques randomisés, menés en double aveugle contre placebo, ont été réalisés à très grande échelle [38]. Dans la plupart des essais rapportés, il n’y a pas de différence significative entre les résultats obtenus par placebo et homéopathie. Il est donc raisonnable de penser qu’une grande majorité des effets thérapeutiques de l’homéopathie passent par un effet de type placebo. Psychothérapie et effet placebo 19 Les différents types de psychothérapie ont en commun avec l’effet placebo d’avoir une efficacité en partie attribuable au conditionnement du patient (contexte et rituel des séances) ou à son « attente-conviction » vis-à-vis de la thérapeutique ou du thérapeute, -- psychothérapie. Cela peut avoir des implications importantes car, dans le domaine particulier de l’évaluation des psychothérapies, il ne peut y avoir de placebo-psychothérapie. Seule une évaluation comparative entre psychothérapies, ou la comparaison avec un traitement pharmacologique peuvent, quand elles sont possibles, avoir un sens[1]. -- L’expérimentation animale et la recherche clinique ont permis d’envisager deux types d’interprétation pour l’effet placebo : l’une propose que l’effet du placebo est une réponse conditionnée de type pavlovien, l’autre qu’elle est en relation avec l’attente d’une réponse et la conviction de l’efficacité du traitement. Des éléments cognitifs et émotionnels sont donc associés pour conduire à l’effet placebo et, en clinique humaine, il est probable que les deux sont à l’oeuvre simultanément. L’effet placebo est particulièrement important lorsqu’il n’y a pas de lésions organiques chez le sujet et que le placebo agit sur des paramètres tels que la douleur ou l’état psychique. Il est néanmoins susceptible d’agir dans le cas de maladies neurodégénératives -- La dopamine et les endorphines ont été clairement identifiées comme des médiateurs de l’effet placebo et l’imagerie cérébrale a permis de démontrer que le placebo utilise les voies de stimulation du médicament. C’est le cas pour la dopamine dans la maladie de Parkinson et pour l’action de la caféine, des analgésiques et des -- 22 Une meilleure connaissance des mécanismes de l’effet placebo reste nécessaire pour la pharmacologie, les médecines parallèles et les psychothérapies. La neurobiologie commence à fournir des résultats importants, mais il est clair que l’effet placebo se trouve à l’interface entre différents domaines (neurobiologie, psychologie, sociologie), ce qui en complexifie l’étude. Une question reste -- 1. Wolf S. The pharmacology of placebos. Pharmacol Rev 1959 ; 11 : 689-704. 2. Shapiro AK, Shapiro E. The placebo : is it much ado about nothing. In : Harrington A, ed. The placebo effect : an interdisciplinary exploration. Cambridge : Harvard University Press, 1997 : 2-36. 3. Lemoine P. Le mystère du placebo. Paris : Odile Jacob, 1996 : 238 p. 4. Beecher HK. The powerful placebo. JAMA 1955 ; 159 : 1602-6. 5. Turner JA, Deyo RA, Loeser JD, et al. The importance of placebo effects in pain treatment and research. JAMA 1994 ; 271 : 1609-14. 6. Hrobjartsson A, Gotzsche PC. Is the placebo powerless ? An analysis of clinical trials comparing placebo with no treatment. N Engl J Med 2001 ; 344 : 1594-602. 7. De la Fuente-Fernandez R, Schulzer M, Jon Stoessl A. The placebo effect in neurological disorders. Lancet Neurol 2002 ; 1 : 85-91. 8. Evans FJ. Expectancy, therapeutic instructions and placebo responses. In : Placebo : theory, research and mechanisms. New York : Guilford Press, 1985 : 215-28. 9. Flaten MA, Simonsen T, Olsen H. Drug related information generates placebo and nocebo responses that modify the drug response. Psychosom Med 1999 ; 61 : 250-5. 10. Kirsch I. Specifying non-specific : psychological mechanism of the placebo effect. In : Harrington A, ed. The placebo effect : an interdisciplinary exploration. Cambridge : Harvard University Press, 1997 : 166-86. -- Ader R. The role of conditioning in pharmacotherapy. In : Harrington A, ed. The placebo effect : an interdisciplinary exploration. Cambridge : Harvard University Press, 1997 : 138-65. 13. Enserink M. Can the placebo be the cure ? Science 1999 ; 184 : 238-40. 14. -- De la Fuente-Fernandez R, Ruth TJ, Sossi V, et al. Expectation and dopamine release : mechanism of the placebo effect in Parkinson’s disease. Science 2001 ; 293 : 1164-6. 22. De la Fuente-Fernandez R, Jon Stoessl A. The placebo effect in Parkinson’s disease. Trends Neurosci 2002 ; 25 : 302-6. 23. -- 24. Wall PD. The placebo and the placebo response. In : Wall PD, Melzack R, eds. Textbook of pain. New York : Churchill Livingston, 1993 : 1297-308. -- Wolf S. Effect of suggestion and conditioning on the action of the chemical agents in human subjects. The pharmacology of placebos. J Clin Invest 1950 ; 29 : 100-9. 29. -- 30. Amanzio M, Benedetti F. Neuropharmacological dissection of placebo analgesia : expectation-activated opioid systems versus conditionning-activated specific subsystems. J Neurosci 1999 ; 19 : -- 31. Bootzin RR. The role of expectancy in behavior change. In : Placebo, theory, research, and mechanisms. New York : Guilford Press, 1985 : 196-210. 32. Petrovic P, Kalso E, Peterson KM, et al. Placebo and opioid analgesia. Imaging a shared neuronal network. Science 2002 ; 295 : 1737-40. 33. -- 34. Wager TD, Rilling JK, Smith EE, et al. Placebo-induced changes in fMRI in the anticipation and experience of pain. Science 2004 ; 303 : 1162-7. 35. Kirsh I, Sapirstein G. Listening to prozac but hearing placebo. A meta-analysis of antidepressants medication. In : Prevention and treatment, vol. 1. New York : American Psychological Association, 1998. -- Leuchter AF, Cook IA, Witte EA, et al. Changes in brain function of depressed subject during treatment with placebo. Am J Psychiatry 2002 ; 59 : 122-9. 37. Mayberg HS, Silva JA, Brannan SK, et al. The functional anatomy of the placebo effect. Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 728-37. 38. -- Neurophysiol 1998 ; 80 : 1-27. Auteur : France Haour Titre : Mécanismes de l’effet placebo et du conditionnement : données neurobiologiques chez l’homme et l’animal Revue : , Volume 21, numéro 3, mars 2005, p. 315-319