L’effet placebo n’existe pas ! -- Un medicament efficace est un medicament qui se revele plus puissant qu’un placebo dans une experience dite en double insu, ou double aveugle : ni les patients ni les medecins ne savent qui prend le candidat-medicament et qui prend la substance inactive. -- l’homeopathie, etc. La mauvaise foi n’est plus de mise. Les essais contre placebo n’ont pas seulement permis de trier entre bons et mauvais medicaments. Ils permettent aussi de comprendre que l’on peut guerir meme si on n’a pas pris un medicament efficace. On a vu apparaitre au cours des essais cliniques des taux d’amelioration surprenants dans les groupes qui prenaient le placebo. Et cela n’est pas vrai seulement dans les pathologies mentales ou celles etiquetees "psychosomatiques", mais aussi dans les pathologies organiques. Dans les pathologies infectieuses, une -- de mieux les combattre : ils ont beneficie, honnetement ou malhonnetement selon les cas, de ce qu’on appelle desormais "l’effet placebo". C’est ce pouvoir si puissant de la preuve que je voudrais examiner attentivement pour mieux en comprendre les ressorts mais aussi, eventuellement, les limites. Nous appellerons " laboratoire " ce lieu ou se menent toutes ces etudes contre placebo mais aussi contre produits de reference, `a la condition expresse qu'elles aient lieu en "double insu". C'est la structure du protocole, en double-insu, qui caracterise avant tout ce laboratoire et peut-etre faut-il mieux l'appeler "laboratoire du double-insu" plutot que "laboratoire de l'etude contre placebo", un nom que j'avais propose precedemment. Cela permettra ainsi de mieux suivre une pratique (le protocole des etudes) et de ne pas s’engager dans une description qui, sans le savoir, s’eloigne des pratiques et pourrait bien etre dej`a trop abstraite, en reprenant `a son compte la notion d’effet placebo. Ce laboratoire recouvre approximativement les essais dits, -- divers, qu’ils sont semblables entre eux et que l'on peut donc constituer deux ou trois groupes comparables (par exemple, et selon les necessites du protocole : un produit de reference, un placebo, le candidat-medicament). C'est l`a que vous devez prendre une decision "negociee" avec les autres participants de la vie de ce laboratoire. A -- moderne et la maniere dont elle s'invente au travers des pratiques de ses acteurs. Ainsi un candidat antidepresseur a-t-il beaucoup moins de chance de " sortir " positivement d’une epreuve contre placebo qu’il y a vingt ans. Pourquoi ? Parce que le nombre de candidats medicaments dans cette indication est tel que, imperceptiblement, les criteres de recrutement des patients sont moins exigeants quant `a la gravite de la depression. Et moins la depression est grave, plus il est difficile de vaincre le placebo. Un meme medicament pouvait donc franchir victorieusement cette etape dans certaines circonstances historiques, et ne plus passer la barre ensuite. C’est aussi la -- double insu, ont ete inventees avec les antibiotiques, pour etre plus precis avec la streptomycine. Ici, la guerison a pris une signification singuliere. La notion d'effet placebo n’y serait que d’importance secondaire. L`a, ce n'est pas vraiment au patient malade que l'on s'adresse, mais beaucoup plus directement `a un autre -- L’effet placebo Ce n’est qu’apres avoir pris connaissance de ce dispositif que l’on peut rendre compte de ce qu’on a appele " effet placebo ". Cette formule qui nous semble aujourd’hui aller de soi, est bien nee avec le laboratoire du double insu. Le Littre de 1886, oeuvre d’un medecin, ne contient pas le mot placebo . La formule est contemporaine. Son histoire est breve, moins de 50 ans ; elle date de l'invention des etudes cliniques apres la Seconde Guerre mondiale. L'effet placebo est une tentative de constituer de maniere incontestable une sorte de " degre zero ", pourtant empiriquement construit, permettant de juger un candidat-medicament. En verite, on appelle effet placebo une serie entassee de mecanismes baroques non controles : ameliorations ou guerisons spontanees, modifications des patients independamment de toute action chimique/biologique directement -- d'amelioration, partagee ou non par le medecin, etc. C'est l'entassement de ces phenomenes communs qui est magnifie et reifie sous le nom d'effet placebo. Sitot nomme, il est rendu inanalysable. Car dans ce laboratoire on ne cherche jamais `a definir, `a comprendre ce qu'est cet effet, comme on ne cherche jamais `a verifier ou `a dementir -- quelles qu'en soient les raisons. Remarquons que cette notion d'effet placebo est profondement dependante de la dissymetrie de la relation medecin/malade. En effet, seuls les medecins l'emploient ; les patients chercheront toujours une raison plus interessante `a cette guerison que leur medecin n'a pu expliquer autrement. Remarquons aussi le caractere genant de ce quasi-compliment que les medecins s'adressent du meme coup `a eux-memes – placebo , "je plairai (au docteur)". Mais est-ce si certain qu’ils guerissent pour plaire au docteur, lui qui est parfois si fache de les voir guerir hors la medecine? La notion d’effet placebo manque decidement de modestie. Ce que voulaient nous transmettre ce groupe de medecins americains au moment de la guerre, ce n'etait donc pas une -- science, l’adjectif scientifique. Quand nous parlons d’effet placebo , nous decrivons un systeme de contraintes tres particulier dans lequel est mis le patient participant `a une etude en double insu. Et ce systeme de contraintes, sociales, -- determiner de maniere rigoureuse ce qu’etait le profit psychologique d’un patient-repondeur ou d’un medecin inducteur d’effet placebo . Selon les circonstances, la pathologie, un tel qui etait " placebo-repondeur " ne l’est plus lors de l’experience suivante. Il est certain qu’il ne s’agit pas d’un " profil psychologique ". L’effet placebo , c’est d’abord la maniere dont on rec,oit des patients, dont on dit leur maladie, dont on les recrute pour une etude, dont on leur demande leur accord ecrit, dont on leur -- d’un moyen tres radical, mais il ne resume pas `a lui seul tous les moyens de contrainte potentiellement efficaces. On dit souvent que l’on compare un candidat medicament `a un placebo. La formule est evidemment trop rapide, trompeuse, car on fait subir au groupe de patients prenant le candidat medicament le meme systeme de contraintes -- contraintes sont cette fois potentialises par une contrainte chimique. On ne peut non plus pretendre qu’il s’agit d’un simple ajout. Dans les deux groupes l’effet placebo n’est pas necessairement d’une force egale. Mais comment mesurer la difference entre deux effet placebo si elle existe. Si l’on veut `a tout prix conserver la notion, on devrait definir le medicament moderne comme l’agencement d’un marqueur biologique et d’un effet placebo . La specificite de la medecine occidentale, serait le choix du tout-biologique, la tentative d’epurer toujours plus l’action chimique/biologique, de la distinguer, toujours plus -- lesquels on peut mettre des patients pour les modifier, se vaudraient, et pourraient donc etre regroupes sous un seul nom general, celui d’effet placebo. En tant que tel, hors du laboratoire du double insu, l'effet placebo n'existe pas ! C'est une facilite de langage pour decrire ce que l’on pourrait appeler " l’angle mort " de la medecine moderne. L'analyse des pratiques necessite de la patience avant de trancher, de hierarchiser les effets. L'effet placebo est une notion impatiente qui se revele `a l'usage plutot un obstacle `a la comprehension tant de la medecine moderne que des autres formes de -- specificites, l'etrangete mais aussi le caractere general, l'utilisation de formules (et je pense evidemment au fameux "tout c,a, mon cher, c’est l’effet placebo ! ") ne releve certes pas de l’evidence. Il ne va pas de soi, de ne pas ecouter l’histoire personnelle d’un patient, de ne pas la prendre en compte dans l’elaboration d’un traitement, hors d’une experimentation. De la meme maniere, exporter hors du laboratoire du double insu la formule "c'est l'effet placebo" ne peut d’ores et dej`a apparaitre que comme ce que j’appellerai une " metaphore " inoperante, visant seulement `a impressionner les publics non avertis. "Ce devant quoi vous vous ebahissez, mon cher, nous est bien connu ; c’est l’effet placebo !" – autrement dit : ce n’est rien ! A cette simplification, `a cette paresse de la pensee, nous voulons opposer une demarche exigeante capable d’abord de rendre -- Tout cela doit nous appeler `a plus de modestie. Comme les experiences qui ont mis en evidence ce qu'on a appele effet placebo sont aussi, paradoxalement, une extraordinaire lec,on de modestie : nous ignorons tout de ce qui se passe entre un corps humain et une substance