#santé - Atom santé - RSS santé - Atom publisher skip to main | skip to sidebar santé mardi 12 janvier 2010 L'effet placebo reste largement mystérieux Entretien avec Jean-Jacques Aulas. L'effet placebo reste largement mystérieux Quelle définition peut-on donner de l'effet placebo ? La meilleure définition a été donnée en 1961 par Pierre Pichot, pour qui l'effet placebo est la différence, dans le cas d'un traitement, entre l'effet thérapeutique global et l'effet spécifique de ce traitement. C'est la part d'efficacité, dans le cas d'un médicament, qui ne s'explique pas par la molécule administrée. Par exemple, si un antidépresseur prescrit, qui est censé n'agir qu'après trois semaines, apporte un soulagement au bout de quelques jours, il s'agit d'un effet placebo. Dans le cas des médicaments, la formule habituelle veut qu'« effet pharmacologique » plus « effet placebo » égale « effet thérapeutique global ». Cette formule semble évidente, mais reste pertinente ; mesurer un effet thérapeutique global est assez simple. Dans le cas d'un hypertendu, on dispose des chiffres tensionnels. Si un patient se plaint de souffrir de manière diffuse, sans pathologie dûment identifiée par des examens (trouble que l'on pourrait qualifier de psychofonctionnel), il existe des moyens simples pour évaluer ses plaintes, par exemple en lui demandant de les apprécier sur une échelle allant de 1 à 10. L'effet thérapeutique global, qu'il repose sur des données objectives ou subjectives, est donc facilement « mesurable ». En revanche, les pharmacologues sont absolument incapables d'apprécier l'effet thérapeutique spécifique des médicaments, sans utiliser l'aune du placebo. Pour apprécier l'effet pharmacologique, on est de fait dans l'obligation d'utiliser un placebo pour les essais cliniques (un groupe reçoit le placebo, l'autre groupe la molécule active, la différence entre les deux permet d'évaluer l'effet de cette molécule). Et n'est mesurable que l'effet spécifique des thérapeutiques pour lesquelles on dispose d'un placebo authentifié. Avec les médicaments, l'affaire est relativement simple. Il suffit de produire une pilule de mêmes taille, forme et goût. Mais comment mesurer l'effet placebo pour une cure thermale ? Depuis quand connaît-on cet effet ? La plus ancienne trace connue se trouve dans la seconde édition du Motherby's Medical Dictionary (1785) où le placebo est défini comme un remède ou une méthode commune en médecine. Une définition peu informative mais la première connue dans l'acception médicale actuelle. Aujourd'hui encore, même si certaines voies de recherches existent, on en connaît finalement très peu sur ses mécanismes. Il n'existe aucun modèle explicatif définitif. Avant les médecins, les psychologues sont les premiers à s'y intéresser dès la fin du xixe siècle. Ils sont issus de l'école de Nancy (où l'on parlait non de placebo mais de « substance inerte »), autour d'Hippolyte Bernheim, connu notamment pour son conflit avec Jean Martin Charcot, de la Salpêtrière à Paris, à propos de la suggestion dans l'hystérie et l'hypnose. H. Bernheim est le premier à avoir identifié un des moteurs thérapeutiques possibles de l'effet placebo : la suggestion, très difficile à définir précisément, qui repose sur la croyance et les renforcements entre un patient et son médecin ou thérapeute. Pour H. Bernheim, la suggestion est présente quand le cerveau accepte une idée qu'il transforme en acte. Cette hypothèse reste pertinente et fait toujours l'objet de travaux. Le second mécanisme psychophysiologique renvoie aux travaux d'Ivan Pavlov sur le conditionnement. Celui-ci s'appuie sur l'association de stimuli, par exemple entre le stimulus « souffrance » et le stimulus « morphine ». Un patient qui souffre beaucoup risque de devenir dépendant de la morphine. Pour diminuer les doses journalières, on peut intercaler entre deux injections de morphine une injection de produit placebo. On constate que le placebo peut être aussi efficace que la morphine, ce qui relève d'un mécanisme de type conditionnement. Deux facteurs psychologiques ont donc été identifiés. Mais quels mécanismes biologiques sont impliqués ? Des recherches en neurobiochimie indiquent, depuis la fin des années 70, qu'une partie de la réponse antalgique (antidouleur) du placebo est en rapport avec une sécrétion d'endomorphines, des molécules analogues à la morphine, mais présentes naturellement dans le cerveau. Des travaux plus récents ont confirmé un processus identique pour les placebos d'antidépresseurs (qui utilisent les mêmes voies corticales que les antidépresseurs) et d'antiparkinsonniens (qui stimulent la production de dopamine dans certaines voies du cerveau). Quelles applications concrètes peut permettre la compréhension de l'effet placebo ? Il y a quatre ans, l'effet placebo a fait l'objet d'une polémique lancée par des chercheurs provocateurs qui ont mis en cause son existence même dans l'une des plus prestigieuses revues médicales : The New England Journal of Medicine. En effet, quand on parle d'effet placebo, on sous-entend effet d'ordre psychologique et on confond souvent effet placebo et effet d'un placebo, ce qui n'est pas la même chose : l'effet placebo est égal à l'effet d'un placebo moins l'effet de l'évolution naturelle du trouble. Du fait de cette distinction, il devient alors indispensable, dans l'étude rigoureuse de l'effet placebo, de faire des essais comparant, pour une même maladie, un groupe bénéficiant d'un placebo et un groupe non traité (ni par un médicament ni par un placebo) afin de mieux prendre en compte ce qui relève de l'évolution naturelle du trouble. Cette distinction a permis une étude plus rigoureuse de l'effet placebo et, par voie de conséquence, de l'évolution naturelle des divers troubles. Dans la pratique clinique, on peut aussi mettre à profit ce qui est issu du peu de connaissances scientifiques que nous avons à ce sujet. Certes, l'effet placebo est d'autant plus efficace que le trouble en question est non organique (l'effet placebo n'a jamais été mis en évidence dans des tumeurs, par exemple), mais il est d'autant plus fort que le patient est convaincu de l'effet du médicament qu'il prend, et le médecin, convaincu de l'efficacité de ce qu'il prescrit. La relation d'empathie entre le patient et le médecin potentialise aussi l'effet placebo. D'ailleurs, en pratique courante, certains médecins inspirent une telle confiance à leurs patients et dégagent un tel charisme que l'effet placebo peut aller jusqu'à égaler l'effet pharmacologique. Tout cela a été démontré uniquement dans le cadre du traitement de la douleur, mais il n'est pas absurde, bien que non scientifiquement prouvé, d'extrapoler ces résultats à d'autres domaines de la médecine. L'objectif consiste donc à savoir comment le praticien peut l'utiliser au mieux dans sa pratique quotidienne, pour potentialiser l'effet des médicaments (cet aspect donne lieu d'ailleurs à de nombreuses études). La thérapeutique ne se résume pas à prescrire des médicaments efficaces, bref à appliquer uniquement des recettes de pharmacologie. Il existe manifestement des médecins qui soignent mieux que d'autres parce que, plus ou moins consciemment, ils utilisent parfaitement le levier de l'effet placebo, qui doit être considéré comme une prime médicamenteuse. Mais son efficacité reste inconstante car elle dépend de nombreux facteurs, plus ou moins identifiés. Ces arguments ne militent-ils pas pour une plus grande utilisation des médicaments placebos dans la prescription médicale ? Il s'agit d'un problème éthique important. Prescrire un placebo relève de la tromperie, à moins qu'il soit signifié au patient : « Je vous prescris un placebo, médicament qui n'a aucune action pharmacologique mais qui peut avoir un effet bénéfique, sans les risques d'effets indésirables d'une molécule active. » Si on donne tous ces éléments, la démarche reste éthique, mais il est à craindre que l'effet placebo soit diminué. C'est une impasse. Ce qui est réellement moral et rationnel est d'utiliser l'effet placebo pour potentialiser une substance à l'effet pharmacologique démontré, d'autant plus si l'on réussit à augmenter l'effet thérapeutique global grâce aux dimensions relatives aux relations patient/praticien. Un autre domaine dans lequel l'effet placebo est important est celui des médecines douces comme l'homéopathie. Les homéopathes ne prescrivent rien d'autre que des placebos, sans que ceux-ci soient présentés comme tels. Dans l'état actuel des connaissances, aucun essai clinique n'a démontré la supériorité d'un remède homéopathique sur un placebo. Dans le cadre de l'homéopathie, l'effet placebo existe, de manière probablement amplifiée par de nombreuses dimensions : non seulement les croyances partagées par l'homéopathe et son patient, mais aussi par la durée importante de la consultation, la subjectivité du patient à laquelle le médecin donne un sens (même s'il est illusoire) et la dénomination latine des remèdes... Grâce au principe homéopathique de la prescription personnalisée , le patient se sent parfaitement compris et sort avec un médicament qui lui semble correspondre exactement à son problème. Votre dernier ouvrage est consacré à la mise sur le marché, par vos soins, d'un produit identifié comme placebo. Quelle était votre intention ? Il y a trois ans, j'ai en effet créé une société pour commercialiser un placebo en l'affichant comme tel. J'ai mis au point un placebo optimisé, le Lobepac (anagramme de placebo), présenté comme « élixir ». Il est coloré soit en bleu (couleur qui favorise un effet sédatif) pour les troubles nerveux légers ou du sommeil, ou en rouge, aux vertus psychostimulantes (destiné aux déprimés légers). De manière un peu provocante, je souhaitais ainsi montrer que ce placebo serait aussi efficace que les remèdes homéopathiques, mais je n'ai pu, faute de moyens, mener des essais cliniques pour le confirmer. L'étude suivante aurait, en effet, cherché à comparer un groupe de patients traités par mon placebo et un groupe non traité, et suivre l'évolution du trouble dans ces deux conditions. J'espère avoir l'occasion de les mener un jour. Quoi qu'il en soit, ce qui pourrait paraître comme un bon canular a permis d'engager une réflexion sur ce problème complexe mais passionnant. NOTES 1 Les deux autres principes, énoncés par C. Hahnemann en 1810, sont la similitude (on traite le patient avec une substance qui provoquerait des symptômes semblables chez des individus sains) et la microdilution du remède. Aucune preuve scientifique n'appuie ces principes. Propos recueillis par Gilles Marchand Jean-Jacques Aulas Psychiatre et pharmacologue au CHU de Saint-Étienne, il est l'auteur de Les Médecines douces. Des illusions qui guérissent , Odile Jacob, 1993, et de Placebo. Chronique d'une mise sur le marché , Science infuse, 2003. Publié par Nathalie Pinta à 11:34 Aucun commentaire: Enregistrer un commentaire Article plus récent Article plus ancien Accueil Inscription à : Publier les commentaires (Atom) Membres Archives du blog * 2010 (25) + juillet (1) + janvier (24) o "Nous sommes déjà dans une médecine à deux vitesse... o L'AP-HP supprimerait 1 150 emplois selon un respon... o Les élus locaux revendiquent toute leur place dans... o Les Français face à un système de soins devenu ill... o La douleur : émergence et transformations d'un con... o Une conscience géographique de la santé o La santé : bien public mondial ou big business ? o La santé en France o Le cancer comme (re)découverte de soi o Un marché florissant o Les sciences humaines et la santé o Du bon usage des campagnes de prévention o L'aveuglement médicamenteux o L'effet placebo reste largement mystérieux o La santé : à la poursuite d'une utopie o Quel accès aux soins pour les plus démunis ? o Vers une démocratie sanitaire ? o Sarkozy ordonne une mission pour "refonder" la méd... o Pour les soins courants, il y a déjà privatisation... o Les Français face à un système de soins devenu ill... o La protection est d'autant moins coûteuse qu'elle ... o 22% des spécialistes médicaux refusent les pauvres... o L'exclusion économique, c'est aussi l'exclusion sa... o La santé coute cher aux pauvres ! 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