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L'effet nocebo, alter ego négatif du placebo

Le Monde | • Mis à jour le | Par

L'effet nocebo, l'alter égo négatif du placebo, a été décrit pour la première fois en 1961.

Des essais cliniques de médicaments interrompus en raison d'effets secondaires chez des volontaires recevant le placebo (une molécule inerte) ; un patient dont la tension artérielle chute sévèrement après avoir ingurgité 26 pilules pour se suicider qui sont en fait des produits inactifs... L'effet nocebo, alter ego négatif de l'effet placebo, est à l'origine de symptômes indésirables dans les études cliniques et dans la pratique médicale quotidienne, soulignent trois universitaires allemands. Winfried Häuser, Emil Hansen et Paul Enck ont passé en revue toute la littérature scientifique sur le sujet. Leur synthèse a été publiée dans la revue Deutsches Ärzteblatt International le 29 juin et dans une tribune du New York Times daté du 10 août.

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Décrit il y a des siècles, le concept de placebo (en latin : "Je plairai") renvoie à des substances chimiquement inactives qui améliorent les symptômes de nombreuses pathologies, en moyenne chez un tiers des patients. Ces molécules inertes sont classiquement utilisées comme témoins dans les tests de médicaments. Les effets bénéfiques d'un placebo, dont certains peuvent être constatés objectivement, sont surtout le reflet des attentes des malades vis-à-vis d'un traitement et de la force de conviction des prescripteurs. Par un mécanisme en miroir, le phénomène nocebo (en latin : "Je nuirai") renvoie aux effets secondaires d'un placebo ou d'un médicament induits par l'appréhension du patient ou une suggestion négative du corps médical.

CONDITIONNEMENT DU PATIENT

Identifié bien plus récemment que l'effet placebo - la première description dans la littérature médicale date de 1961-, l'effet nocebo reste encore peu étudié, constatent les chercheurs allemands. En explorant la base de données Medline, ils ont recensé 2 200 publications consacrées à l'exploration des mécanismes placebo et seulement 151 évoquant le sujet nocebo. Pourtant, dans les essais thérapeutiques, ce phénomène est loin d'être anecdotique.

Ainsi, plus de 5 % des études évaluant un traitement préventif de la migraine comparativement à un placebo ont été stoppées pour cause d'effets secondaires dans le groupe placebo. La proportion est de 9 % dans les essais de médicaments contre la fibromyalgie, et de 4 % à 26 % dans ceux étudiant l'efficacité des statines en prévention des maladies cardio-vasculaires.

Plusieurs recherches expérimentales ont permis de caractériser les mécanismes en cause et de prouver le rôle fondamental du conditionnement des patients et de la tonalité du dialogue avec le corps médical. Paul Enck et ses collègues relatent ainsi les résultats d'une étude (publiée en 2001) chez 50 personnes souffrant de lombalgies qui devaient subir un test de flexion de la jambe. La moitié d'entre elles avaient été prévenues que cette manoeuvre pouvait légèrement augmenter leur mal, il avait été indiqué aux autres que le test n'avait aucun effet.

Les douleurs ressenties ont été significativement plus intenses chez les individus informés de façon négative que chez ceux ayant reçu une information neutre. Des conclusions comparables ont été obtenues dans des études mesurant la douleur liée à l'injection d'anesthésiques ou de produits de contraste radiographiques : les résultats varient selon le discours médical.

Les craintes des patients et leur degré d'anxiété ont aussi un effet non négligeable. Plusieurs enquêtes ont, par exemple, observé que les individus redoutant les nausées liées aux chimiothérapies présentent plus souvent cet effet secondaire.

EFFET SUR LES NEUROMÉDIATEURS

Pour autant, l'effet nocebo n'est pas seulement subjectif. "De même que la sécrétion de dopamine et d'endorphines est augmentée dans l'analgésie induite par un placebo, il a été prouvé que ces deux neuromédiateurs diminuent dans l'hyperalgie par effet nocebo", soulignent les auteurs de cette revue de la littérature spécialisée.

Selon eux, le concept de nocebo devrait davantage être pris en compte en médecine quotidienne. Ils plaident d'ailleurs pour que les prescripteurs soient formés à mieux communiquer avec leurs patients, en privilégiant des suggestions positives plutôt que des formules négatives comme "Vous êtes un patient à haut risque". La marge de manoeuvre est cependant parfois étroite entre le souhait de ne pas mettre en avant de potentiels effets secondaires et les obligations légales d'information.

"C'est un article bien argumenté et d'une grande pertinence sur le nocebo, commente Jean-Jacques Aulas, psychopharmacologue et clinicien (CHU de Saint-Etienne). Selon lui, les médecins sont encore peu sensibilisés à ce concept. "Je suis très étonné de voir combien ils surinvestissent l'effet pharmacologique des médicaments, en termes d'efficacité comme d'effets secondaires", insiste-t-il. "Qu'il s'agisse d'effet placebo ou nocebo, c'est le même combat, c'est la croyance du médecin qui les induit, relève le psychiatre Patrick Lemoine. Pour ce spécialiste, auteur du Mystère du placebo (Odile Jacob, 2006), une conclusion s'impose : le seul bon praticien est celui qui est positif et enthousiaste.

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