L'EFFET PLACEBO

XII èmes journée Aquitaines de Perfectionnement en Reproduction humaine. 
Bordeaux, 25 septembre 1993

 

Etymologiquement, le mot placebo signifie je plairai. Il s'agit du premier mot du psaume 116:9 " placebo domino in règione vivorum " chanté aux vêpres des morts et passé dans le langage courant (2).
Il comporte une connotation de flatterie, voire de fourberie et il n'est pas étonnant que l'image du placebo (2e signification: médicament factice) ait souffert de cette nuance péjorative.
Malgré son rôle essentiel dans la pratique médicale, la place occupée par le placebo dans l'enseignement initial ou continu présente une importance remarquablement réduite. Cette situation s'explique sans doute par le fait que les médecins tendent à nier l'importance de l'effet placebo, car admettre son importance met en danger leur image et leur pouvoir (7).

1. Définition

Le placebo est un traitement absolument inactif administré à la place d'un traitement actif à un malade ignorant cette substitution par un médecin ignorant également cette substitution. La médecine hippocratique avait dans beaucoup de situations des résultats non négligeables: il est absolument certain actuellement que ces résultats étaient à mettre sur le compte, soit de l'évolution spontanée favorable des symptômes et maladies, soit de l'effet placebo de la vant de thérapeutiques de nature biophysique...
L'effet placebo est l'effet psychophysiologique produit par les placebos.
Il est totalement indépendant des propriétés pharmacologiques du médicament.
En fait on pourrait dire que par extension le placebo n'est qu'une action que tous les médicaments ont en commun, impliquant que tous les médicaments ont d'abord un effet placebo (4).

2. Mécanisme d'action

Les effets du placebo ont cependant été décrits selon le concepts de la pharmacologie clinique.
Ces études sont donc relativement récentes mais ont permis de fixer le pourcentage de placebo-répondeurs dans différentes affections.
Beaucoup de symptômes fonctionnels sont très bien corrigés par divers placebos (le dictionnaire VIDAL contiendrait près de 50% de placebos dits " impurs .
Parmi les catégories de symptômes, les douleurs en général, plus particulièrement les céphalées, les réactions de type allergique comme le rhume des foins et l'eczéma, l'insomnie, les troubles de l'appétit... représentent une liste non exhaustive de symptômes plus particulièrement sensibles à l'effet placebo
Beccher (1) a pu signaler la constance de l'effet placebo qui existerait chez 35+2,2% des patients et voit dans cette constance l'indice d'un mécanisme unique
Dans le domaine de la douleur, il est certain que l'effet placebo peut être annihilé par l'administration de Naloxone dont l'action bloque les endorphines
Cependant en dehors de ce domaine bien particulier, il faut reconnaître qu'il n'a pas été encore possible d'isoler un mécanisme d'action d'ordre général.
Il faut également noter le caractère dose-dépendant de l'effet placebo qui peut être cumulatif et même entraîner une dépendance.
Les tentatives d'objectivation d'un profil de placebo-réponder ont été réalisées et ont mené à des conclusions contradictoires rendant difficile toute prédictabilité.
Citons cependant que certaines variables ne semblent pas avoir d'influence tel que le facteur sexe
Certains ont trouvé une relation entre le caractère non fumeur, le niveau d'instruction, le métier, la statut marital, le nombre d'enfants d'une part et d'autre part la placebo-sensibilité (5)
D'autres trouvent une liaison entre sexe, intelligence, et réponse au placebo (3).
L'attitude d'acquiescement appréciée par des échelles appropriées semble liée à la placebo-sensibilité
Le niveau d'intelligence apprécié par l'aptitude verbale peut être lié au résultat d'un traitement par placebo chez des névrotiques (6
L'ancienneté de la malade ou des symptômes et l'essai de plusieurs traitements antérieurs peuvent jouer un rôle négatif sur la sensibilité.
Cependant la constance de cette caractéristique de sensibilité ne semble pas confirmée puisque les mêmes sujets peuvent réagir de façon variable dans des circonstances différentes
Enfin, l'effet placebo peut se manifester dans toutes sortes d'états pathologiques, mais son importance est d'autant plus grande que la maladie est moins sérieuse et que l'effet pharmacologique propre est plus faible.

3 Facteurs influençant l'effet placebo (8)

1. Personnel soignant

L'efficacité d'un traitement quel qu'il soit est très lice à l'attitude de l'équipe soignante et tout particulièrement à la qualité de la relation médecin-malade
Il est un fait que les médecins _optimistes_ obtiennent de meilleurs résultats que les médecins pessimistes
La croyance du médecin en l'efficacité de son traitement et la confiance du patient à son égard agissent synergiquement l'un sur l'autre
Le médicament entraîne alors souvent une amélioration et parfois une guérison
Lorsqu'on discute de cet effet placebo on incrimine toujours la crédulité des malades, mais on ignore souvent la façon dont les médecins s'illusionnent eux-mêmes
Le charlatan chaleureux est souvent plus efficace que le scientifique sceptique.

2. Les facteurs extérieurs

Le milieu dans lequel évolue le patient a parfois une influence sur l'efficacité du traitement
C'est ainsi que la différence entre verum (médicament ayant une action pharmacologique prouvée) et placebo est différente selon que le patient est ambulatoire ou hospitalisé, marquant bien ainsi le rôle de l'entourage des autres malades qui entraîne soit un effet placebo, soit un effet nocebo (manifestation désagréable liée à un médicament donné sans effet pharmacologique propre).

3. Apparence du médicament

Il est parfaitement connu par les industriels pharmaceutiques et les psychologues que l'apparence d'un médicament peut jouer grandement sur son efficacité.
Des études ont confirmé cela de façon irréfutable et l'on comprend pourquoi l'industrie pharmaceutique met un tel soin, outre à s'assurer de l'efficacité réelle de leurs médicaments, à choisir la meilleure forme, couleur ou présentation.
La voie d'administration est également importante puisque l'on sait intuitivement que les injections ou perfusions ont une efficacité plus grande que la voie orale (à condition que les biodisponibilités ne soient pas différentes).

4. Utilisation thérapeutique des placebos

1. Le médicament

Actuellement, la mise sur le marché d'un nouveau médicament passe par la mise en évidence de sa non toxicité et de son intérêt thérapeutique (il n'est cependant pas précisé efficacité thérapeutique!
Néanmoins, il faut admettre que les médicaments récemment labélisés sont actifs du fait d'une action pharmacologique propre.
Cependant, on croit trop souvent que les effets thérapeutiques des médicaments actifs peuvent toujours être rapportés à leur action pharmacologique spécifique.
Il n'en est rien dans beaucoup de situations où la guérison d'un symptôme ou d'une maladie peuvent être le fait de l'évolution spontanée favorable, d'un effet pharmacologique spécifique ou d'un effet placebo non spécifique et enfin d'éventuelles erreurs de mesure pour les résultats nécessitant une estimation quantitative.

2. Les essais médicamenteux

Il paraît ainsi tout à fait évident que pour prendre en compte l'effet placebo d'un médicament, il faut réaliser une expérimentation comparée entre 2 ou plusieurs groupes dont l'un ne reçoit qu'un placebo selon une méthode en double aveugle.
L'essai simple verum contre placebo sous réserve d'un tirage au sort honnêtement réalisé pour l'allocation aléatoire des patients à l'un ou l'autre groupe permet de distinguer l'activité pharmacologique propre du verum.
L'absence de différence significative en faveur de verum n'est acceptable que si la puissance de l'essai est suffisante (le nombre de sujets inclus représente un facteur important de cette puissance).

3 Le comparaison de substances actives validées par un placebo

On parle alors de comparaison d'un produit à un témoin positif et à un témoin négatif, c'est-à-dire un placebo
Cette adjonction de placebo dans la comparaison permet d'améliorer la puissance de la comparaison entre les substances actives a et b.

4. Utilisation d'un double placebo

La comparaison d'un traitement actif avec un placebo nécessite que l'apparence des 2 traitements soit absolument identique afin de respecter le caractère double aveugle garantissant la comparabilité des groupes au long de l'étude et l'indépendance du jugement.
Ceci n'est pas toujours possible et nécessite la réalisation de placebos identiques à chacun des 2 traitements.

5. Les problèmes liés à l'utilisation des placebos

1. Les problèmes éthiques

L'utilisation d'un placebo n'est admise que si l'affection en cause ne comporte qu'un traitement connu ou s'il s'agit d'une affection parfaitement bénigne.
Il devient d'ailleurs de plus en plus difficile compte tenu des contraintes de la Loi Huriet de réaliser des essais contre placebo.
A juste titre, la nécessité d'information éclairée des patients entrant dans un essai thérapeutique entraîne des difficultés majeures au recrutement de ces patients et correspond à un véritable tarissement des études de recherche clinique.
Il faut sans arrêt naviguer entre l'hypocrisie et l'information absolue, c'està-dire parfaitement transparente.
Beaucoup de médecins préfèrent renoncer à cette tâche quasi impossible !

2. Le placebo impur

Beaucoup de situations pathologiques ne comportent pas de médicaments réellement actifs.
Tout au plus certains médicaments ont-ils reçu une autorisation pour des indications bien définies, mais pas pour le trouble pathologique en cause
Les mécanismes physiopathologiques laissent à penser que certains médicaments pourraient être utiles et c'est ainsi que de la physiopathologie à la clinique on franchit le pas avec allégresse et que l'on prescrit facilement des placebos impurs.
I1 s'agit de médicaments qui ont une réelle efficacité mais qui sont prescrits dans des situations où cette efficacité n'est pas prouvée.
On peut alors les considérer, non pas comme des placebos purs, mais impurs
Une grande partie de nos prescriptions utilisent consciemment ou inconsciemment de telles prescriptions.
En conclusion, l'effet placebo est un phénomène complexe, encore mal compris, ce qui peut justifier la place de cet exposé sous le thème général de " perspectives ".
Il joue un rôle dans tous les succès thérapeutiques.
Il aide à soulager les symptômes d'une maladie et constitue souvent leur seule cause de guérison.

BIBLIOGRAPHIE

1) Beecher H.K.: The powerful placebo. J. Am. Med. Assoc. 159: 1602-1606,1955.
2) ImEs J.L., Danion J.M.: Placebo et effet placebo. In 3e colloque Inserm D PhM Développement et évaluation du médicament. Inserm 157: 309-318, 1987.
3) Lasagna L., Mosteller F., Von Felsinger J.M., Beccher H.K.: A study of the placebo response Am. J. Med. 16: 770-779, 1954.
4) Modell W.: The relief of symptoms. Saunders Co. Ed., Philadelphia, 1 vol., chap. 4, 1955.
5) Mortel C.G., Taylor W.F., Roth A., Tyce F.A.: Who responds to sugar pills? Mayo Clinic. Proc. 51: 96-100, 1976.
6) Rickels K., Downing R.: Verbal ability (intelligence) and improvement in drue therapy of neurotic patients. J. New Drugs 5: 303-307, 1965.
7) Skrabanek P., McCormick J.: Idées folles, idées fausses en médecine. Odile Jacob Ed., Paris, 207pages, 1992.
8) Spriet A., Simon P.: Méthodologies des essais cliniques des médicaments. Laboratoires f loechst Ed., 231 pages, 1986.