Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur les politiques d'immigration et de co-développement, au Sénat le 13 février 2007. | vie-publique.fr | Discours publics

Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur les politiques d'immigration et de co-développement, au Sénat le 13 février 2007.

Personnalité, fonction : GIRARDIN Brigitte.

FRANCE. Ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie

Circonstances : Audition par la commission des affaires étrangères du Sénat, le 13 février 2007

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,


Votre Commission des Affaires étrangères a souhaité m'auditionner sur le co-développement, l'immigration et la coopération. Je m'en réjouis, car j'y vois l'occasion de vous faire partager quelques convictions fortes acquises par ces presque deux années passées à la tête du ministère en charge de la Coopération.

Ces quelques convictions, c'est :

- d'abord, qu'il nous faut avoir une approche globale des phénomènes migratoires, en conciliant davantage notre politique d'immigration et nos actions d'aide au développement ;

- ensuite, qu'il nous faut résolument promouvoir l'approche française du co-développement, dont le caractère réellement novateur et original suscite un intérêt croissant de la part de nos partenaires, notamment européens.

Je voudrais donc développer devant vous brièvement, avant de répondre à vos questions, chacune de ces deux convictions.


Tout d'abord, je crois pouvoir dire qu'à la faveur des conférences euro-africaines qui se sont déroulées en 2006 à Rabat puis à Tripoli, nous avons assisté à une prise de conscience internationale du lien nécessaire à établir entre migrations et développement. J'en suis heureuse, car j'ai beaucoup plaidé en ce sens : pour la première fois, pays de départ, pays de destination et pays de transit ont clairement affirmé leur volonté commune de coopérer dans la recherche de solutions concertées, pour faire face à un phénomène qui les concernent tous ; pour la première fois aussi, ces mêmes pays ont placé sur le même plan la question du développement et celle de la gestion des flux migratoires, affichant ainsi leur détermination à agir à la fois sur les causes et sur les conséquences des phénomènes migratoires, dans une approche globale du phénomène.

Evidemment, il ne s'agit pas de chercher à éradiquer les migrations. Non seulement ce serait vain, puisque ce serait aller à l'encontre d'une constante de l'histoire de l'humanité. Mais bien plus, ce serait contre-productif, puisque nous savons que les mouvements de population sont en eux-mêmes créateurs de richesses : la Banque mondiale estime ainsi que la contribution des migrants à l'accroissement du revenu mondial avoisinera 772 milliards de dollars en 2025.

Ce à quoi il nous faut donc parvenir, c'est à un partage de ce gain global, qui soit équitablement réparti entre le Nord et le Sud ; agir ensemble pour éviter les effets négatifs que génèrent les migrations subies : d'un côté de la Méditerranée, les pays de départ s'inquiètent de la perte de travailleurs qualifiés et stigmatisent la "fuite des cerveaux", tandis que de l'autre côté, les pays d'arrivée doutent de leur capacité d'intégration de ces mêmes migrants.

C'est donc une approche équilibrée, je crois, que nous devrions tous pouvoir partager : passer de migrations subies à des migrations régulées. Ce qui suppose de notre part une meilleure articulation entre notre politique de gestion des flux migratoires et notre politique de coopération. Et pour ce qui relève plus particulièrement de cette politique de coopération dont j'ai la responsabilité, cela suppose à mon sens que l'on intègre pleinement la question migratoire dans notre effort d'aide publique au développement. C'est ce à quoi je m'emploie précisément :

- d'abord, en faisant en sorte que nos projets de coopération soient davantage tournés vers les investissements productifs, pour privilégier les projets qui créent directement des emplois dans les pays du Sud ;

- ensuite, en ciblant mieux notre aide géographiquement, sur les régions d'où sont issus les migrants, afin de les aider à rester sur place - par exemple dans la région de Kayes, au Mali ;

- enfin, en intégrant désormais cette question des flux migratoires dans nos instruments de programmation de l'aide, c'est-à-dire dans les documents-cadre de partenariat : en un mot, il nous faut prendre l'habitude d'aborder les questions de migrations lorsque nous parlons de coopération avec nos pays partenaires.

Même si cela peut paraître évident, je veux tout de même rappeler ici que c'est bien en s'attaquant à la pauvreté, dont on sait qu'elle est la première motivation à quitter son pays d'origine, que l'on parviendra à agir le plus efficacement sur les flux migratoires. A côté des mesures répressives visant à réguler l'arrivée des immigrés dans notre pays, il nous faut donc aider les pays de départ à créer les conditions leur permettant de retenir leurs populations sur place. Pour cela, il faut naturellement se donner les moyens d'être efficaces, et je veux rappeler à cet égard les engagements pris par la communauté internationale d'accroître les volumes d'aide destinés à l'Afrique.


Mais au-delà de cet effort global en faveur de l'APD, je souhaite surtout insister devant vous sur la nécessité à mon sens de promouvoir résolument tout ce qui relève du co-développement, c'est-à-dire de tout ce qui permet de faire participer au développement de leur pays d'origine les migrants présents dans les pays du Nord.

C'est d'ailleurs la France qui est à l'origine de cette notion de co-développement, qu'elle expérimente avec succès depuis quelques années avec le Maroc, le Sénégal, et surtout le Mali où j'étais encore la semaine dernière avec le commissaire européen Louis Michel, qui marque un réel intérêt pour notre démarche novatrice.

Avec lui, je crois le moment venu de changer d'échelle : il nous faut intensifier et multiplier ces projets de co-développement, en y impliquant l'ensemble des bailleurs de fonds - et je pense évidemment à la Commission européenne.

Concrètement, les initiatives prises par le gouvernement en matière de co-développement s'articulent autour de trois axes : le développement local, la mobilité des personnes, et la mobilité de l'épargne.

S'agissant d'abord du développement local, nous accompagnons financièrement les projets engagés par les associations de migrants installés en France, et qui visent à financer des équipements collectifs dans les pays d'origine, ou encore leurs projets d'investissements productifs (par exemple, la création récente de gîtes ruraux dans des régions touristiques du Moyen Atlas, par des Marocains résidant en France). Mais, surtout, nous intervenons en appui à la réinsertion économique des migrants dans leur pays d'origine : non pas par un simple pécule qui ne sert souvent qu'à repartir, mais par le financement de micro-projets qui permettent de rentrer dignement, en créant de l'activité et des emplois dans le pays d'origine. Au Mali, ce sont ainsi 432 migrants qui sont rentrés dans leur pays grâce à un tel projet de réinsertion, et qui ont créé sur place 1 200 emplois. Me vient notamment à l'esprit l'exemple de ce tapissier que j'ai rencontré à Bamako, clandestin sans emploi en France, et qui a pu rentrer au pays après avoir bénéficié d'une formation, pour y créer son atelier qui emploie à présent 4 personnes.

J'indique à cet égard, qu'après avoir expérimenté ces actions avec quelques pays, nous élargissons désormais le champ géographique de nos programmes de co-développement, en fonction des besoins exprimés, mais aussi de la mobilisation des diasporas. C'est l'ensemble des pays subsahariens membres de la francophonie, ainsi qu'Haïti, le Vanuatu et l'Ethiopie qui sont désormais potentiellement bénéficiaires de projets de co-développement.

Le deuxième axe de notre politique de co-développement s'attache à la mobilité des personnes : nous voulons ainsi proposer aux migrants les plus qualifiés qui souhaitent demeurer en France, de transmettre leurs compétences, soit au travers de missions d'assistance technique de courte durée, soit par l'enseignement à distance, notamment en matière universitaire.

Ce type d'action de co-développement a d'ailleurs aussi vocation à s'adresser aux jeunes Français issus des migrations : tel est le sens du contrat d'objectifs et de moyens que j'ai signé en décembre 2006 avec Jacques Godfrain, président de l'Association française des volontaires du progrès : il s'agira pour elle de mobiliser, via les réseaux de migrants, un nombre croissant de jeunes Français issus des migrations, en leur proposant notamment des missions de 6 mois ou un an dans les pays d'origine de leur famille.

Enfin, le troisième axe de notre politique en faveur du co-développement concerne la mobilité de l'épargne des migrants, qu'il s'agit à la fois de faciliter en diminuant le coût des transferts, et de mieux orienter vers l'investissement productif.

Sur la sécurisation et la diminution des coûts des transferts, nous nous employons à promouvoir une plus grande transparence des services offerts aux migrants par les différents professionnels du secteur. Dans cette optique sera très prochainement lancé un site Internet qui permettra de comparer les différentes prestations disponibles pour les transferts de fonds.

Je mentionne aussi l'initiative prise par le groupe La Poste et par l'Union postale universelle, pour la création d'un nouveau mandat "express international" qui garantit un transfert électronique d'argent en deux jours, pour un prix souvent inférieur de moitié à celui du service jusqu'ici le plus utilisé.

Et pour ce qui est de l'orientation de l'épargne des migrants vers des investissements productifs dans leur pays d'origine, je rappelle que la loi du 24 avril 2006 a créé un compte épargne co-développement, dont le décret d'application vient d'ailleurs tout juste d'être signé par l'ensemble des ministres concernés.

Au total, c'est donc bien toute cette approche originale du co-développement que je m'efforce de promouvoir vis-à-vis de nos partenaires européens, qui lui manifestent un intérêt croissant. J'en veux encore pour preuve l'engagement pris à mes côtés la semaine dernière à Bamako par la Commission européenne, mais aussi par l'Espagne, pour la création à titre expérimental d'un centre pour la migration accompagnée, qui s'inspirera largement de notre expérience bilatérale avec le Mali.

C'est d'ailleurs sur ma suggestion que le Mali a été retenu pour ce projet-pilote de la Commission européenne. La qualité de la relation franco-malienne justifie en effet, à mon sens, qu'elle serve de modèle pour structurer les relations entre l'Europe et l'Afrique, dans une approche désormais globale des migrations. La France et le Mali disposent ainsi depuis 1998 d'une instance originale et exemplaire, le comité bilatéral des migrations, au sein duquel nous abordons le phénomène migratoire dans toutes ses dimensions, en faisant le lien entre gestion des flux de personnes, intégration des Maliens vivant en France, et aide au développement du Mali. Très concrètement, c'est cette approche globale qui m'a permis d'obtenir de nos partenaires maliens qu'ils s'engagent dans la négociation d'un accord de réadmission, ce que beaucoup d'autres pays africains refusent toujours obstinément. Il y a donc là probablement quelques enseignements à tirer quant à nos modes d'action avec ces pays...


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Pour conclure, je voudrais réaffirmer avec force le caractère indissociable à mes yeux des politiques d'immigration et des politiques de développement : on ne peut prétendre régler les problèmes des migrations sans développer le Sud.

C'est ainsi, j'en suis convaincue, que l'on parviendra à briser la spirale du triple échec qu'est encore trop souvent aujourd'hui le parcours du migrant : premier échec de l'arrachement à la terre natale, du fait de la pauvreté ; deuxième échec de la non-intégration dans le pays d'arrivée, en Europe ; et troisième échec de la reconduite à la frontière, avec retour à la case départ sans aucune perspective.

Par cette approche globale, en effet, nous parviendrons j'en suis sûre à offrir à la fois, davantage de perspectives d'emplois dans les pays d'origine, et de meilleures conditions d'intégration dans les pays d'arrivée.

Je vous remercie, et suis naturellement à votre disposition pour répondre aux questions de votre Commission.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2007

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