Discours politique

François Hollande, Discours de clôture du premier forum de la rénovation : François Hollande (24/11/2007)

Chers Amis, Chers Camarades,

Rénover, c'est travailler. Penser l'avenir, c'est faire l'effort collectif de prendre les sujets les plus difficiles et d'essayer de les traduire politiquement. C'est ce que j'ai voulu, au lendemain des élections présidentielle et législatives, pour sortir d'une conclusion convenue qui aurait simplement convoqué un Congrès qui, lui-même, se serait organisé comme toujours autour de nos sensibilités pour choisir -et c'est normal- une direction et un Premier secrétaire. J'ai voulu que, collectivement, nous fassions l'effort de savoir pourquoi nous n'avions pas réussi à convaincre et comment, demain, nous pourrions y parvenir.

Rénover le Parti socialiste, c'est nécessaire. C'est toujours nécessaire et n'attendons pas les défaites pour engager ce processus. Même après les victoires, nous pouvons rénover. C'est nécessaire, mais ce n'est jamais le moment : au lendemain d'une élection, chacun est fatigué et reporte à plus tard les décisions utiles.

Aujourd'hui -et je comprends l'interrogation- nos concitoyens attendent un Parti socialiste à l'offensive sur le pouvoir d'achat, sur la protection sociale, sur les retraites, sur une conception de l'exercice du pouvoir. Ils attendent un Parti socialiste dans la dénonciation -et il y a matière. Et nous, nous proposons aujourd'hui une réflexion sur la Nation ! Je vois bien les commentaires : ces socialistes vraiment ! Ils sont incroyables ! Les Français sont en manifestation, dans les cortèges et eux, doctement, réfléchissent à la Nation !

Il faut accepter d'être tout à la fois : dans l'opposition là où nous avons vocation à l'exprimer au Parlement. On se plaint de ne pas voir la gauche ! Que l'on vienne au Parlement écouter, voir ceux qui -à l'Assemblée nationale et au Sénat- interpellent le gouvernement, font des propositions. Ne l'oublions pas, le lieu de la démocratie, c'est le Parlement et pas simplement l'exercice solitaire du Président de la République qui s'invite tous les soirs à la télévision... Sauf les jours de grève !

La place qui est la nôtre est aussi d'être dans les cortèges, les manifestations pour soutenir les revendications justes. La place qui est la nôtre est d'être dans les collectivités locales où nous agissons, en capacité d'être utiles pour les Français. Dois-je rappeler que nous sommes aux responsabilités dans 22 régions sur 24, dans la majorité des départements de France à la tête des Conseils généraux, dans beaucoup de villes -et pas assez encore- en capacité d'apaiser un certain nombre de maux qui frappent nos concitoyens. Voilà ce que c'est que d'être socialiste.

Mais, c'est aussi de prendre la responsabilité du temps de la réflexion, car il n'y a pas de victoire possible sans engager la bataille des idées , si nous ne sommes pas nous-mêmes au clair sur ce que nous pensons, si nous n'avons pas la capacité de donner une explication du monde, une force à nos propositions. Nous ne sommes pas simplement une agrégation d'individualités ou de revendications. Nous sommes bien plus que cela ! Nous sommes une force collective capable de penser ensemble et d'exprimer, ensuite, les propositions qui conviennent pour le pays.

Je sais bien qu'aujourd'hui notre forum s'inscrit dans un contexte : une forte mobilisation sociale. Elle n'allait pas de soi quant, au lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy, on annonçait une " chambre bleu horizon " ; et l'on a vu 204 députés socialistes et radicaux de gauche victorieux au soir du deuxième tour des élections législatives. Mais, ceux-là même qui ne nous attendaient pas disaient que cela serait difficile, comme un rouleau compresseur et une mobilisation sociale puissance s'est levée. Elle met à l'épreuve, à travers toutes ces revendications qui sont quelques fois portées par des catégories mais unies par un thème -celui du pouvoir d'achat, la méthode et la politique de Nicolas Sarkozy.

Sa méthode est de diviser les Français, de stigmatiser de pseudo privilégiés au nom d'une fausse équité. Sa méthode, c'est de tenter à chaque conflit l'épreuve de force. Sa méthode, c'est aussi la communication compassionnelle : il est d'accord avec tout le monde et surtout avec lui-même, parce que sa méthode, c'est le culte de l'ego ; une sorte de narcissisme présidentiel s'est installé. Il se juge, il se commente et il se complimente maintenant. Il dit même qu'il est le vainqueur dont ne sait quel conflit et s'annonce déjà (pour la semaine prochaine) invité d'un journal télévisé. Voilà la méthode de Nicolas Sarkozy.

Il s'agit donc de la dénoncer pour ce qu'elle comporte de risques pour la démocratie, pour ce qu'elle comporte de dangers -y compris même pour le compromis social- et pour la conception que nous avons de la République.

Quant à sa politique, six mois après, nous pouvons la juger. C'est une croissance en panne, une consommation des ménages en repli, un creusement des inégalités. Le pouvoir d'achat est devenu le miroir des illusions de Nicolas Sarkozy. Chacun peut regarder maintenant l'écart qu'il y a entre les annonces de la campagne présidentielle et les actes d'aujourd'hui. Et le paquet fiscal -ces fameux 15 milliards d'euros qui ont été dépensés pour 2008/2009 qui ne sont que cadeaux pour les plus favorisés ou un espoir que des heures supplémentaires pourraient être défiscalisées pour être données à des salariés en mal de pouvoir d'achat- est devenu un boulet que Nicolas Sarkozy et sa majorité vont traîner pendant cinq ans.

Les Français nous donnent rendez-vous en cette fin d'année sur la question du pouvoir d'achat . Et nous ne lâcherons rien. Nous avons avancé nos propositions et nous attendons les annonces de N. Sarkozy. Je souhaite que -dans les jours qui viennent- nous fassions de la question du pouvoir d'achat la grande confrontation. Et pas simplement en termes de dénonciation, mais en termes de propositions. Il nous faut montrer qu'il y a encore aujourd'hui deux politiques possibles et qu'il y a aussi la capacité pour la gauche, pour le Parti socialiste, à montrer que sa politique pourrait s'appliquer aujourd'hui. Nous allons lancer une campagne de meeting, de rencontres, de distributions de tracts sur cette question du pouvoir d'achat. Ce sera le grand débat, l'épreuve de vérité.

On nous demande de plus nous faire entendre, nous les socialistes. Ceux qui nous le disent sont souvent ceux qui ne nous ont pas écouté lorsqu'on leur disait de ne pas voter pour N. Sarkozy et de voter pour S. Royal. Mais, je suis d'une bonne constitution et je ne me plains pas chaque fois que l'on interpelle le Parti socialiste ; c'est que l'on doit nous aimer d'une certaine façon.

Nous serons là pour défendre les sans droits, les sans logements, les sans abris. Nous serons là pour porter la voix de la contestation chaque fois qu'elle est légitime, pour prendre notre part dans les mouvements sociaux chaque fois que nous les considérons comme justes, et pour faire en sorte aussi de donner une espérance.

Nous avons bien plus à faire qu'à dénoncer ou à appuyer. Nous sommes l'opposition parlementaire ; nous avons la responsabilité des territoires et nous sommes la seule force capable de préparer l'alternance. C'est donc là que se situe l'exigence de rénovation.

Bien sûr, elle est brandie par tous ceux qui, au lendemain des défaites, veulent une accélération de l'Histoire et c'est légitime. Elle sert aussi d'étendard à tous les aspirants au renouvellement. Elle est aussi un mot qui sert de cache-misère au manque d'idées ou à une forme de paresse politique qui voudrait qu'il suffise de dire rénovation pour que l'on soit quitte avec sa conscience.

La rénovation est une obligation car elle doit être d'abord l'affirmation de notre identité socialiste. Il faut pleinement assumer notre identité socialiste sans craindre les admonestations -de nos adversaires surtout- ou les railleries - celles de l'ultra gauche pour qui les luttes, les conflits, les grèves sont l'objet même de la politique, sans se préoccuper du débouché du mouvement quand, pour nous et c'est ce qui nous différencie, c'est la négociation, le compromis, les élections qui doivent être les issues des combats que nous engageons contre l'injustice, contre le désordre et contre la droite.

Telle est notre attitude dans le mouvement sur les régimes spéciaux ; la réforme ne peut se faire dans n'importe quelle condition et sans contrepartie. Il faut une réforme, mais elle doit être négociée et elle doit avoir pour les salariés concernés des contreparties. C'est moins voyant sans doute que tel ou tel slogan, mais plus utile si l'on veut et si l'on prétend défendre les salariés dans notre pays.

Il nous faut répondre aussi à ceux qui utilisent toujours les vieilles rengaines sur le dépassement primordial des clivages pour les socialistes, qu'ils soient modernes, qu'ils en finissent avec les vieilles lunes de la redistribution, de l'abandon des protections notamment du code du travail... Bref, on demande aux socialistes, pour qu'ils soient " modernes ", de ne plus être à gauche. Etre socialiste assumé , ce que nous sommes, c'est dénoncer ce que la droite défait, mais c'est aussi annoncé toujours ce que la gauche ferait ; c'est de défendre ce qui est juste et de combattre ce qui ne l'est pas ; c'est d'être utile aux Français bien plus qu'à nous-mêmes. Voilà la première rénovation : dire ce que nous sommes et le dire avec fierté.

La seconde rénovation, c'est aussi un changement du Parti socialiste, de ses règles de fonctionnement, de ses modes d'organisation, de sa représentation, de la place des militants, du rôle des électeurs... Nous le ferons lors de notre prochain congrès qui décidera de tout : de ce qui relève des statuts comme de ce qui relève de nos orientations.

Mais le premier changement que nous devons opérer n'est pas statutaire, il ne tient pas à un congrès. Le premier changement, c'est celui de nos comportements, c'est de respecter les votes des militants, c'est de respecter les instances de notre Parti, c'est de respecter le travail collectif. Prenons garde que notre Parti ne soit pas touché par les excès même de la société que nous dénonçons tous : l'individualisme, le consumérisme, le narcissisme, la médiatisation.

Il nous faut aujourd'hui faire attention car ces mots-là sont dans la société et Nicolas Sarkozy n'en est que le reflet ; son narcissisme, sa conception personnelle du pouvoir ne sont qu'une façon de traduire les dérives d'une société, voire même de les amplifier.

Nous devons donc avoir une cohésion des équipes et une cohérence des positions. C'est la condition même de la crédibilité. La meilleure façon de se faire entendre, c'est de se faire comprendre. Pour être audible, mieux vaut parler dans le même sens plutôt que disserter chacun dans son coin pour être prétendument le meilleur socialiste, meilleur que le voisin, alors qu'il faut pouvoir dialoguer et débattre dans la même pièce.

La rénovation, ce sont aussi les idées. Le combat politique est un combat idéologique.

Nous l'avons peut-être trop oublié. Imposer sa vision du monde, de la société, de la Nation, choisir ses thèmes, construire son vocabulaire, trouver les mots, tout cela est affaire de politique et non de communication. Les idées sont la force pour nos propositions. Les programmes politiques ne suscitent l'intérêt, voire l'adhésion, de nos concitoyens que s'ils s'inscrivent dans un cadre, dans des références, des valeurs... Bref, dans ce qui est ressenti comme un fondement solide pour l'action. Ce qui paraît clair, ce qui ouvre des perspectives, de qui donne à penser à un avenir différent d'aujourd'hui. Le travail intellectuel n'est pas un travail superflu, c'est un travail préalable avant toute construction politique.

Nous, les socialistes, nous avons pu parfois donner le sentiment de répondre à tout, d'avoir des propositions sur tout, de s'engager sur tout, d'ajouter les revendications aux objectifs... Bref de ne plus savoir hiérarchiser les enjeux, de diluer le volontarisme et de ne pas répondre à l'essentiel.

L'essentiel aujourd'hui, dans le débat public, c'est de pouvoir répondre à trois questions :

Qu'est-ce que la Nation aujourd'hui ? Que porte-t-elle ? Comment lui donner un sens, comment la rassembler autour d'un projet qui nous dépasse ?

Comment agir en politique dans la mondialisation d'aujourd'hui ? Il ne s'agit pas de la dénoncer ou de l'accepter ; il s'agit de la prendre telle qu'elle est pour être les meilleurs dans cette mondialisation tout en en évitant les effets pervers.

Comment réussir à accorder toute sa place à un individu, à la personne humaine tout en faisant en sorte qu'elle conçoive son destin dans un cadre collectif ?

Si nous répondons à ces trois questions avec clarté, avec franchise, avec sincérité et avec intelligence, je pense que nous pouvons ouvrir une perspective sérieuse. Non pas simplement pour l'alternance mais pour capacité de transformation durable de notre pays.

Qu'est-ce que la Nation

Cette question nous oblige à répondre à trois interpellations :

Quelle est notre conception de la Nation

Cette interrogation a toujours été au coeur de chaque grande confrontation politique depuis l'histoire même de la République puisque, à chaque grand moment de notre Histoire, il s'est agi d'un choix, d'un projet pour la Nation, de deux conceptions qui s'affrontaient sur l'idée même de la Nation. Et les citoyens, lorsqu'ils ont voté, ont fait un choix qui n'est pas simplement un choix de personne mais aussi un choix de projet qui valait pour toute la Nation.

Lors de la précédente élection présidentielle, le débat a été plus centré sur les valeurs que sur les propositions ; et l'identité nationale que l'on croyait gommée -pour ne pas dire effacée- par la mondialisation, par l'Europe, par l'individualisation, a ressurgi presque comme par effraction. Nous ne devons pas laisser à Nicolas Sarkozy le monopole de la France et l'idée même de Nation. Parce qu'en définitive, nous aimons la France tout autant que les autres, nous ne dénions pas aux autres le fait de l'aimer, mais nous disons simplement que la France que nous aimons peut avoir deux visions de sa propre Histoire et deux visions de son avenir.

Nous avons donc le devoir de parler non pas au nom de la France, mais pour la France et au nom d'une conception de la Nation. La Nation n'a jamais été une valeur consensuelle dans notre pays ; le clivage politique s'est longtemps fait autour de la Nation que chaque camp cherchait à s'approprier. Il faut donc dire que c'est la gauche qui a reconnu la Nation : c'est la Révolution française qui a associé Nation et citoyenneté, qui a considéré que la communauté des citoyens formait Nation. Jules Michelet disait que " le Dieu des Nations avait choisi la France ", parce que la France avait fait éclore l'idée même de Nation -la Révolution française ; elle avait donc permis de passer du sujet qui était l'individu sous la monarchie au citoyen dans la République.

Ensuite, toute la République a porté l'idée de Nation quand ceux qui n'aimaient pas la République contestaient la Nation elle-même. Les choses ensuite se sont troublées : les guerres coloniales ont été aussi faites par des Républicains au nom de la Nation, en pensant porter les valeurs civilisatrices. Jules Ferry -qui n'est pas le plus mineur de nos Républicains- croyait défendre la République quand il la projetait dans les colonies, alors que d'autres Républicains -heureusement- affirmaient que cette conception supérieure de la civilisation était contraire à l'idée même de la République.

La gauche a donc toujours été hésitante ; tantôt elle retrouvait la Nation, la République : la Libération, le Conseil National de la Résistance ; tantôt elle s'en méfiait tant elle pensait que la Nation pouvait dériver vers le nationalisme. Mais chaque fois que la gauche a oublié la Nation, la droite s'est enfoncée dans la brèche et a imposé alors sa propre conception.

Il y deux définitions de la Nation selon la droite ou selon la gauche :

Pour la gauche , la Nation se confond avec la citoyenneté ; elle est un contrat entre des hommes libres, définissant par leurs représentants la volonté générale. Elle est donc une universalité, un combat commun. C'est l'idée de la Nation ouverte, de la Nation qui se donne aux autres , qui donne à voir son modèle. Dans la conception de la gauche, c'est l'idée de la Nation comme chance pour les autres et qui ne voit pas en eux un ennemi.

Pour la droite , en revanche, la Nation puise sa légitimité dans l'origine, dans l'héritage, dans le sang, dans l'histoire, dans la langue. La réponse est donc identitaire ; c'est l'idée d'une Nation qui se méfie des autres, qui se méfie de l'étranger, de l'immigré, du voisin. Nous voyons bien que cette conception de la Nation est fondée sur le danger.

Si bien que, lorsque nous regardons le débat d'aujourd'hui avec les définitions d'hier, on se rend compte que, pour certaines de ces définitions, elles sont dépassées et, en même temps, le retour se fait. C'est pourquoi l'idée même d'un Ministère de l'identité nationale, abstraction faite de l'immigration ajoutée à ce Ministère, est contraire à la conception que nous avons de la Nation. La Nation n'est pas un ministère, la Nation c'est la République. De plus, La Nation ne peut pas être un ministère de l'identité et de l'immigration, car la Nation ne se définit pas au contraire des autres, mais avec les autres.

C'est pourquoi aujourd'hui, en ce début du XXIè Siècle, je pense que nous avons besoin de redéfinir ce qu'est pour nous le récit national.

Le monde a changé, le capitalisme est là, le marché s'est imposé, l'Europe s'est bâtie, les courants migratoires ont créé des générations de Français aux différentes couleurs aujourd'hui et aux différentes religions, d'autres identités locales, culturelles se sont imposées. Que signifie donc pour nous, socialistes, la Nation ?

Plusieurs options s'ouvrent :

La première est de considérer qu'il faut dépasser la Nation et que l'Europe serait le nouvel horizon.

Le second choix que nous pouvons faire est de nous replier dans le cadre national en considérant que la souveraineté doit être rétablie avec des protections autour de nous.

Et il y a la troisième option, la nôtre, celle d'une dynamique nationale et qui finalement emprunte à la fois à l'Histoire et au présent de la campagne présidentielle.

Renan affirmait que " la Nation, c'est la volonté de continuer à faire valoir l'héritage que l'on a reçu en indivision ". Mais pas simplement faire vivre l'héritage, mais porter une volonté d'avenir et la porter ensemble. C'est à la fois ce qu'il appelait le " plébiscite de tous les jours que de vivre dans la même Nation " et le désir d'une vie commune, de poursuivre l'engagement commun.

Et, si l'on songe à ce que disait Ségolène Royal pendant la campagne, c'était une forme d'actualisation de Renan : " la Nation ne demande pas aux gens d'où ils viennent, mais où ils veulent aller ensemble ". Pour nous, la Nation est à la fois une mémoire et un projet communément partagé. Il faut partager la mémoire et partager l'avenir.

Sur la mémoire, si l'on ne la traite pas on ne peut pas traiter l'avenir. La transmission de la mémoire est un élément constitutif de la Nation. C'est tout le sens que nous donnons à l'histoire, toute l'histoire, pas une vision idéaliste de l'Histoire, l'Histoire avec ses gloires et ses manquements, ses drames.

C'est pour cela que nous avons un débat avec la droite. Pour la droite, il s'agit de repentance dès que l'on évoque des pages douloureuses de l'Histoire (la colonisation, l'esclavage, les guerres de décolonisation, sans parler de Vichy ou de la déportation). Pour nous, nous ne sommes pas responsables de notre Histoire, nous en sommes les héritiers et en même temps, nous devons en donner le message. Il ne peut donc, en ce sens, y avoir d'avenir commun s'il n'y a pas reconnaissance de l'Histoire dans son ensemble, y compris des mémoires blessées, des mémoires flouées . Oui, nous devons reconnaître le colonialisme, les guerres, la collaboration, les déportations comme étant, hélas, dans notre Histoire et qui comptent encore aujourd'hui. Nous devons renouer avec les mémoires blessées, les reconnaître afin de permettre la réconciliation.

Nous n'avons rien à craindre de notre conception de la Nation à rappeler les moments tragiques de notre Histoire ; nous n'en serons que plus fiers pour rappeler les moments glorieux (le combat de la République, l'affaire Dreyfus, la Résistance, la capacité qu'a notre peuple à se soulever face au racisme, à l'antisémitisme et au fondamentalisme). C'est aussi cela qui nous permet d'être ensemble. Mais, ce travail de mémoire qui rejoint ce que disait Renan : " c'est un héritage de gloires et de regrets à partager ". Il faut partager les regrets pour partager les gloires.

À cette mémoire doit correspondre un projet républicain. C'est cela le projet de la Nation, son avenir. Il est fondé sur un contrat social qui unit les citoyens avec des droits, des garanties, des devoirs. C'est pour cela que, suite à notre forum et pour lui donner un prolongement, ce que nous avons à écrire maintenant, c'est le projet de la République, c'est le projet de la Nation. Nous écrirons donc une Charte de la citoyenneté du XXIè Siècle : que signifie être Français aujourd'hui ? Que signifie être résidant France ?

Quelle est notre conception de l'Etat

Fallait-il considérer que l'Etat n'était plus la forme appropriée, que c'était l'Europe, la gouvernance mondiale ou les collectivités locales qui devaient être notre cadre de référence ?

Il faut évacuer un malentendu. Il a été dit que les socialistes gagnaient toutes les élections locales et territoriales et qu'ils perdaient l'élection présidentielle (trois fois). Je ne voudrais pas que l'on imagine qu'il y aurait comme une forme de " division du travail " politique où on laisserait le gouvernement et la Présidence de la République à la droite, au prétexte qu'elle aurait quelques compétences -je ne les vois pas-, et que la gauche pourrait apaiser les maux de notre société, assurer la solidarité et que les citoyens auraient, finalement, trouvé la combinaison : à la droite le pouvoir d'Etat, à la gauche le pouvoir territorial. Nous sommes d'accord pour accepter tous les suffrages pour les prochaines élections municipales et cantonales prochaines. Mais, il me faut vous dire que nous jouerons toute la partie et je souhaite que tout ce que nous faisons dans nos villes, dans nos départements, dans nos régions, soit au service de notre crédibilité nationale.

Mais, il faut répondre à la question suivante : qui, aujourd'hui, est le plus à même de régler les grands sujets de la Nation ?

L'Etat-Nation est encore aujourd'hui le cadre essentiel, la communauté politique fondamentale . Notre conception de la Nation exige un Etat présent et respecté. C'est en ce sens que nous avons, là encore, une opposition avec la droite. Elle démantèle l'Etat, sauf dans sa fonction régalienne ; le marché n'a plus besoin d'un Etat redistributeur, n'a plus besoin d'un Etat présent avec ses services publics, n'a plus besoin d'un Etat qui organise la prévention, qui promeut l'Education... Tout cela peut se faire par le marché ! En revanche, plus le marché prendra sa place, plus le besoin d'ordre se fera sentir. Et c'est là qu'il peut y avoir un défi considérable. La droite désorganise la Nation par le marché, au point de faire appel à un Etat fort pour régler le désordre.

Dès lors que nous savons limiter le marché tout en le reconnaissant et que nous affirmons le besoin de services publics et de mécanismes de redistribution, c'est l'Etat qui doit assumer cette fonction.

Trois interrogations existent :

La première : la décentralisation jusqu'où ? La France est une République indivisible, les mots sont encore inscrits dans notre Constitution et ils ont perdu leur sens. Nous avons souhaité la décentralisation, elle a été dévoyée. Aujourd'hui, selon le département où vous vivez, la commune même, vous n'avez plus les mêmes droits sociaux, pas les mêmes droits à la solidarité, pas les mêmes droits pour les personnes handicapées, pas les mêmes droits pour les personnes âgées, pas les mêmes droits pour les Rmistes. Comment peut-on accepter cette discrimination territoriale ?

Autant nous devons considérer la décentralisation comme une autre façon de décider au plus près des citoyens, autant nous ne pouvons pas accepter qu'il y ait aujourd'hui des règles différentes selon les territoires. C'est pour cela que nous faisons deux propositions : il faut un ordre social avec des droits fondamentaux qui valent partout sur le territoire de la République et que nulle collectivité ne peut s'en exonérer ; et il faut spécialiser les collectivités locales, clarifier leurs compétences , de façon à ce que l'on sache les limites mêmes des compétences qui sont accordées aux différentes collectivités locales tout en leur accordant les moyens financiers correspondants.

La deuxième interrogation : jusqu'où aller dans la diversité culturelle ? Quelle place pour les langues régionales ? Quelle place pour la reconnaissance des communautés ? Des religions ? Là, nous devons apporter des réponses adaptées, mais claires. Pour nous la laïcité est ce qui rend possible l'inclusion de tous dans le projet national. La laïcité est la réponse, y compris à la question la plus difficile de la diversité culturelle et de la présence de plusieurs religions. La laïcité permet à la fois la reconnaissance des croyances et leur organisation, tout en assurant la séparation entre l'Etat et les cultes. Tout en évitant aussi qu'il y ait une atteinte à la liberté individuelle lorsqu'une religion ou des familles font porter sur leurs enfants des contraintes que la République n'accepte pas. La laïcité est, pour nous, la réponse.

Ensuite, nous devons aller beaucoup plus loin sur les rites républicains . Nous nous en étions éloignés. Il est très important que ceux qui accèdent à la nationalité française soient accueillis dans la République par les élus de la République. C'est aussi important qu'il y ait des signes tangibles à la naissance, au moment des unions (mariage, pacs) car ce ne sont pas seulement des actes d'état civil, mais aussi des actes républicains que nous portons. Les rites républicains ne sont pas une vieillerie, ils ne sont pas superflus ; ils sont essentiels si nous voulons conserver l'unité indispensable.

Et est née la notion de République métissée qui n'est pas simplement affaire de visages ou de couleur de peau. La République métissée , c'est de prendre la France telle qu'elle est, de la reconnaître telle qu'elle est, à travers des individus qui ont justement des identités, mais aussi l'appartenance à la République qui dépasse tout. Nous ne devons donc pas avoir peur de la diversité, car nous avons la laïcité, les rites républicains et les signes ainsi qu'une conception de la République. À la condition aussi que la représentation politique soit à l'image de la société française. Le Parti socialiste en est encore loin, même s'il fait des progrès. Nous aurons plus de personnalités venues de la diversité de la société française que nous n'en avons jamais eues lors des prochaines élections municipales et nous y veillerons jusqu'au bout.

La troisième interrogation est celle de l'immigration. Nous devons accueillir des résidants nouveaux. Nous devons le faire à la fois par rapport à la tradition de la ville, mais aussi par rapport aux besoins de l'économie française et aussi aux besoins de développement dans un certain nombre de pays par des accords négociés. Nous devons le faire en maîtrisant les allers et les retours ; c'est le rôle de la République, c'est le rôle de l'Etat. Nous devons aussi intégrer les citoyens. Nous continuons à dire qu'il faudrait, lors de la prochaine réforme de nos institutions, inscrire le droit de vote des étrangers aux élections locales ; c'est bien le moment de le faire. Nous devons refuser l'idée d'immigration choisie (comment, lesquels) et développer l'idée d'une immigration partagée entre pays d'origine et pays d'accueil. Et, enfin, nous devons poser comme principe républicain pour tout résidant dans la Nation qu'il doit accepter les lois de la République, et donc les droits et les devoirs qui en découlent.

Quelle est notre conception de l'Europe

Nous avons accepté les transferts de souveraineté depuis 40 ans de la France vers l'Europe. L'Europe est-elle devenue pour autant une nouvelle Nation. Non. L'Europe n'est pas une Nation ; l'Europe n'est pas constituée comme une Nation. Est-ce à dire que l'Europe ne doit pas être un espace démocratique ? Bien sûr qu'elle doit l'être. La démocratie précède la Nation. Nous devons donc revendiquer le contrôle démocratique de l'Europe, mais nous devons éviter aussi la confusion des projets et l'ambiguïté des notions.

Confusion des projets : nous avons bâti une Europe sans qu'il soit clairement indiqué quelle était la responsabilité de l'Union, qu'est-ce qui relevait de l'Etat-Nation. Si bien que la défausse s'est opérée et que l'Etat-Nation renvoie sur l'Europe sa propre responsabilité et l'Europe s'exonère aussi des siennes -notamment sur la gestion de l'économie.

Forme d'ambiguïté : nous avons nous-mêmes donné à l'Europe un rôle qu'elle ne pouvait pas jouer, surtout avec l'élargissement et aujourd'hui avec l'Europe à 27. Nous avions nous, les Français, pensé que l'Europe serait une " France en grand ", que finalement en Europe il y aurait 250 millions de Français ! C'était une idée de la conquête démocratique, mais elle ne pouvait être acceptée par nos partenaires qui, eux, ne voyaient pas forcément leur avenir ainsi. Nous avions donc une autre conception qui consistait à dire que l'Europe sera notre avenir, ne parvenant pas à définir ce qu'est aujourd'hui la Nation. Nous pensions que l'Europe prolongerait la Nation. Tel n'est pas le cas. Soyons clairs : l'Europe est un cadre politique qui doit être organisé ; l'Europe est un espace qui doit être démocratisé ; l'Europe est un levier, et notamment dans la bataille contre la mondialisation. L'Europe est aussi un continent solidaire, mais l'Europe n'est pas une Nation.

C'est pourquoi il faut revenir, à propos de l'Europe, à cette idée de Fédération d'Etats-Nations. On s'était moqué de nous quand Jacques Delors avait trouvé la formule. Elle est la bonne. Etat-Nation, parce que nous sommes dans ce cadre-là de la volonté politique, mais fédération parce que nous devons bâtir un ensemble cohérent qui doit devenir démocratique.

Merci d'abord d'être dans ce processus, merci d'y croire. Beaucoup en doutent, beaucoup nous regardent un peu sceptiques (vont-ils y arriver les socialistes) avec un sourire narquois (vont-ils pouvoir changer, vont-ils pouvoir débattre sans tomber dans les questions de personnes).

Nous avons été dans le débat sans querelle de sensibilité, parce que l'on est meilleur avec les autres que tout seul. C'est bien la conception que nous devons donner à la politique. N. Sarkozy ne pourra réussir seul -et même avec les autres dans son camp, c'est encore difficile. Seul, on ne peut pas changer un pays. Il n'y a pas de femme ou d'homme providentiel. Il peut y avoir -et c'est ce que nous demandons- un Président qui exerce ses responsabilités. Mais il ne peut pas parvenir à entraîner une société s'il n'a pas confiance dans le Parlement, dans les citoyens, dans les corps intermédiaires, confiance dans les syndicats.

Le projet que nous devons porter, pour le Parti socialiste, est un projet démocratique où le collectif n'étouffe pas les individus et est une forme d'épanouissement pour les individus. Nous ne pouvons pas vouloir changer la France sans changer nous-mêmes. Faisons au Parti socialiste ce que nous voudrions faire pour la France.

Nous avons ensemble permis d'y voir plus clair sur la Nation , sur le projet qu'elle doit porter : le projet de la République, le contrat social, l'égalité entre les individus -quelles que soient leur couleur de peau, leurs origines, leurs parcours professionnels, leurs genres ; c'est le contrat social autour de l'émancipation car c'est cela que nous devons donner comme message .

Nous devons donc être rassemblés pour atteindre cet objectif. Face à une droite qui veut diviser, nous nous devons rassembler et mobiliser. Nous devons porter des valeurs universelles et pas simplement pour la France, mais pour l'Europe et pour le reste du monde. Il faut multiplier les coopérations. Notre Nation doit être une nation émancipatrice du reste du monde et nous avons un devoir vis-à-vis des pays du Sud : pas simplement un devoir de solidarité, d'assistance, mais d'exigence pour que ces belles valeurs de liberté, de fraternité soient portées bien plus loin que la France.

Il nous faut démontrer qu'ensemble nous pouvons aimer la France et nous pouvons aussi en changer l'avenir ensemble.