Discours politique

Nicolas Dupont-Aignan, Transformation de La Poste en SA : NDA demande de vraies garanties (17/12/2009)

Mes Chers Collègues,

Nous débattons aujourd'hui d'un sujet à bien des égards emblématique des incertitudes qui pèsent sur notre pacte social et national : l'avenir de La Poste et, plus généralement à travers lui, celui des services publics qui occupent une place importante dans le modèle français hérité du Conseil National de la Résistance, au point même d'être devenus un élément constitutif de notre identité nationale.

Oui, mes Chers Collègues, en ces temps où il est beaucoup question d'identité nationale, je m'étonne qu'aussi peu d'acteurs de notre vie politique, élus ou journalistes, soulignent à quel point les services publics à la française font partie intégrante de notre patrimoine commun, de notre organisation économique et sociale, de la vie quotidienne de tous les Français, bref de ce plébiscite de tous les jours que constitue le vouloir-vivre ensemble républicain.

S'agissant de La Poste, j'irai même encore plus loin, puisque dès l'époque moderne les rois de France y ont porté une attention particulière, consacrant ce qu'il faut bel et bien appeler un service public souverain d'intérêt général majeur.

Alors bien sûr, on me rappellera que ce qui est en jeu est seulement la transformation en société anonyme de La Poste pour lui permettre d'accompagner l'ouverture à la concurrence européenne du marché postal avec, nous jure-t-on, la garantie absolue du maintien des missions de service public et de la préservation d'un capital à 100% public.

Mais, mes Chers Collègues, nous savons tous ce qu'il en est de ce débat pipé... Alors je vous propose de mettre cartes sur table.

Premier élément, il est bien évident que c'est la libéralisation européenne du marché postal qui impose le changement de statut en société anonyme. Mes Collègues du PS, notamment, réfutent cette réalité évidente parce qu'ils ne veulent pas assumer devant les Français les conséquences d'une décision dont ils furent coresponsables à Bruxelles, un certain 15 juin 1997 sous le gouvernement de Lionel JOSPIN !

On me répondra que les textes européens n'interdisent pas la propriété publique d'une entreprise opérant dans le secteur concurrentiel. Mais ce n'est qu'à moitié vrai, vous le savez bien, car en même temps la Commission de Bruxelles estime qu'une entreprise détenue par un Etat bénéficie d'une garantie illimitée de la part de ce dernier, ce qui fausserait irrémédiablement, selon elle, la sacro-sainte concurrence libre et non-faussée. Bref, cette soi-disant non-interdiction est un mythe, une fable, qui signifie simplement que la Commission européenne, une fois de plus, n'avance pas à visage découvert, de peur de provoquer la colère des peuples. S'il en avait été autrement, d'ailleurs, pourquoi avoir transformé deux autres entreprises publiques, EDF et GDF, en sociétés anonymes, lors de l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence ?

La contrainte juridique de la transformation de La Poste en SA est donc impérieuse, n'en déplaise au Parti socialiste et à ses alliés. Que penser, symétriquement, de la promesse de préserver l'intégrité publique du capital de la future société anonyme, comme le jure la main sur le coeur le ministre de l'Industrie ? Là non plus, mes Chers Collègues, ne nous racontons pas d'histoires entre nous : tout d'abord, ce que la loi fait, la loi peut le défaire, réduisant à rien la promesse d'éternité publique du capital de la Poste par la loi que nous fait Christian ESTROSI depuis des mois.

La réalité est que La Poste, comme EDF, va chercher à s'implanter sur le marché postal d'autres pays européens, ce qui nécessitera des alliances financières, des partenariats, par exemple par échange d'actions. Il sera alors temps de changer la loi d'une pichenette, comme ce fut le cas lorsque Nicolas SARKOZY, ministre de l'Economie et des Finances, bafoua l'engagement qu'il avait pris de ne pas privatiser GDF, transformé quelques années plus tôt en SA avec la promesse de maintenir son capital public...

Donc, mes chers Collègues de la majorité, personne ne croit à cet argument brandi par le Gouvernement avec une telle insistance qu'on peut se demander s'il n'a pas besoin de s'en convaincre lui-même. Et vous prendriez sans doute le risque de ne pas être crus par les Français si vous vous en prévaliez pour justifier votre vote. A cet égard, je vous invite à vous en remettre aux mises en garde de l'opposition socialiste, qui a pour elle un argument imparable, celui de l'expérience... Oui, je crois le PS lorsqu'il affirme que la transformation de La Poste en SA est en réalité la porte ouverte à sa privatisation rampante, puisque c'est très exactement ce que le PS a fait lui-même avec France Télécom à la fin des années 90, lorsqu'il était au pouvoir ! Et avec quels résultats, à voir l'état de l'entreprise et de ses salariés une décennie plus tard !

Ainsi donc, nous voyons bien que le débat engagé par les deux bords de cet hémicycle est un jeu de dupes, un débat pipé, pour la simple et bonne raison que les deux bords de cet hémicycle sont coresponsables du fatal engrenage de la privatisation de nos services publics nationaux, qu'ils ont l'un et l'autre abandonnés sur un coin de table, loin des regards des Français, dans d'obscurs bureaux bruxellois. C'est d'ailleurs sans doute pour la même raison que les deux bords de l'hémicycle ont voté ou laissé voter avec plus ou moins de franchise le traité de Lisbonne dont la ratification bafoue le référendum du 29 mai 2005, viole la souveraineté populaire, et qui rentre, hélas, en vigueur actuellement...

Alors mes Chers Collègues de la majorité, si vous souhaitez vraiment convaincre les Français que La Poste restera publique, prenez au moins le soin d'inscrire de vraies garanties dans le texte de loi : par exemple en verrouillant la participation de l'Etat au capital de l'entreprise à 70% au minimum, par l'inscription dans la loi que toute diminution en deçà de ce seuil serait soumise à une approbation du Parlement au 3/5ème des voix ! Ou mieux encore, en rendant obligatoire un référendum.

Je doute hélas que le Gouvernement vous laisse faire, pas plus d'ailleurs que l'opposition, trop heureuse en réalité de vous laisser faire le sale boulot tout en faisant mine de s'opposer à une décision qu'elle souhaite secrètement mais qu'elle ne veut pas assumer devant les Français !

Mais rêvons un peu, admettons que vous inscriviez une telle garantie, une garantie qui serait réelle pour le coup, cela ne suffirait pas. Cela ne suffirait pas, en effet, car la libéralisation du marché postal continuerait à se développer, avec toutes ses conséquences funestes. Il serait alors difficile d'empêcher de lourdes réductions d'emploi et la généralisation du travail précaire, comme cela se produit depuis 10 ans à France Télécom, comme cela s'observe dans les pays européens qui ont pris de l'avance dans la libéralisation du secteur postal, par exemple l'Allemagne où 15 000 emplois ont été supprimés.

En revanche, il serait encore possible de limiter les ravages d'une désertification postale que recèle intrinsèquement la recherche à tout prix de la rentabilité financière, au détriment des zones sous-peuplées, comme les zones rurales bien sûr. Vous le savez, un Fonds postal de péréquation territoriale a été créé pour prévenir ce risque, preuve d'ailleurs qu'il ne s'agit en rien d'un risque imaginaire. Hélas, ce Fonds est structurellement déficitaire et son financement, assuré par La Poste à hauteur de l'abattement de taxe professionnelle dont elle bénéficie, est très injuste, puisqu'il repose en dernier ressort sur les épaules des contribuables locaux et des usagers. La vraie solution serait sans doute de taxer l'ensemble des opérateurs postaux qui vont être amenés à intervenir sur le marché français afin de financer un réseau de bureaux de poste digne de ce nom, plutôt que de s'en remettre à des agences postales communales ou à des points poste qui ne constituent jamais qu'un service public au rabais, sans garantie réelle de continuité.

Conditionner la diminution à moins de 70% de la participation de l'Etat au capital de La Poste et taxer l'ensemble des opérateurs postaux intervenant sur le territoire français pour garantir un vrai aménagement du territoire, voilà deux mesures additionnelles, simples et fiables, qui pourraient sauver les meubles si vous décidiez, mes Chers Collègues, de voter le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.

Je n'ai pour ma part qu'une certitude : jamais je ne voterai en l'état ce texte de privatisation déguisée du service public postal.

Je vous remercie.