Discours politique

Nicolas Sarkozy, Un nouvel avenir pour notre agriculture (27/10/2009)

Messieurs les Ministres, cher Bruno LE MAIRE, cher Alain JOYANDET, cher Michel MERCIER,

Messieurs les Présidents, Christian JACOB et Jean-Paul ÉMORINE,

Monsieur le Député-Maire, cher Jacques PÉLISSARD,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

et si vous me le permettez, chers amis,

En prenant la parole devant vous aujourd'hui, je veux témoigner de la solidarité de la Nation française pour le travail des paysans français, de leurs conjoints et de leurs familles. La crise que traverse l'ensemble du secteur agricole est une crise absolument exceptionnelle car toutes les filières agricoles sont aujourd'hui touchées par une baisse de revenu. Dans cette belle région de Poligny, les exploitations de polyculture et d'élevage connaissent pour la première fois une crise qui concerne toutes leurs productions.

Je pense à la souffrance des éleveurs de porcs qui sont dans l'incapacité de rembourser des annuités d'emprunts, à la révolte des producteurs de fruits et légumes qui ne peuvent obtenir de nouveaux prêts pour engager leurs prochaines saisons culturales, à la détresse des éleveurs de lait qui travaillent matin et soir sans salaire, au désarroi des viticulteurs et des producteurs de viande ou de céréales qui sont aujourd'hui dans l'incapacité de payer leurs charges.

Cette crise impacte le premier secteur industriel de notre pays avec un chiffre d'affaires annuel de 163 milliards d'euros, loin devant le secteur automobile. Elle touche 1,6 million d'actifs et 3,6 millions de retraités sur l'ensemble de notre territoire. Aucun secteur n'est épargné, aucune région n'est épargnée. Cette crise touche donc le coeur de notre société, cette crise s'attaque à un secteur stratégique qui constitue un élément absolument incontournable de notre identité nationale. Cette crise touche aux valeurs mêmes de notre agriculture, aux valeurs mêmes de la ruralité française, celle du travail et celle de la récompense.

La crise que traverse l'ensemble du secteur agricole n'est pas une simple crise conjoncturelle dont les traces seraient appelées à être vite effacées. Cette crise est une crise structurelle. Cette crise, nous devons donc l'affronter de face, sans mentir. Cette crise ne doit pas nous inciter à attendre, elle doit nous inciter à agir, à agir vite et à agir fort. Parce que la crise est sans précédent, notre réponse doit préparer un changement lui aussi sans précédent. Nous ne devons pas nous contenter d'essayer de passer tant bien que mal une période difficile. Nous devons être ambitieux, nous devons faire preuve d'imagination, nous devons faire preuve d'audace.

La crise révèle en premier lieu un défaut de régulation européenne et mondiale auquel il est urgent de répondre. Elle révèle en second lieu des défaillances nationales réelles dans la répartition de la valeur au sein de nos filières agricoles. Entre le mois de septembre 2008 et le mois de septembre 2009 l'indice des prix à la production des produits agricoles a baissé de 20 %. Sur la même période, les prix à la consommation des produits alimentaires ont baissé de 1 %. Cet écart est sans précédent. Cet écart est inacceptable ! Il révèle une répartition inéquitable de la valeur ajoutée au sein des filières. Cet écart met notre production alimentaire en danger. Alors face à cette crise sans précédent, je vous propose aujourd'hui un nouvel élan pour l'agriculture française qui se fonde sur la stratégie suivante :

* Mise en oeuvre d'un plan de financement ambitieux pour l'agriculture en France.

* Régulation rénovée de l'agriculture et de l'agro-alimentaire en Europe et dans le monde.

* Poursuite de la modernisation de notre agriculture pour préparer la PAC de 2013.

Notre première réponse sera la mise en oeuvre d'un plan de financement ambitieux pour notre agriculture.

Nous ne pouvons pas attendre, j'en ai parfaitement conscience. La crise, il faut la maîtriser ou la subir : nous avons choisi de la maîtriser. Je refuse -- que les mots soient clairs et entendus par tous -- je refuse que l'agriculture française soit emportée par la crise. Je ne suis pas venu vous annoncer un plan de subventions contraire aux règles européennes, qu'il conviendra de rembourser dans dix ans. Cela, on vous l'a déjà fait, ne comptez pas sur moi. Respecter les gens, c'est refuser de leur mentir : je ne vous mentirai pas. Je ne suis pas venu non plus vous proposer que nous nous mettions d'accord entre nous sur un système de prix pour la viande ou pour le lait, qui conduirait ensuite certains syndicats, dans dix ans, à payer la facture de la démagogie, parce que le réveil sera alors brutal.

Je suis venu vous proposer un plan, absolument sans précédent, de soutien exceptionnel à notre agriculture, qui comprend un milliard d'euros de prêts bancaires et 650 millions d'euros de soutiens exceptionnels de l'État.

Nous allons donc engager, avant la fin de cette année, un milliard d'euros de prêts de trésorerie, de consolidation ou de restructuration d'encours pour permettre à chaque agriculteur en difficulté de pouvoir assainir sa situation de trésorerie de 2009 et engager immédiatement les dépenses d'investissement pour les prochaines campagnes. Ces prêts bénéficieront d'un différé d'un an et l'État apportera 60 millions d'euros pour qu'ils soient bonifiés. Par ce soutien, le taux d'intérêt réel des prêts de trésorerie et de consolidation sera réduit à 1,5 % sur cinq ans, voire 1 % pour les jeunes agriculteurs. Ce mécanisme apportera une réponse immédiate à la situation d'urgence que vivent en ce moment tant de producteurs de porcs confrontés au prix insupportable d'un euro par kilogramme.

Nous allons par ailleurs engager une enveloppe de 200 millions d'euros pour alléger les charges d'intérêts d'emprunts de 2009 et 2010 dues par certains agriculteurs en difficulté et, d'autre part, accompagner les restructurations des exploitations. Je pense notamment aux jeunes producteurs de lait ou de viande, qui ont investi des sommes considérables pour une mise aux normes, et qui sont aujourd'hui dans l'impossibilité absolue de rembourser leur mensualité. L'État prendra également en charge, selon la situation financière de chacun, les cotisations dues par les agriculteurs à la Mutualité sociale agricole pour un montant de 50 millions d'euros et la Taxe sur le foncier non bâti pour une dépense évaluée à environ 50 millions d'euros. Je pense notamment aux producteurs de fruits et légumes et aux viticulteurs qui sont aujourd'hui dans l'impossibilité de faire face à leurs échéances de fin d'année.

170 millions d'euros seront consacrés au remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers et de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel payée par l'ensemble des agriculteurs en 2010. C'est dans le même esprit que l'État remboursera, dès le premier trimestre, 75 % du montant de la taxe carbone de 2010, ce qui représentera 120 millions d'euros de plus. Ces deux mesures participeront à la réduction des charges des producteurs de légumes et de grandes cultures.

Ce plan exceptionnel viendra soutenir en priorité les jeunes agriculteurs ou les récents investisseurs, car je souhaite préserver la priorité en faveur d'une politique d'installation sans laquelle il n'y aurait pas d'avenir pour notre agriculture.

Ce plan, Mesdames et Messieurs sera engagé dans son intégralité avant la fin de l'année 2009. Je veillerai à ce qu'il en soit ainsi, il n'y aura aucun recul, il n'y aura aucune hésitation, il n'y aura aucun renoncement par rapport à ce que je vous annonce. Je veillerai également à la simplicité des mécanismes mis en oeuvre, car cette simplicité sera le gage de l'efficacité. Je demande à notre ministre de l'Agriculture, Bruno LE MAIRE, que je soutiens et que je félicite, d'organiser, dès la semaine prochaine, une première réunion avec les organisations représentatives concernées. Les préfets seront chargés, avec l'appui de la médiation du crédit, d'organiser un suivi et un pilotage précis de la mise en oeuvre de ces mesures.

Notre ambition collective ne doit évidemment pas s'arrêter à une relance française de notre agriculture. Mon ambition, en tant que chef de l'État, est d'apporter une réponse structurelle à cette crise au niveau européen et au niveau mondial. Nous voulons une régulation rénovée de l'agriculture et de l'agro-alimentaire en Europe et dans le monde.

La sécurité alimentaire, l'alimentation ressortissent à une nouvelle gouvernance mondiale qui ne peut se limiter à la libéralisation des échanges. Il faut ouvrir les yeux : aujourd'hui une personne sur six dans le monde souffre de la faim. Nous avons besoin de la production agricole. La seule réponse à cette crise alimentaire mondiale consistera à augmenter de 70 % la production d'ici à 2050 tout en préservant la planète. Il faudra investir 55 milliards d'euros par an pour être en mesure de nourrir 9 milliards de personnes en 2050. Nous avons besoin dans le monde d'une agriculture de production. Il n'est pas question que la France laisse tomber son agriculture. Nous devons investir dans cette agriculture de production en France et en Europe.

Parallèlement, le monde assiste depuis deux ans à une volatilité sans précédent des prix agricoles. Après les fortes augmentations du prix de la poudre de lait, des fruits ou des céréales en 2007, nous avons connu une baisse supérieure en 2008 puis en 2009 pour l'ensemble de ces productions. Ces variations violentes, de 30 à 50 % des prix d'une année sur l'autre, n'existent dans aucun autre secteur économique. Cette volatilité se retrouve dans les mêmes proportions mais à l'inverse dans le prix des engrais, de l'alimentation animale et de l'énergie. L'effet combiné de cette volatilité du prix des matières premières agricoles et des intrants met en péril des entreprises dont les investissements sont parfois amortis sur le travail d'une génération. Évidemment, si on vous paye toujours moins cher ce que vous produisez, si vous-mêmes vous payez toujours plus cher ce dont vous avez besoin pour produire et si les intérêts à la banque sont constants sur une génération, on ne voit pas comment on peut s'en sortir.

Pour remédier à cette instabilité des prix, il faut mettre en place de véritables outils de régulation.

Nous avons vu, Mesdames et Messieurs, dans le domaine financier les conséquences dramatiques des mécanismes d'un marché laissé à lui-même. Nous n'accepterons pas la même folie pour les biens qui nourrissent la population mondiale. L'idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, cette idée -- j'emploie à dessein un mot simple -- est une idée folle. La crise du secteur agricole que nous connaissons en est le témoignage le plus criant. L'économie de marché, ce n'est pas la primauté donnée au spéculateur, c'est la primauté donnée à l'entrepreneur (et l'agriculteur est un entrepreneur), c'est la récompense du travail, de l'effort et de l'initiative.

On ne peut permettre qu'une poignée de spéculateurs mettent en péril la sécurité alimentaire européenne en perturbant gravement le fonctionnement des marchés. C'est dans cet esprit que, dans le domaine des marchés de matières premières agricoles, l'Europe doit mettre en oeuvre une véritable régulation. Et la France demande à la Commission européenne de prendre l'initiative en ce domaine, afin que soit limitée la spéculation croissante et encadrés les produits financiers dérivés sur ces marchés. Que les choses soient claires, la France ne transigera pas avec cet impératif. Nous avons ouvert, en 2008, sous présidence française un débat sur les principes fondateurs de la Politique agricole commune de 2013 pour mieux réguler les marchés agricoles. Personne n'avait jusqu'alors pris une telle initiative dans l'Europe élargie. Il a permis de dégager un accord de vingt-quatre États membres sur vingt-sept autour des objectifs qui sont les nôtres.

Notre premier objectif est d'affirmer une préférence communautaire renouvelée -- la préférence communautaire, ce n'est pas un gros mot -- reposant sur le respect de normes sanitaires, sur le respect de normes environnementales aussi bien au sein de l'Union européenne qu'à l'OMC, sur un soutien justifié par le surcoût des exigences européennes, sur une protection tarifaire pour les produits sensibles et sur la protection des indications géographiques. Vous connaissez, particulièrement dans cette région de production du comté, l'importance de défendre notre alimentation dans sa diversité, dans ses goûts, dans ses saveurs. Je ne me résoudrai jamais à l'uniformisation de notre modèle alimentaire. Mais je veux poser une question : à quoi sert-il d'imposer à nos éleveurs, à nos agriculteurs, des normes si la même Europe, qui impose des normes aux siens, continue à ouvrir ses frontières à des produits venant de pays qui n'imposent aucune norme ? Cette politique n'a aucun sens. C'est dans cet esprit que la France se battra et convaincra ses partenaires pour mettre en oeuvre la taxe carbone aux frontières de l'Europe. Il ne s'agit pas de protectionnisme, il s'agit de raison.

Notre second objectif consistera à créer de véritables outils de gestion des marchés. Il faut permettre aux agriculteurs et aux filières de vivre du fruit de leur travail et pour vivre du fruit de son travail, il faut des prix pour les produits que vous fabriquez. Cela suppose le maintien d'outils européens d'intervention sur les marchés pour préserver des filets de sécurité. Cela implique un financement accru des outils d'assurance contre les risques climatiques, sanitaires et économiques souscrits par les agriculteurs. Cela passe enfin par un soutien accru à une meilleure organisation économique des filières.

Notre troisième ambition sera le maintien de l'activité de production dans les territoires fragiles, en particulier dans les zones herbagères et de montagnes. Cela passe par un soutien différencié.

La quatrième consistera à privilégier une agriculture de production respectueuse de l'environnement. Il n'est pas question de ravaler les agriculteurs au rang de " jardiniers de la nature " ou de " cantonniers du canton " par des contraintes imaginées depuis Paris et absolument inapplicables sur le terrain.

Ma conception de l'agriculture, c'est que les agriculteurs sont des producteurs, des entrepreneurs, des travailleurs qui ont un savoir-faire ; et le savoir-faire, cela se paye par des prix et les prix permettent la qualité. Voilà le cycle vertueux de la nouvelle régulation agricole que nous proposons à la France et en Europe. Je veux le dire pour être bien entendu, la France ne renoncera pas à ces objectifs de régulation. Mais je veux le dire avec la même force et la même sincérité : le combat en faveur de l'ordre ancien est un combat d'arrière-garde, que je ne mènerai pas, parce que ce combat est voué à l'échec. Je veux refonder la politique agricole comme nous sommes en train de refonder le capitalisme financier. C'est clair, pas de ligne Maginot, pas de retour en arrière catastrophique et démagogique. On sait où on veut aller et on ira ensemble : agriculteurs, entrepreneurs, producteurs, travailleurs. C'est cela la nouvelle régulation que nous allons porter.

Bruno LE MAIRE a poursuivi ce chantier, en proposant les outils d'une régulation renouvelée pour la filière laitière. Par ce combat offensif, il a obtenu une très large majorité de vingt-et-un pays au sein du Conseil des ministres de l'Agriculture et le soutien du Parlement européen. Je veux remercier Bruno LE MAIRE de la qualité du travail qu'il engage et de son courage. Il a par ailleurs compris, parce qu'en plus, il est intelligent, que pour faire bouger les choses, il faut des alliés. La France ne gagnera que si elle n'est pas isolée. La France gagnera si elle est au coeur de l'Europe, pas à côté de l'Europe.

À la demande de la France et de l'Allemagne, la Commission européenne a mis en place un groupe de travail pour préparer les mesures d'une meilleure organisation de la filière laitière. Au rythme d'une réunion par mois, les conclusions de la Commission devraient être rendues au mois de juin prochain ! Pour être bien compris, je le dis, ces délais sont inacceptables ! Il faut que la Commission européenne accélère ses travaux. Si la Commission européenne veut préserver son droit d'initiative, elle doit proposer des solutions opérationnelles dans des délais plus adaptés à la réalité du terrain. Proposer des solutions quand tout le monde sera mort, ce n'est pas une solution, c'est un faire-part. Je demanderai donc au Conseil européen du 30 octobre que la Commission européenne propose, dès le début de l'année 2010, un renforcement effectif des outils de régulation des marchés laitiers. J'évoquerai ce point, dès demain soir à l'Élysée, avec Angela MERKEL, pour que l'Allemagne et la France continuent à proposer dans le même sens.

En remettant la France au coeur d'un projet européen, nous nous sommes donc mis dans les meilleures conditions pour proposer une régulation rénovée de la PAC de 2013. Vous pouvez compter sur ma détermination totale dans les prochaines négociations. Je ne céderai pas parce que ce qui est en cause, c'est stratégique pour la France, son avenir, son identité, sa puissance économique et même son indépendance nationale.

Pour préparer la Politique agricole commune de 2013, il faut également nous projeter dans le monde d'après la crise en France même. Pour préparer cet avenir, notre troisième réponse à la crise du secteur agricole est la modernisation de nos outils nationaux de régulation.

Alors depuis dix ans, les crises dans le secteur agricole se répètent : en 2000 la crise de l'ESB, en 2001 la crise viticole, en 2003 la sécheresse, en 2004 la crise du secteur des fruits et légumes, en 2005 la crise du secteur laitier, en 2006 la grippe aviaire, et depuis 2007 la crise de la filière porcine. J'en oublie certainement. Et depuis trente ans, chaque crise fait l'objet de mesures conjoncturelles de soutien, qui ont comme point commun de ne jamais empêcher les crises du lendemain. Je ne suis pas venu vous tenir un discours que vous avez déjà entendu : " Vous êtes grands, vous êtes beaux, vous avez de l'avenir, vous êtes jeunes -- enfin pas tous ! Voilà un plan de lutte contre la crise. Merci, au revoir. " Je ne ferai pas cela parce que ce n'est pas comme cela qu'on prépare l'avenir.

Au coeur de mon ambition, il y a une exigence : valoriser et renforcer la compétitivité de notre agriculture. Là est la clé de tout. La France est le deuxième exportateur mondial de produits agricoles et le premier exportateur mondial pour les produits agricoles transformés. Il nous faut donc conforter nos exploitations et nos filières mais encourager ceux qui choisissent le métier d'agriculteur. Agriculteur, c'est justement un projet de vie avant d'être un projet professionnel et -- Christian JACOB ne démentira pas -- c'est un état d'esprit avant d'être un métier. Chaque agriculteur doit pouvoir vivre du prix de son travail et de sa production. Un agriculteur est donc un entrepreneur, mais un entrepreneur qui ne compte pas ses heures, qui porte la responsabilité d'investissements importants, qui doit relever tous les jours des défis humains, financiers, techniques, administratifs considérables. C'est un chef d'entreprise qui doit s'adapter en permanence au climat, aux marchés, aux technologies, aux réglementations.

Pour se lancer dans l'agriculture, il faut d'abord de l'esprit d'entreprise. Pour s'y maintenir, il faut de la ténacité. Pour y réussir, il faut du talent. Bref, pour être un agriculteur, il faut être un travailleur, il faut être passionné. J'ai été élu pour aider les Français passionnés qui veulent vivre de leur travail. Je souhaite donc que ce projet que j'ai porté au cours de la campagne présidentielle se retrouve dans la loi de modernisation de notre agriculture, que Bruno LE MAIRE déposera avant la fin de cette année devant le Parlement. Aujourd'hui, et c'est inadmissible, l'acte de production, même de qualité, n'est plus suffisant pour obtenir une bonne rémunération. Un producteur doit pouvoir garantir son revenu par un contrat équilibré avec son client ou par une assurance contre certains aléas climatiques, sanitaires ou économiques. Pour être entrepreneur, il faut de la visibilité sur ses débouchés et ses prix.

Il nous faut donc une définition rénovée du métier d'agriculteur en tant qu'entrepreneur responsable, et cette définition du métier d'agriculteur sera au coeur de la loi de modernisation de notre agriculture. Cette définition rénovée permettra, au plus tard en 2013, une mise en cohérence et une meilleure orientation de nos soutiens publics dans les domaines fiscaux, sociaux, ruraux pour mieux protéger l'agriculteur. La relation contractuelle entre l'agriculteur et son client sera au coeur de cette définition. La contractualisation, mes chers amis, ce n'est pas l'intégration. Un contrat, ce n'est pas tous les droits donnés aux clients. Je veux des contrats équilibrés, régulés par l'État, qui protégeront le producteur dans sa relation avec l'industriel, la coopérative ou le distributeur. Ces contrats seront déclinés dans chaque filière par des accords interprofessionnels ou par des décrets.

Les Présidents de Commission, Jean-Paul ÉMORINE, Patrick OLLIER ou Christian JACOB y veilleront chacun pour leur part au Sénat ou à l'Assemblée nationale. L'absence de relation contractuelle dans la filière laitière témoigne du déséquilibre croissant et inacceptable entre producteurs et transformateurs. Mais peut-on admettre qu'un producteur de lait qui travaille sans compter ses heures du 1er au 31 janvier, ne connaisse le prix de son travail que le 10 février, et par une fiche de paye ? Peut-on admettre qu'un producteur de lait, un entrepreneur donc, ne connaisse pas le 27 octobre le prix du lait qui lui sera payé le 1er janvier prochain ? Sans contrat, un producteur de lait est un éleveur sans garantie en cas de défaillance de l'industrie laitière. La contractualisation doit protéger les producteurs laitiers. Elle doit leur donner des droits en récompense du travail fait chaque jour. J'ai demandé à Bruno LE MAIRE de fixer un cadre législatif pour encadrer la relation contractuelle entre producteurs et transformateurs de lait. Cette contractualisation s'appliquera dans la filière laitière, dès 2010, par la loi.

Parallèlement, l'organisation économique devra être renforcée par la loi de modernisation de notre agriculture. Mesdames et Messieurs, la moitié seulement des 30 000 exploitations françaises de fruits et légumes adhèrent à une organisation de producteurs, la moitié. Et, tenez-vous bien, pour cette moitié-là, nous avons en France 285 organisations de producteurs. Est-ce raisonnable ? Je ne l'accepterai pas. Le tout pour cinq enseignes de distribution ! 30 000 exploitations, la moitié hors organisations et la moitié dans les organisations réparties en 285 organisations pour parler à cinq clients. Est-ce que c'est raisonnable ? Je respecte le monde de l'agriculture et les agriculteurs, je veux leur dire la vérité. L'État est avec vous, nous allons vous aider mais vous devrez également modifier un certain nombre de failles dans votre organisation. Si on ne vous l'a pas dit, je vous le dis. Je vous le dis par respect, je vous le dis parce que là se joue une partie de votre avenir. On ne peut pas continuer comme cela. Et nous ne pouvons pas l'accepter. Je souhaite donc que les soutiens octroyés aux filières favorisent davantage le regroupement des producteurs pour peser dans les circuits de commercialisation, voire pour en créer. Ce qui serait également une très bonne formule.

Vivre des prix des produits que l'on vend, signifie aussi que chacun doit jouer le jeu de la concurrence. Un kilo de carottes vendu au mois de juillet dernier par un producteur au prix de 0,42 euro hors taxe a été revendu, la même semaine, par les grandes surfaces au prix de 1,29 euro TTC, soit un écart moyen de 67 %. Je veux une transparence totale dans la répartition des marges aux différents stades de la filière. Ce déséquilibre est inacceptable. Nous allons donc renforcer considérablement l'observatoire des prix et des marges dans le secteur agricole par la loi de modernisation de notre agriculture.

Nous devons également nous battre à armes égales en Europe. Si vous me permettez, prenons le coût du travail. Nous produisons des tomates, pour le coût du travail, à 12 euros de l'heure. Le problème, c'est que nos voisins les produisent à 7 euros de l'heure, voire à 6. Il est évident que les 35 heures ont été une catastrophe pour l'agriculture comme pour tous les secteurs économiques français. Comment peut-on tenir ?

J'ai donc décidé d'exonérer la totalité des charges patronales dues à la Mutualité sociale agricole pour les travailleurs saisonniers. Cela représente un coût de 170 millions d'euros supplémentaire pour l'État. C'est un effort absolument considérable. Mais cet effort doit s'accompagner d'autres mesures structurelles. Je demande à Bruno LE MAIRE d'analyser l'organisation de la main d'oeuvre salariée étrangère chez nos partenaires européens pour me proposer avant la fin de l'année des mesures visant à accroître la compétitivité de nos exploitations agricoles. Je ne laisserai pas partir la production agricole française. On va vous mettre dans un combat à armes égales avec vos concurrents.

Je veux ensuite que vos entreprises puissent renforcer leurs fonds propres pour mieux résister aux prochaines crises. Il nous faut développer les outils d'assurance contre les aléas économiques, comme nous avons accompagné le développement des assurances contre les aléas sanitaires et climatiques. Je souhaite que le dispositif de la Déduction pour aléas (DPA) soit adapté, par la loi de modernisation de notre agriculture, pour participer à la gestion des aléas économiques.

Il nous faut également conforter le tissu d'industries agro-alimentaires en vous permettant d'y prendre des participations par l'intermédiaire de fonds. J'avais pris cet engagement au cours de la campagne présidentielle. La loi de modernisation de notre agriculture favorisera de telles initiatives.

J'ai porté pendant la campagne présidentielle le renforcement du rôle des interprofessions. Leurs missions et leur fonctionnement devront être revus avant 2013 selon des priorités fixées par la loi de modernisation à venir. Afin d'accroître leur légitimité, je veux par ailleurs renforcer, dès 2013, leur rôle d'initiatives, de décisions et d'orientation des filières.

Pendant longtemps on a voulu expliquer que la baisse des prix agricoles devait être compensée par une subvention. La seule chose que l'on compensait, en fait, c'est la pile de paperasserie que l'on mettait au service de ces subventions. Aux règles européennes, s'ajoutent souvent des exigences franco-françaises tatillonnes et inutiles. Mesdames et Messieurs, inutile d'accuser l'Europe de tous les maux de la paperasserie, nous savons, nous aussi, être détestables en la matière. Les contraintes administratives qui pèsent sur le métier d'agriculteur sont aujourd'hui absolument exorbitantes. La mise en oeuvre du bilan de santé de la Politique agricole commune en 2010 doit être l'occasion de simplifier le métier d'agriculteurs. Je demande à Bruno LE MAIRE d'engager, dans le respect des engagements du Grenelle de l'environnement, un double travail de simplification et de mise en cohérence des règles existantes en matière environnementale et sanitaire aux niveaux national et européen.

Dans le même esprit, la loi de modernisation permettra d'engager une véritable refondation du mandat sanitaire dans le souci d'une plus grande responsabilité octroyée à l'éleveur. Et si on lui faisait confiance ? Ce serait tellement bien ! Mes chers amis, un département de terres agricoles disparaît tous les dix ans. C'est absolument incompatible avec une demande mondiale de produits agricoles qui va augmenter. C'est parfaitement incohérent. La loi de modernisation de notre agriculture devra participer à la protection de nos territoires et à leur développement durable. On ne peut pas laisser partir toutes nos terres agricoles, sinon, il n'y aura plus de production agricole et la France ferait une erreur historique.

Enfin, pour préparer l'avenir, nous devons prendre de l'avance dans les biotechnologies, dans les technologies propres, dans les économies d'énergie, dans la société de la connaissance en agriculture. L'agriculture devra fournir demain à l'industrie chimique de nouveaux solvants, de nouveaux lubrifiants et composites, qui participeront à notre effort de réductions des émissions de gaz à effet de serre. Je souhaite que le grand emprunt soit l'occasion d'amplifier notre effort de recherche dans les nouveaux débouchés de l'agriculture. Ainsi, sera marqué que l'agriculture est bien un secteur d'avenir, en particulier, dans le domaine, dans lequel je crois beaucoup, de la chimie verte et de la chimie blanche.

La France, mes chers compatriotes, comme tous les autres pays, doit affronter la crise. Croyez bien que comme toutes les autres catégories de population qui forment notre société, le sort des agriculteurs dans la crise est chaque jour au premier rang de mes préoccupations. Je sais parfaitement que la crise génère de la souffrance. Et si je suis si souvent sur le terrain, c'est parce que je dois entendre cette souffrance et je ne dois pas me contenter de l'entendre. Je dois trouver des solutions, prendre des décisions et obtenir des résultats. J'ai une situation particulière, avec les ministres : tout le monde commente, nous devons agir. C'est la notre différence et nos décisions, elles peuvent sauver des filières ou elles peuvent les condamner. Mais l'avenir de notre politique agricole, elle, dépasse la crise.

La France a un lien charnel avec son agriculture -- j'ose le mot --, avec sa terre. Le mot " terre " a une signification française et j'ai été élu pour défendre l'identité nationale française. Ces mots ne me font pas peur, je les revendique. La France a une identité particulière qui n'est pas au-dessus des autres mais qui est la sienne et je ne comprends pas qu'on puisse hésiter à prononcer ces mots, " identité nationale française ". Ils ne sont agressifs envers personne. Ils sont simplement l'expression du devoir que nous devons aux générations qui nous ont précédés et qui ont fait, au prix de leurs vies et de leur sang, ce que la France est devenue. Eh bien, la terre fait partie de cette identité nationale française. Et cette identité nationale française est constituée notamment par le rapport singulier des Français avec la terre.

Toutes les familles de France ont des grands-parents qui, à un moment ou un autre, ont travaillé la terre. L'agriculture a façonné nos paysages. L'agriculture a donné à la France une partie de son âme. C'est avec ces convictions que nous allons ensemble oeuvrer pour l'avenir de notre agriculture. L'agriculture n'est pas l'expression d'une nostalgie. Elle est un atout majeur pour la France. Les agriculteurs sont une partie de l'identité nationale française et la clé d'un secteur aussi porteur pour l'avenir que les nanotechnologies ou que le spatial. Je veux dire aujourd'hui aux agriculteurs de France que la France ne les laissera pas tomber. Je sais que dans le passé, on vous a souvent promis, mais je vous dis quelque chose, mes chers compatriotes : je ne céderai pas, je ne vous abandonnerai pas, je ne reculerai pas d'un millimètre parce que j'ai parfaitement conscience que le combat pour l'agriculture française, ce combat-là, est un combat stratégique. Nous n'avons qu'une solution, le gagner.

Je vous remercie.