Discours politique

Nicolas Sarkozy, 62e Congrès de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) (02/04/2008)

Monsieur le Président, cher Jean-Michel LEMÉTAYER,

Monsieur le Ministre, cher Michel,

Mesdames et Messieurs,

D'abord, ce qui m'étonne, c'est que je sois le premier Président de la République à venir ! Ce qui m'étonne encore plus, c'est que l'on me demande pourquoi je suis venu ! Je suis venu parce que l'agriculture, c'est une partie de l'identité française et l'identité nationale, c'est l'affaire du Président de la République. Je suis venu parce que l'agriculture, c'est un secteur de pointe stratégique pour l'économie française. Je suis venu parce que la France va assumer la présidence de l'Union européenne et que, naturellement, l'évolution de la politique agricole commune est un sujet majeur qui va bien au-delà du seul devenir des agriculteurs de France. Et si cela n'est pas du niveau d'un chef d'État, on peut bien se demander ce qui serait du niveau d'un chef de l'État. J'ajoute que c'est une façon de montrer que la préservation de l'agriculture française et européenne n'est pas la préservation du passé, mais l'organisation de l'avenir, au même titre que le spatial, au même titre que les nanotechnologies, au même titre que la pharmacologie. C'est un secteur d'avenir.

Un mot, Jean-Michel, pour m'excuser peut-être d'avoir bouleversé un peu l'ordonnancement du congrès, mais il se trouve que je dois partir en tout début d'après-midi pour Bucarest, et que naturellement c'était très difficile pour moi de venir demain et de faire l'aller-retour Bucarest-Nantes, Nantes-Bucarest. Ce n'est pas que cela m'aurait fatigué, c'est que l'on m'aurait dit qu'à moi tout seul, je polluais la planète et j'agrandissais la couche d'ozone ou le trou dans la couche d'ozone ! C'est la raison de ma présence.

De surcroît, j'ai plaisir à être parmi vous pour montrer à la France et à vos compatriotes la place qui est celle des agriculteurs dans notre pays. C'était aussi l'occasion pour moi de dire mon estime à Jean-Michel LEMÉTAYER, et mon estime à la FNSEA, qui a eu des résultats remarquables -- je ne dis pas cela par envie, je les ai eus moi-même ! Mais enfin, j'ai souvenir de ces images des congrès de la FNSEA, toujours un moment agité pour les ministres de l'Agriculture. Je ne dis pas que vous n'avez pas de souci ; vous en avez. Je sais parfaitement le contraste dans la profession d'agriculteur, entre ceux qui vont très mal, ceux qui vont mieux. Mais j'ai souvenir de ce qui se passait dans le passé. Ces congrès n'étaient pas aussi apaisés, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de débat. Mais enfin, on voit toute cette évolution. La France a besoin d'organisations syndicales fortes. Le rôle d'un gouvernement, et nous partageons parfaitement ce point de vue avec Michel BARNIER, ce n'est pas de déstabiliser des organisations représentatives et fortes, c'est de travailler avec elles. J'ajoute que j'ai noté que personne ne se présente contre Jean-Michel LEMÉTAYER pour le 17 avril. Rassurez-vous, cela ne me donne aucune idée...

L'agriculture est à l'origine de la civilisation. Elle incarne des valeurs sur lesquelles je veux fonder l'effort de redressement de la France parce que ces valeurs sont modernes. L'agriculture incarne le travail, l'agriculture incarne la prise de risque, le courage, l'innovation, la capacité d'adaptation et la solidarité. Un agriculteur est avant tout un entrepreneur, un entrepreneur qui ne compte pas ses heures, qui porte la responsabilité d'investissements importants, qui doit relever des défis humains, financiers, techniques, administratifs souvent considérables. C'est un chef d'entreprise, un agriculteur, mais qui doit s'adapter en permanence au climat, au marché aux technologies, aux réglementations. Pour se lancer dans l'agriculture, il faut d'abord de l'esprit d'entreprise. Pour s'y maintenir il faut de la ténacité. Pour y réussir il faut du talent. Bref, pour être un agriculteur, il faut être passionné et travailleur -- deux valeurs, deux qualités qui ont bien souvent manqué à notre pays toutes ces dernières années, un peu de passion et beaucoup de travail.

Les agriculteurs ont fait la France, dans le passé le pays le plus riche d'Europe. Aujourd'hui, je comprends qu'après avoir fait ce travail, les agriculteurs retraités et les veuves, qui sont un grand nombre à vivre, ou plutôt à survivre, avec une pension de misère, souvent dans une grande solitude, se disent : " On a contribué à faire de la France un pays riche et on est parmi les plus pauvres. On ne casse rien, on ne met pas le feu à des voitures et on meurt dans la solitude et le désintérêt le plus total. " La revalorisation des petites pensions et le maintien du pouvoir d'achat des retraités agricoles : je veux au début de mon propos évoquer cette question parce que notre intention, c'est d'examiner ces questions avant la fin du premier semestre de cette année, c'est-à-dire, avant la fin du mois de juin. Au cours de la campagne électorale, j'ai pris deux engagements très clairs, et je tiendrai tous mes engagements, pas simplement ici, tous mes engagements : revaloriser le minimum vieillesse et porter de 54 à 60 % le taux des pensions de réversion sur la durée du quinquennat. Ces engagements, je vais les tenir avec méthode et sans démagogie car on ne peut pas continuer de payer des retraites " à crédit ". Nous réduirons en particulier les " poches de pauvreté " où se trouvent certains retraités oubliés par les revalorisations successives, et des mesures en faveur des conjoints et des veuves seront prises, tenant compte des propositions qui seront faites par le groupe de travail animé par Michel BARNIER et Xavier BERTRAND sur ce sujet.

Vous savez, si j'ai conduit la réforme des régimes spéciaux, ce n'était pas pour faire mal aux cheminots, aux électriciens, aux gaziers ou aux agents de la RATP. C'était parce qu'il fallait le faire. Et ce n'est pas la peine de me dire que c'était difficile, parce que si cela avait été moins difficile, les autres l'auraient fait avant moi, notamment ceux qui sont peu économes en conseil. Il ne fallait pas se gêner pour le faire avant, ce que nous avons fait. Sans mentir, Jean-Michel, je n'ai essayé d'insulter personne, j'ai respecté chacun, mais on n'a pas menti (et pardon, on n'a pas cédé). J'ajoute que sur la discussion qui s'amorce, sur l'application des accords de 2003, il ne va pas falloir faire croire aux Français que les quarante-et-un ans, on les décide maintenant alors qu'ils étaient décidés en 2003. Comme on vit plus longtemps, si on veut assurer la pérennité de nos retraites, il faut faire ce qu'ils font partout ailleurs dans le monde. Et ce n'est pas parce qu'on fera ce travail qu'on pourra sans démagogie améliorer la situation, avant la fin du premier semestre, de celles et de ceux des vôtres qui en ont besoin. C'est un travail très difficile, mais je ne fuirai pas mes responsabilités.

Aujourd'hui notre pays doit beaucoup à son agriculture. Et on ne devient pas par hasard le premier exportateur mondial pour les produits agricoles transformés -- le premier ! Y a-t-il beaucoup de secteurs où la France est première dans le monde ? Donc, en venant ici, je ne sacrifie pas à je ne sais quelle nostalgie, je viens saluer le travail de ceux qui font de la France le premier exportateur mondial pour les produits agricoles transformés. Ce n'est pas parce que vous avez été bons dans le passé que vous êtes les premiers, c'est parce que vous êtes bons tout de suite que vous êtes les premiers, avec une création de valeur ajoutée de 64 milliards d'euros en 2007. C'est votre bilan, c'est votre travail. Et si le chef de l'État de la France ne vient pas dire à ceux qui sont premiers dans le monde : " Merci pour le travail que vous avez fait pour l'économie française ", que fait le Président de la République française ?

Alors, à partir de ce moment-là, comment on continue et comment on répond aux défis qui sont les nôtres ? D'abord, je veux dire que je n'ai pas changé d'avis : je crois dans une agriculture de production. C'est un sujet majeur. Quand je l'ai dit pendant la campagne électorale, nombreux (n'est-ce pas, Michel ? alors que tu étais avec moi), y compris mes propres amis, m'ont dit : " Il ne faut pas trop le dire, je ne sais pas... " Une agriculture de production où chaque agriculteur (je devrais dire chaque entrepreneur) puisse vivre dignement de son travail, vivre de son travail, vivre de sa production.

Alors je n'ignore pas qu'il faut promouvoir une nouvelle ambition pour l'agriculture en Europe et dans le monde. Et là je vais essayer de passer en revue quelques dossiers extrêmement difficiles, mais que nous devons affronter de face.

L'avenir de l'agriculture se joue d'abord à Genève : que cela plaise ou non, c'est Genève, notre premier rendez-vous. Je veux dire qu'on ne gagnera pas Genève, mais on peut perdre. Comprenez-moi, ce n'est pas parce qu'on n'aura pas perdu que tout sera fini, mais si on perd, tout est fini. Donc les négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce doivent repartir sur des bases saines avec des objectifs clarifiés. Et je m'opposerai fermement à tout accord qui serait contradictoire avec l'idée que je me fais des intérêts de notre pays. Je m'explique : à quoi cela sert-il de construire une politique agricole si l'Europe devait renoncer à défendre son agriculture de production et son alimentation ? À quoi sert-il de construire une politique agricole si l'Europe devait renoncer à protéger la qualité sanitaire et environnementale quand tous les autres à travers le monde se défendent et se protègent ?

L'Europe ne peut renoncer à agir, l'Europe ne peut se contenter de subir quand la chambre des représentants américains -- et je ne leur en fait pas le reproche -- quand la chambre des représentants américains vote la continuité des mécanismes actuels de soutien. Je ne reprocherai pas aux autres de faire ce que l'on va faire. L'Europe, mieux que cela, ne peut ignorer les dispositifs mis en place par les gouvernements brésiliens et américains pour soutenir, par un dumping fiscal sans précédent, le développement de certains biocarburants. Est-ce un hasard si les États-Unis défendent avec tant d'énergie, tant de passion, et pourquoi ne pas le dire, tant d'efficacité leur agriculture ? Cela devrait nous faire réfléchir. Il s'agit pour les États-Unis de mener une stratégie de puissance économique et politique afin d'affirmer la suprématie de leur " pouvoir vert ". Et je pose une question : si la première puissance du monde croit stratégique de défendre son " pouvoir vert ", est-ce que la cinquième puissance du monde, la France, ne devrait pas se poser la même question et entraîner toute l'Europe au service de la même stratégie ? Il ne s'agit pas d'isoler la France dans un combat solitaire, il s'agit que la France d'abord, et l'Europe ensuite, mènent le même combat que les autres. On ne peut plus continuer à imposer à nos entreprises agricoles un dumping environnemental, social, fiscal, monétaire, dont l'ampleur croît chaque jour.

Après plus de sept années de négociations, il faut que l'on arrête de me dire que soit on fait l'accord, soit on n'a pas de croissance mondiale : cela fait sept ans qu'il n'y a pas d'accord et, juste au mois d'août dernier, jamais il n'y a eu une telle croissance mondiale. Je ne dis pas qu'il y a eu cette croissance parce qu'il n'y a pas d'accord mais que l'on ne vienne pas me dire que, s'il n'y a pas d'accord, il n'y aura pas de croissance parce que, pendant sept ans, l'absence d'accord n'a pas conduit à une diminution de la croissance, pour le moins. Il y a un déséquilibre flagrant des négociations qui doit nous conduire à mener une réflexion plus approfondie sur l'avenir de la négociation car il est impossible de continuer comme si de rien n'était. Je dis les choses de la façon la plus claire : dans cette négociation internationale, je veux de la réciprocité, je veux de l'équilibre. Je viens d'écrire au président de la Commission européenne pour lui rappeler la ligne qu'avec Michel BARNIER nous entendons défendre. L'Europe doit cesser de faire preuve de naïveté. Ce sera un bon accord ou pas d'accord.

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Une fois ce préalable posé -- et je vous demande de noter : quand je dis " préalable ", ce n'est pas pour dire que c'est mineur ; si ce préalable là n'est pas posé, cela ne sert à rien de faire tout le reste ; ce préalable doit être posé mais il ne résout par tout ; disons que c'est un préalable nécessaire mais pas suffisant -- il y a, me semble-t-il, une nouvelle ambition à construire pour l'agriculture en Europe autour de quatre objectifs.

Le premier, pour moi, est fondamental : la sécurité alimentaire de plus de 400 millions de consommateurs européens, parce que sur ce thème de la sécurité alimentaire, nous pourrons entraîner derrière nous des pays qui n'ont pas de tradition agricole parce qu'ils ont des consommateurs qui ont la même exigence de sécurité que les nôtres. D'ailleurs, j'observe que le Forum économique de Davos, qui n'est pas considéré comme un haut lieu de la défense de l'agriculture mondiale a classé l'insécurité alimentaire comme l'une des quatre menaces primordiales de notre planète : même eux ont compris ; cela devrait être possible de le faire comprendre aux autres. Au Forum de Davos, que je suis avec beaucoup d'intérêt, je n'ai jamais vu que les débats agricoles étaient des débats prioritaires et que le Forum de Davos considère que cette question-là de l'insécurité alimentaire est une question fondamentale (cela devrait plutôt nous réjouir sur l'évolution de la réflexion planétaire sur nos sujets). Le dernier rapport de la Banque mondiale conforte cette orientation en reconnaissant pour la première fois que l'investissement dans le secteur agricole constitue l'une des priorités en matière de développement agricole. Voici donc l'agriculture reconnue comme filière stratégique et non pas comme filière nostalgique.

Le deuxième objectif, c'est de participer aux équilibres alimentaires mondiaux. Le troisième objectif, c'est de contribuer à la lutte contre les changements climatiques et à préserver la qualité de notre environnement.

Le quatrième objectif, c'est de préserver les équilibres de nos territoires, qui est un enjeu majeur s'agissant de la France, dont la superficie est la plus importante de l'Union européenne. La politique agricole commune doit donc être plus légitime et prendre notamment appui sur

* une gestion des marchés responsabilisant davantage les agriculteurs et les filières,

* des outils adaptés à une meilleure gestion des risques climatiques, sanitaires et économiques (ce sur quoi Michel est en train de travailler),

* une préférence communautaire renouvelée : ce n'est pas un gros mot, la préférence communautaire, ou alors ce n'est pas la peine de faire l'Europe ; si l'on fait l'Europe et si l'on est Européen, c'est parce que l'on préfère l'Europe donc la préférence communautaire, mais reposant sur la promotion des normes sanitaires et environnementales aussi bien au sein de l'Union européenne qu'à l'OMC (je fais la jonction),

* des instruments permettant le maintien de l'activité de production dans les territoires fragiles, en particulier dans les zones herbagères et de montagnes. Cela doit passer, cher Michel, par une réforme, avant la fin de l'année, des soutiens aux zones herbagères.

L'exercice du bilan de santé de la PAC doit être l'occasion d'une véritable refondation des modalités de mise en oeuvre de la PAC dans notre pays, en totale cohérence avec nos objectifs politiques de 2013. Je sais que c'est un débat, y compris entre vous, mais ce débat ne me fait pas peur parce que l'on ne peut pas dire : " C'est stratégique, n'en parlons pas. " On ne peut pas dire : " C'est stratégique, c'est réglé jusqu'en 2013, on verra après... ", parce que compte tenu de la grande jeunesse de l'auditoire (même pour ceux qui pensent que c'est un peu démagogique, cela fait toujours plaisir !), en 2013 vous serez toujours au travail et il faudra bien trouver des solutions. Moi, je ne suis par partisan d'attendre les bras croisés, immobiles, sur la défensive comme nous l'avons tellement fait dans le passé. Et pendant la campagne présidentielle par exemple, beaucoup critiquaient la complexité de la PAC en dénonçant une réglementation tatillonne qui a transformé le travail de la terre en une gestion quotidienne de paperasseries administratives. Aujourd'hui, certains des mêmes me disent combien les dispositifs existants sont formidables et doivent donc être maintenus. Je suis devant un auditoire de spécialistes. On va bientôt m'expliquer que les outils actuels constituent une réponse adaptée aux objectifs de la PAC de demain, mais je n'ai pas rêvé tout ce que j'ai entendu pendant la campagne (si moi, je ne dois pas oublier mes engagements, je n'oublie pas ce que l'on a dit). On ne va pas m'expliquer que ce qui était critiqué hier est incritiquable aujourd'hui. Alors, en quoi aider un agriculteur sur la base de son travail réalisé entre 2000 et 2002 sera légitime en 2013 ? Cette référence ne veut plus rien dire.

De la même manière, s'il est essentiel de renforcer le soutien à l'élevage pour répondre à la demande alimentaire croissante, devons-nous le faire avec le même dispositif, figé depuis 1992 ? On peut se mettre d'accord sur un objectif mais quand même adapter nos méthodes, nos moyens, notre stratégie aux défis d'aujourd'hui et pas à ceux d'hier, et ne pas regarder le dispositif de 1992, paralysés de peur que les autres nous le contestent, en disant : " En attendant que le ciel nous tombe sur la tête, on s'accroche à ce que l'on a, même si ce que l'on a n'empêche en rien les problèmes que nous connaissons dans les différentes filières, que vous connaissez vous-mêmes depuis. " C'est donc que le système ne fonctionne pas bien ou en tout cas n'est pas à la hauteur du défi qui nous occupe. Je veux de la cohérence et je souhaite, parce que c'est mon devoir, que chacun prenne ses responsabilités.

L'objectif premier de cette réforme n'est pas d'adapter pour chacune des filières françaises les outils du passé aux conditions économiques de 2008. L'objectif doit être de conduire une véritable simplification durable de cette politique, pour préparer les prochains rendez-vous en 2010 sur le budget de l'Union et en 2013 sur la PAC. L'agriculture française est un atout économique majeur. Il n'est pas possible de ravaler les agriculteurs au rang de " jardiniers de la nature " ; cela n'a jamais été ma conception de l'agriculture. Je pense qu'il faut être offensifs parce que nous n'avons pas à nous excuser d'une stratégie qui sert l'économie européenne et les consommateurs européens. Ce n'est pas un dû que nous réclamons. Nous devons mobiliser les Européens autour d'objectifs qui ne sont pas simplement ceux de la France mais de toute l'Europe.

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Le deuxième axe de notre action, c'est de donner aux filières agricoles la capacité de s'adapter à leurs marchés et de permettre aux entrepreneurs que vous êtes de vivre du fruit de votre travail, vivre des prix : c'est une question absolument essentielle. Pendant longtemps on a voulu expliquer que ce n'est pas grave que les prix baissent parce que l'on compensait par une subvention. La seule chose que l'on compensait, c'est la pile de paperasserie que l'on mettait au service de ces subventions et plus, après on vous a dit que cela coûtait trop cher. Donc le premier raisonnement, c'est les prix, le deuxième raisonnement, c'est la subvention, la troisième conséquence, c'est la paperasserie et la quatrième, c'est trop cher !

Profitons de l'augmentation, pour un certain nombre de secteurs, des prix mondiaux pour réhabiliter la notion de prix pour que les entrepreneurs que vous êtes puissiez vivre de votre savoir-faire et un savoir-faire, cela a un prix. On nous parle aujourd'hui d'augmentation de certains prix alimentaires à la consommation (et je ne vais pas me cacher derrière mon petit doigt) alors que cela fait plus de dix ans que les prix à la production ont diminué ; et si je regarde les choses sur le long terme, sur quarante ans : sur les quarante dernière années (les Français doivent le savoir et les consommateurs), les prix agricoles ont été divisés par deux, alors que ceux de nos aliments n'ont baissé que de 14 %. La seule création de valeur ajoutée ne peut expliquer cette différence. La plus-value est bien passée quelque part !

Organisez-vous mieux pour être plus forts et ceux qui prônent la division sont en partie responsables du déséquilibre entre vous et la distribution. C'est bien beau de taper sur les uns mais tirez-en les conclusions pour vous. Il faut que l'on soit plus fort, l'État vous aidera, mais j'ai géré aussi un certain nombre de crises de fruits et légumes dans un certain nombre de régions et je sais comment j'ai dû faire dans un état de divisions qui a servi qui ? Ceux-là même que vous dénoncez et l'État pourra d'autant plus vous aider que nous aurons organisé nos filières, que nous aurons rassemblé pour que vous comptiez davantage, pour que vous soyez plus forts parce que vous qui travaillez la terre, vous savez parfaitement bien qu'il faut d'abord compter sur ses forces et pour cela, il faut être unis.

C'est la raison de ma présence ici : vous appeler aussi à la restructuration de ces filières (l'enfer, ce n'est pas que les autres). Tirons les conséquences de cela même si nous sommes derrière vous pour équilibrer les choses. Mais je veux dire également que je veux sortir du système absurde des marges arrière qui fait (pardon) que les prix dans les supermarchés ont augmenté, les grandes surfaces, plus fort en France que dans n'importe quel pays européen alors que les prix versés à la production ou aux PME n'ont pas augmenté.À ceux qui me demandent de garder le même système, je leur demande de regarder le résultat de ce système : je ne le garderai pas parce qu'il est injuste, parce qu'il pénalise tout le monde, le consommateur, qui fait ses courses et qui a plus d'augmentation que le prix des autres, et le producteur, qui veut vendre et qui vend moins cher que dans d'autres pays. C'est un système perdant-perdant. Ce ne sera pas la loi de la jungle, on en a souvent parlé, Jean-Michel, depuis 2004, lorsque j'étais ministre des Finances puisque l'interdiction de la revente à perte sera maintenue. Je sais parfaitement que c'est capital dans la discussion.

On me dit : " Ce n'est pas au niveau du Président de la République, c'est technique. " Être Président de la République, c'est ne dire que des banalités ? C'est peut-être technique mais on arrive à comprendre quand même. Si c'était pour faire un discours : " Vous êtes grands, vous êtes beaux, vous avez de l'avenir, merci, au revoir ", vous avez déjà entendu cela ; moi, je veux que cela change et ce n'est pas si facile. Bien sûr, j'essaie de parler de la distribution devant vous mais ce sont vos clients : si je n'en parle pas, à qui vais-je en parler ? On doit bien parler de ces questions-là parce qu'il se pose ces questions-là et je veux en parler sans démagogie et sans peur non plus. Je n'ai pas à rougir de ce que j'ai fait, y compris lorsque j'étais ministre des Finances et je sais bien que cela a été difficile de faire venir Jean-Michel à la table où les jeunes agriculteurs, à l'arrivée il fallait bien que l'on discute de tout cela et qu'on pose le problème de tout cela.

Oui, je maintiendrai l'interdiction de revente à perte. On mettra en place tous les garde-fous nécessaires pour le secteur agro-alimentaire : plus de transparence sur les marges, le consommateur doit le savoir, de nouvelles règles pour négocier les prix assorties de garanties pour le fournisseur, de nouveaux contrôles des abus de position dominante, un renforcement des sanctions en cas de pratiques abusives. Enfin, pour les produits périssables, et je pense naturellement aux fruits et légumes, un dispositif spécifique sera maintenu. Ce n'est pas le lieu d'en parler mais j'ai bien cela en tête. Mais en même temps je ne peux pas laisser une situation où le consommateur français paie des prix plus cher qu'ailleurs. On parle du pouvoir d'achat : le pouvoir d'achat, ce n'est pas simplement le salaire, c'est aussi le coût de la vie, et si je ne mets pas le fer dans cette réglementation, comment on fait pour rendre du pouvoir d'achat aux Français ?

Et ne nous cachons pas la vérité, la négociation commerciale, je ne l'ignore pas, ce sera toujours un rapport de force. Là aussi, nous avons pris l'initiative d'un mémorandum auprès de la Commission européenne pour renforcer l'organisation commerciale de l'offre et assurer le développement des interprofessions françaises parce que je sais bien que certains me disent : " Oh ! oui, on aimerait bien mais on ne peut pas, avec l'Europe ! " Mais on s'en occupe, de l'Europe. Cela va nous permettre de consolider vos positions, notamment par la contractualisation. Il nous faut aussi conforter le tissu d'industries agro-alimentaires en vous permettant d'y prendre des participations par l'intermédiaire de fonds. Sur la base de ces orientations, je souhaite que des outils de gestion des risques économiques soient proposés sous présidence française à la Commission européenne.

Votre débat sur l'organisation économique doit apporter une réponse, sur ces sujets majeurs, pour éviter de reproduire sans cesse le même cycle conjoncturel de crises économiques que la filière porcine connaît aujourd'hui. Je veux saluer à cet égard les initiatives prises par votre syndicat pour créer une caisse d'avance de trésorerie dans le secteur porcin et un fonds de mutualité pour l'élevage.

J'ajoute que c'est un atout pour la France, je le dis sans aucune démagogie, d'avoir un ministre de l'agriculture qui connaît aussi bien le fonctionnement de l'Europe et qui est aussi respecté en Europe. C'est un atout et je veux remercier Michel BARNIER de la qualité du travail qu'il engage parce que lui a compris que pour faire bouger les choses il faut des alliés. Voilà ! Je me félicite de ce choix. La gestion des risques climatiques et sanitaires par l'État et l'Union européenne doit être améliorée dès 2009. Jean-Michel en a parlé. Je pense aux arboriculteurs de la vallée du Rhône qui viennent de subir des pertes considérables en raison du gel.

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Donner aux filières agricoles la capacité de s'adapter à leurs marchés, c'est renforcer la création d'entreprises agricoles. Près de 30 000 exploitants vont quitter le métier chaque année durant les dix prochaines années. Il est indispensable de saisir cette opportunité pour renforcer l'installation des jeunes dans de bonnes conditions sur les exploitations ainsi libérées. Une profession qui ne fait pas la place à des jeunes, c'est une profession qui est condamnée. Et je considère que vraiment la possibilité sur ces exploitations libres d'installer des jeunes, c'est stratégique pour notre pays. D'ailleurs la suppression des droits de succession, par parenthèse, que nous avons engagée, c'est plutôt très positif pour l'agriculture française. Je ne vous l'ai pas entendu dire, sans doute une question de pudeur de votre part. Vous me permettrez quand même de souligner que compte tenu de ce qu'est la famille dans le milieu agricole, ce n'est pas rien que d'avoir fait cette avancée.

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Enfin troisième axe de notre action, aider l'agriculture à répondre aux attentes de la société. Un département de terres agricoles disparaît tous les six ans. C'est incompatible, je le dis très simplement, avec une demande mondiale de produits agricoles qui va augmenter. On n'a plus de stock. Je me souviens parfaitement de l'époque où l'on se demandait ce qu'on allait faire des stocks. Souvenez-vous ! On n'a plus de stock. Il y a une demande mondiale qui augmente et on a un département de terres agricoles qui disparaît tous les six ans. C'est parfaitement incohérent. J'ai demandé à Michel BARNIER et à Jean-Louis BORLOO, avant la fin de ce premier semestre, de conduire une véritable modernisation de notre politique de l'urbanisme et du contrôle des structures agricoles pour assurer une cohérence territoriale de notre gestion du foncier rural. On ne peut plus continuer ainsi.

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En matière alimentaire, nos concitoyens sont de plus en plus exigeants. Le gouvernement présentera le mois prochain une initiative communautaire permettant de renforcer les contrôles aux frontières de l'Union européenne pour s'assurer que les produits agricoles et agro-alimentaires importés sont au niveau de ceux produits en Europe. À quoi cela sert-il d'imposer à nos éleveurs, nos agriculteurs des normes, que je ne conteste pas, si la même Europe, qui impose des normes aux siens, continue à ouvrir ses frontières à des produits venant de pays qui n'imposent aucune norme. Cela ne peut pas continuer ! Ce n'est pas du protectionnisme, c'est du bon sens ! En matière environnementale, les efforts déjà réalisés par les agriculteurs français ne doivent pas être oubliés, ni sous estimés. Quand on est agriculteur, on travaille tous les jours à la préservation de l'environnement. Je voudrais d'ailleurs vous remercier, vous remercier du courage dont vous avez fait preuve en acceptant de jouer le jeu du Grenelle de l'environnement. J'admets bien volontiers que ce n'était pas simple, mais rien n'est simple dans la société d'aujourd'hui pour personne mais c'est la force de l'agriculture française de refuser de s'enfermer dans un ghetto pour aller discuter avec les autres. C'est comme cela que l'on préservera l'avenir de l'agriculture.

Ce n'est pas en se réfugiant derrière une ligne Maginot, c'est en étant offensifs, offensifs avec nos partenaires européens, offensifs avec la grande distribution, offensifs avec les ONG. L'agriculture française n'a rien à se reprocher. Elle n'a rien à craindre de discuter avec les autres. Vous n'êtes pas isolés dans la société française. Vous êtes de plain-pied dans la société française. Discuter avec les autres : vous avez été courageux. C'est tout votre intérêt de surcroît, car quand on veut peser dans une discussion, mieux vaut en être un des acteurs, plutôt qu'en être l'un des spectateurs lointains.

C'est ce que je me tue à défendre sur la question de l'Europe. Et j'ai fait pareil avec la Commission -- la tradition française qui consistait à considérer qu'il fallait " taper " sur la Commission (et je sais où je parle, et je sais ce que je dis), pour ensuite lui demander des choses ! Cela ne conduit à rien du tout. D'ailleurs si l'on n'est pas content, il faut avoir le courage de l'assumer. On a fait porter à la Commission des responsabilités qui n'étaient pas les siennes, parce que c'étaient des responsabilités de ministres qui n'avaient pas osé assumer leurs choix et leur absence de courage. Ce n'était pas la faute de la Commission, je ne suis pas d'accord sur tout avec le président BARROSO, Jean-Michel le sait très bien, mais je veux dire une chose : il est un partenaire loyal. Et en tout cas si je veux obtenir pour l'agriculture et pour la pêche un certain nombre de choses avec Michel BARNIER, il ne faut pas commencer par dire : " Mon interlocuteur est illégitime, cela ne m'intéresse pas ! ", parce que je ne vois pas comment on peut avoir de l'influence si on est un pied ou deux pieds en dehors de l'Europe ! C'est d'ailleurs pour cela que j'ai voulu le traité simplifié, parce que la France est plus écoutée maintenant que nous avons le traité simplifié que lorsque l'on était à non et dehors ! Ou pour la première fois, souvenez-vous du sommet de Madrid ; je crois que c'est à Madrid où dix-huit pays s'étaient réunis sans la France ! Je ne crois pas que c'était plus confortable.

Je pense que pour peser il faut y aller et vous avez bien fait de venir au Grenelle de l'environnement. Bien sûr qu'il y a des gens que vous appréciez peu ; et moi, vous croyez que je ne discute qu'avec des gens que j'apprécie ? Ah, ce n'était pas dans le discours ! Mais je pense que vous avez raison et quand j'ai dit à Jean-Michel, au président des agriculteurs : " Venez discuter avec la grande distribution ", je sais très bien que cela apporte de l'urticaire à un certain nombre d'ici, mais les problèmes, comment on les résoudra si on ne discute pas ?

Et en Europe, je sais parfaitement que j'ai pu inquiéter à un moment ou un autre sur ma volonté offensive sur la politique agricole commune mais maintenant cela progresse. Si on ne cherche pas des alliés, si on ne va pas en Grande-Bretagne pour trouver des alliés, pour vaincre des malentendus, pour poser une nouvelle dynamique, comment on fera dans une Europe à vingt-sept, vous croyez que l'on peut réussir tout seul ? Et dans la société française, vous pensez que les agriculteurs peuvent résoudre tout seuls leurs problèmes ? Il faut que l'on travaille ensemble. Et de ce point de vue, je voudrais encore vous en remercier, c'était courageux et cela a été positif.

Enfin, l'urgence de la lutte contre le réchauffement climatique exige que nous progressions rapidement dans l'utilisation des énergies renouvelables et dans la préservation de notre environnement. Nous avons fixé, Michel, un objectif de 7 % d'incorporation des biocarburants dans le diesel et d'essence en 2010. Cet engagement sera maintenu. Je souhaite que nous déterminions, au cours de la présidence française, avec nos partenaires européens, des critères d'évaluation environnementale des biocarburants. La préférence communautaire doit aussi s'appliquer dans ce domaine en exigeant que les produits importés soient conformes aux exigences environnementales et sanitaires fixées en Europe. Enfin, l'effort public de recherche sur les biocarburants de seconde génération sera doublé.

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Je souhaite donc que Michel BARNIER et Valérie PÉCRESSE me proposent, avant la fin du mois de juin prochain, une modernisation de nos structures de recherche pour établir un regroupement de nos forces et une meilleure synergie entre enseignement supérieur et recherche publique dans le domaine de l'agriculture, de l'alimentation et du développement durable parce que la recherche et l'innovation font partie des dimensions essentielles pour assurer le développement d'une agriculture durable.

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Alors mes chers amis, je vais en terminer par ceci. C'est vrai que je me suis impliqué (Michel peut en porter témoignage, Jean-Michel aussi) beaucoup dans le dossier agricole parce que j'ai conscience que c'est un élément stratégique, parce que je sais que vous ne demandez qu'une seule chose : qu'on vous laisse travailler, comme lorsque que je suis allé voir avec Michel les pêcheurs. Qu'est-ce qu'ils demandent ? " Laissez-nous travailler ! " Franchement, dans un projet politique que je porte qui est la réhabilitation du travail, je veux être aux côtés de ceux qui disent : " Laissez-nous travailler ! " C'est bien cela dont il s'agit entre nous.

Et cette Europe dont on a tellement besoin : je veux assurer la réconciliation de la France, des Français et de l'Europe. Et pour cela, je veux que l'Europe évolue mais pour qu'elle évolue, mes chers amis, il faut que l'on soit à l'intérieur et non pas à l'extérieur sinon nous ne serons pas entendus, pas respectés, pas crus. Bien sûr que c'est difficile ; en plus il y a la crise financière, l'augmentation du prix du baril, les déséquilibres monétaires mais c'est justement parce que c'est difficile que nous sommes là (sinon on en aurait trouvé un autre, il y aurait eu plus de candidats). Et je sais parfaitement que la question de la politique agricole commune, elle est essentielle pour vous, elle est essentielle pour la France. Mais nous n'arriverons pas à la faire évoluer si nous restons immobiles : vous devez porter cette force de changement, cette force d'enthousiasme.

Et d'ailleurs (Michel peut en porter témoignage) depuis que l'on a fait ce virement, cette rupture stratégique, les pays les plus opposés nous regardent d'une autre façon. Ce n'est pas l'enthousiasme délirant tout de suite mais ils se disent : " Quand même, ils doivent avoir un truc. " En tout cas le blocage est stoppé et on peut commencer à travailler, on peut commencer à réfléchir et j'ai voulu également que l'on se serve du bilan de santé de la PAC (n'est-ce pas, Michel ?), que l'on découple cela de l'exercice financier qu'il y aura un jour à mener -- nous le mènerons pour essayer de mettre d'accord tout le monde sur des objectifs. Entre le bilan de santé de la PAC et la finance, il y a un rendez-vous très important que l'on va proposer, c'est celui des principes généraux d'une politique agricole commune. Essayons de nous mettre d'accord là-dessus. Et à ce moment-là, on fera bouger des majorités. Croyez-bien que je suis conscient des difficultés : à la place où je suis, je les vois de près, les difficultés et tout cela faisait que je voulais venir à Nantes m'exprimer devant vous pour parler de l'avenir de l'agriculture.

J'ai bien le sentiment -- je le dis devant un certain nombre d'élus de la région que je remercie de leur présence -- que ce n'est pas simplement une affaire de droite ou de gauche, de majorité ou d'opposition. La France devrait avoir la sagesse sur un certain nombre de sujets (je pense à l'agriculture) et sur l'avenir (je pense aux retraites, je pense à la protection sociale) de faire comme les autres démocraties, de savoir faire des consensus pour avancer ensemble parce que, quels que soient les gouvernements de l'avenir, ils seront confrontés aux mêmes partenaires et vous autres, vous devez pouvoir être assurés de la pérennité des engagements de l'État. J'ai estimé qu'en venant à votre soixante-deuxième Congrès, je faisais mon travail de Président de la République : croyez que je l'ai fait avec plaisir, avec conviction, en étant certain de rencontrer des femmes et des hommes dont je partage beaucoup des valeurs.

Je vous remercie.