Festival de Cannes

"Draquila, l'Italie qui tremble" et "Nostalgie de la lumière" : à l'Italie, le pamphlet, au Chili, la poésie

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Deux documentaires politiques présentés le même jour à Cannes appellent à un inévitable rapprochement, en dépit des expériences différentes qu'ils relatent. L'Italie contemporaine et l'instrumentalisation politique du tremblement de terre de l'Aquila pour Draquila, l'Italie qui tremble, de Sabina Guzzanti, le Chili de Pinochet et ses victimes disparues dans le désert d'Atacama pour Nostalgie de la lumière de Patricio Guzman. Un point de départ politique, mais deux trajectoires résolument différentes.

Précédé d'une polémique, en raison de l'annulation de la venue à Cannes du ministre de la culture italien, Sandro Bondi, pour qui ce film "offense la vérité et le peuple italien dans son entier", Draquila est l'équivalent cinématographique du libelle en littérature. Son auteur, Sabina Guzzanti, licenciée de la télévision italienne en 2003 pour impertinence, n'en est pas à son coup d'essai. En 2005, Viva Zapatero dénonçait la mise en coupe réglée de la liberté d'expression de l'Italie berlusconienne.

Draquila continue ce travail de sape, en dénonçant l'instrumentalisation politique du tremblement de terre de L'Aquila, qui a détruit, le 6 avril 2009, cette ville des Abruzzes. Le dossier à charge est épais, et fait se dresser les cheveux sur la tête. Sur le fond, le film accuse le président du conseil, Silvio Berlusconi, d'avoir cherché à redorer une image ternie sur le dos des sinistrés, en lançant à grand renfort médiatique un programme de relogement onéreux et inefficace, permettant d'enrichir son réseau politico-industriel avec des fonds publics. Au cœur de cette opération, une "protection civile" transformée en instrument capitalistique de privatisation occulte du territoire italien.

Constitué d'une série entretiens avec des sinistrés et divers spécialistes, ainsi que d'interventions de type agitprop, le film sacrifie tout, à commencer par sa forme, à l'efficacité lapidaire de sa démonstration. Ce cinéma à l'estomac manque souvent de précision et de rigueur, digresse à n'en plus finir, se laisse emporter par la fièvre, au risque de voir ces approximations se retourner contre lui.

Patricio Guzman, lui, est venu au cinéma par la politique telle qu'on la pratiquait il y a quarante ans, dans la rue, en manifestant et en faisant grève. Il a tenu les annales cinématographiques de l'espoir suscité en son pays, le Chili, par l'Unité populaire de Salvador Allende, de la tragédie du 11 septembre 1973 et du long cauchemar dictatorial qui l'a suivi.

Nostalgie de la lumière ne ressemble pas aux films précédents de Guzman. C'est une rêverie politique et poétique autour d'un lieu, l'immense désert d'Atacama, au nord du pays, si sec que c'est le seul endroit du globe que les nuages ne masquent jamais sur les photos satellite. Là, dans cette atmosphère cristalline, sont installés les plus grands télescopes du monde, et des astronomes recueillent les ondes lumineuses émises il y a des milliards d'années. Plus bas, dans la plaine, aux abords des ruines du camp de concentration de Chacabuco, où furent détenus les militants de gauche, des femmes retournent toutes les pierres du désert pour retrouver les restes de leurs époux, de leurs frères, abattus sans jugement, ensevelis puis déterrés, si bien que ne restent que des esquilles et des fragments.

Entre la quête cosmique des savants et les fouilles désespérées de femmes aujourd'hui septuagénaires, Patricio Guzman n'établit pas tant des correspondances que des résonances. La tragédie ne devient pas insignifiante une fois que le cinéaste, par des plans magnifiques d'images stellaires et de vues désertiques, l'a replacée dans l'immensité infinie. Par la grâce de cet effort poétique, elle se fait un peu moins immédiate.

Nostalgie de la lumière préserve la colère qui habite Guzman depuis si longtemps. Comment ne pas la ressentir en écoutant cette jeune femme qui a été élevée par des grands-parents contraints de dénoncer leurs enfants pour sauver leur petite-fille ? Mais c'est aussi le film d'un homme qui regarde la mort en face. Celle des camarades massacrés, celle des étoiles dont la lumière nous parvient encore, la sienne, sans doute.


Draquila, l'Italie qui tremble, documentaire italien de Sabina Guzzanti. (1 h 37.)

Nostalgie de la lumière, documentaire chilien de Patricio Guzman. (1 h 30.)