#nos articles récents Connexion Abonnement Boutique Faire un don Connexion Le Monde diplomatique Rechercher : __________ >> RSS Info-diplo Menu * Cartes * Archives * Numéro du mois * Accueil * Accueil * Numéro du mois * Archives * Manière de voir * La valise diplomatique * Blogs * Cartes * Publications * À propos * S'abonner * Faire un don C’était le 8 mai 2004 Cinquante voix de la résistance par Dominique Vidal, juin 2004 Il y a quelque chose de curieux dans le silence observé par la plupart des médias sur la grande fête organisée par Le Monde diplomatique le 8 mai 2004, au Palais des sports de la porte de Versailles, à Paris, à l’occasion de son 50e anniversaire (1). Comme si l’abstention des télévisions, des radios et des journaux pouvait gommer l’événement. Le fait, pourtant, est là : 5 000 personnes se sont rassemblées, dix heures durant, autour de cinquante « voix de la résistance » – celles de personnalités venues de France et du monde entier, mais aussi celles de chanteurs et de musiciens français et étrangers, tous bénévoles. IFRAME: //www.youtube-nocookie.com/embed/OeO6ysb6WKc?rel=0&controls=0 Philosophes, écrivains, essayistes, syndicalistes, militants : ces retrouvailles d’intellectuels engagés représentaient comme un écho des grands mouvements pour la paix de l’après-guerre, voire des congrès antifascistes des années 1930. Il y eut, ce jour-là, beaucoup de discours, aussi divers que ceux qui les tinrent. Mais tous avaient un point commun : ce n’étaient pas des propos de circonstance, mais des réflexions, fines et approfondies, sur le monde issu de la guerre froide et la meilleure manière de le transformer. Comme un dialogue entre participants – européens, américains du Nord et du Sud, africains, israélien et palestinien, asiatique – d’une même mouvance, avec leurs convergences et leurs divergences. Après une interview vidéo donnée par Noam Chomsky qui, depuis les Etats-Unis, analyse les fondements de l’hyperpuissance américaine, Ignacio Ramonet dédie à Pierre Bourdieu sa réflexion sur la généralisation des mensonges d’Etat, qui placent nos sociétés en « état d’insécurité informationnelle ». Compagnon de Jean Moulin, Raymond Aubrac bâtit d’emblée un pont entre résistants d’aujourd’hui et d’hier, dont le récent appel conclut : « Créer, c’est résister. Résister, c’est créer. » Comme le Sud-Africain Zackie Achmat, qui, avec son Treatment Action Campaign (TAC), a fait de la bataille contre le sida et pour l’accès égal aux soins le cœur des nouvelles luttes sociales. Pour le philosophe Etienne Balibar, la « fin des utopies » appelle un « nouvel internationalisme » – et d’inciter Le Monde diplomatique à y travailler en faisant plus de place à la « contradiction » et en rejetant la « langue de bois ». Par la grâce de la vidéo, voilà le visage émacié, mais les yeux pétillants et la voix élégante d’Edward W. Said, prématurément disparu en septembre 2003 : « Je ne suis peut-être pas un bon prophète, mais je ne pense pas que le processus d’Oslo nous mènera loin (2) », lance-t-il. Suit l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano : « Si nous ne pouvons deviner ce que sera l’époque, nous avons au moins le droit d’imaginer ce que nous voulons qu’elle soit. » Ce droit, il le prend, et sa poésie enthousiasme le public, qui l’écoute avec une remarquable attention. Retour aux combats quotidiens, avec José Bové, pour qui les paysans constituent, à l’échelle de la planète, une force déterminante – et de conclure en appelant à manifester contre « La ferme célébrités », expression du mépris pour le monde rural ! Après la Canadienne Naomi Klein, qui dénonce la guerre américaine en Irak, le syndicaliste Claude Debons souligne le nouvel élan des luttes sociales, avec leurs échecs (sur les retraites) et leurs succès (les « recalculés ») – le réalisme doit rimer avec volontarisme... « Avant-hier, on me traitait de communiste, hier de narcotraficant, et aujourd’hui, je suis terroriste », raconte l’Indien bolivien Evo Morales, leader et député des paysans producteurs de coca : ce que Washington et ses alliés ne supportent pas, ce sont tout simplement les revendications populaires, à commencer par le moratoire sur la dette. L’ancien dirigeant gauchiste et philosophe italien Toni Negri, avant de pourfendre l’empire et les nations, rendra un bel hommage au Diplo : « Quand il arrivait en prison, sa lecture collective était un moyen de lutte efficace contre la répression et la dépression. » De Régis Debray vient une suggestion originale et symbolique : le transfert du siège des Nations unies à Jérusalem. Au terme d’une critique sévère de la démocratie occidentale vidée de son sens, le Prix Nobel portugais José Saramago en appelle à l’« impatience » : « Le moment est venu de nous demander si le salut de la démocratie ne réside pas justement dans l’impatience des citoyens. L’impatience contre la résignation et le conformisme. L’impatience contre tous ceux qui nous ont fait perdre patience. » Viennent alors, comme en rafale, plusieurs femmes. Christine Delphy dresse, sous l’angle de la mixité, un bilan sans complaisance des acquis du mouvement des femmes, avant de rappeler cette « idée simple » : « L’auto-émancipation, c’est la lutte menée par les opprimés pour les opprimés. » Ancienne ministre malienne de la culture, Aminata Dramane Traoré n’esquive pas les questions posées par les erreurs commises, en Afrique, depuis les indépendances, mais insiste : « Si l’Afrique est ingouvernable, c’est parce qu’elle est gouvernée de l’extérieur par des acteurs anonymes qui n’ont pas de comptes à rendre à nos peuples. » Secrétaire générale d’Amnesty International, la Bangladaise Irène Khan évoque les crimes commis à Guantanamo comme à Abou Graib, dans lesquels elle voit « la conséquence de l’impitoyable “guerre contre le terrorisme” menée par les gouvernements, quel qu’en soit le prix en matière de valeurs et de principes ». Etonnante image que celle de Jacques Derrida, un des plus grands intellectuels français, dont la langue est parfois qualifiée de « difficile » et que suivent pourtant, dans un impressionnant silence, des milliers de visages attentifs. Son appel à se mobiliser contre l’antisémitisme et contre tous les racismes sera vigoureusement applaudi. Puis, João Pedro Stedile, porte-parole des paysans sans terre du Brésil, appelle l’Europe à résister à l’hégémonie américaine. Avec le maire de Caracas, Freddy Bernal, qui, petit livre bleu en main (la Constitution du Venezuela), défend l’œuvre de la révolution bolivarienne, la réunion du Palais des sports touche à sa fin. Elle va se conclure sur une cause chère au cœur de toutes et tous : Israël et la Palestine. L’historien israélien Gadi Algazi, un des animateurs de l’association judéo-arabe Taayoush, et Leila Shahid, déléguée générale de Palestine, ne se contentent pas d’appeler à la solidarité : ils réfléchissent à haute voix, avec la salle, encore pleine à cette heure avancée. Le premier montre comment le mouvement pacifiste israélien, autrefois grand amateur d’images et de symboles, recherche désormais sur le terrain, à tâtons, des formes d’action plus concrètes et qui laissent des traces plus durables. La seconde, après avoir appelé « Gadi » à ses côtés, explique qu’en plein « choc des civilisations » « Israéliens et Palestiniens gagneront ensemble en coexistant enfin, chacun dans leur Etat – ou perdront ensemble, et le monde entier avec eux ». Main dans la main, ils sont applaudis interminablement... Les artistes ont su, eux aussi, rassembler un public d’une grande diversité d’âges, d’origines et d’horizons. Les plus jeunes – ceux-là mêmes qui écoutent avec attention les discours des invités – se retrouvent devant la scène pour danser au rythme des chansons de Gnawa Diffusion, Tyken Ja Fakoly et Bonga. Les plus anciens vibrent avec Paco Ibañez – émouvant Temps des cerises, repris à 5 000 voix – comme avec, vidéo aidant, Juliette Gréco et Jean Ferrat. Tous les genres s’expriment pour que chacun s’y retrouve : la chanson (Sapho, Kent, Gilles Non, Tryo), le rap (La Rumeur), le jazz (Manu Dibango, Bernard Lubat, Akosh S), l’humour (Plagiat), dans un programme ouvert par les airs révolutionnaires de la compagnie Jolie Môme et conclu par Marcel Khalifé accompagné de ses fils... Vers 23 heures, avec l’équipe du Diplo sur la scène et, dans les coulisses, tous ceux qui avaient contribué à ce succès, rendez-vous fut pris... pour le 100e anniversaire. Et si, avant, une autre occasion permettait de se retrouver pour une autre fête ? Le Palais des sports en donnait envie... Hommage à Hubert Beuve-Méry Dans le cadre des célébrations du 50e anniversaire du Monde diplomatique, la rédaction du journal ainsi que plusieurs journalistes de la première heure – Gilbert Comte, Paul-Marie de La Gorce, Jean Planchais, Eric Rouleau – se sont rendus, samedi 8 mai, au cimetière du Montparnasse, à Paris, et ont déposé une gerbe de fleurs sur la tombe du fondateur de notre journal, Hubert Beuve-Méry (1902-1989). Dominique Vidal Journaliste et historien, coauteur avec Alain Gresh de l’ouvrage Les 100 Clés du Proche-Orient, Fayard, Paris, 2011. (1) TV5, France-Inter, France-Info et France-Culture sont les seuls grands médias à en avoir rendu compte. Notons cependant qu’avant le Palais des sports l’Agence France-Presse, Associated Press, Radio France internationale, TSF, L’Humanité, Libération, La Tribune et Le Monde avaient consacré un article au 50e anniversaire. (2) C’était un extrait de son discours de conclusion au colloque des historiens israéliens et palestiniens, organisé le 14 mai 1998 par Le Monde diplomatique et La Revue d’études palestiniennes. A propos du « Diplo » Traductions de cet article * فارسى — پنجاه صداي مقاومت * Português do Brasil — As 50 vozes da Resistência [2004-06-g.jpg] juin 2004, page 29 Article précédent « La diplomatie culturelle de la France à vau-l’eau », page 28 Article suivant « De Khartoum au Jutland », page 30 © Le Monde diplomatique - 2015 [11264&di=&]