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Agriculture

Label bio, entre militantisme et consommation

par Benjamin Calle, février 2013

Si l’on entend par « bio » principalement l’agriculture biologique, sans engrais ni pesticides, ce mot désigne également par extension un projet de société nouvelle, plus égalitaire, écologique et soucieuse de fournir à chacun une alimentation saine et suffisante. Ce qu’il est convenu d’appeler « le » bio se soucie essentiellement du commerce de denrées biologiques, tandis que « la » bio prend également en considération les conditions de leur production.

Une analyse globale est nécessaire si l’on souhaite comprendre la bio et les débats qui l’agitent. On trouve dans l’essai de l’ingénieur agronome Marc Dufumier (1) une critique des systèmes de l’agriculture conventionnelle et de ses conséquences environnementales, ainsi qu’un examen des inégalités alimentaires qu’engendre le libre-échange agricole — un constat qui n’est pas sans rappeler celui de Jean Ziegler (2). Dans un second temps, l’auteur présente l’agroécologie, qui envisage toute production agricole dans son contexte écologique et politique. Il encourage « une pratique où la science et les savoirs ancestraux paysans se répondent » et invite à réorienter la recherche agronomique.

Mais les évolutions possibles doivent tenir compte de la situation actuelle, comme le rappelle une enquête qui entend présenter « l’envers du décor » (3). Dans les années 1960, l’agriculture intensive a permis à de nombreux paysans de gagner moins chichement leur vie, et « l’arrivée des produits chimiques a été vécue comme celle de l’électricité ». Cela explique que le rejet de ce qui, naguère, fut vécu comme une libération soit parfois mal compris. Parallèlement, les pionniers de la bio ont pu se développer en microcosme isolé, et incliner aux réflexes d’autodéfense — pour ne rien dire de certaines pratiques ésotériques marginales.

L’ouvrage dirigé par Philippe Baqué, compilation d’articles pointus (4), propose une analyse intransigeante de la grande distribution, cet intermédiaire trop puissant qui s’empare du bio en utilisant des méthodes commerciales éprouvées : prix abordé sous l’angle de la consommation et non de la production ; préférence donnée aux produits d’importation, le coût du travail à l’étranger jouant comme variable d’ajustement. Quant au bio « certifié », quels sont les critères ? La réglementation européenne, par exemple, ne fixe aucune norme sociale. A l’inverse, certains producteurs s’imposent des pratiques drastiques, mais n’apposent aucun label. Se passer des intermédiaires dominants et se tourner vers des groupements d’achats engagés ou des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) permet selon l’auteur de réintroduire du politique dans l’alimentaire.

Un aperçu international permet de prolonger la réflexion : ainsi, de la question de la souveraineté alimentaire telle qu’elle se pose aux Etats-Unis ; de l’action, en Colombie, des groupes paramilitaires qui chassent les communautés paysannes. Au Maroc, la référence au biologique est « un très bon exemple de domination politique, économique et symbolique d’un monde rural » ; en Israël, des cultures bio se trouvent en territoires palestiniens occupés…

Benjamin Calle

(1) Marc Dufumier, Famine au Sud, malbouffe au Nord. Comment le bio peut nous sauver, Nil, Paris, 2012, 196 pages, 18,50 euros.

(2) Jean Ziegler, Destruction massive. Géopolitique de la faim, Seuil, Paris, 2011, 340 pages, 20,30 euros. Lire « Quand le riz devient un produit financier », Le Monde diplomatique, février 2012.

(3) François Desnoyers et Elise Moreau, Tout beau, tout bio ?, L’Aube, Paris, 2011, 224 pages, 16,20 euros.

(4) Philippe Baqué (sous la dir. de), La Bio entre business et projet de société, Agone, coll. « Contre-feux », Marseille, 2012, 432 pages, 22 euros.

© Le Monde diplomatique - 2015