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La punition n’est pas une vengeance

VEDCA.fr  |  Par Rémi Oudoul  |  Publié le 1er mai 2012 (mis à jour le 31 août 2012)



Face à quelqu’un qui a commis quelque chose de mal, on peut soit le punir (i.e. lui attribuer une peine) soit se venger. Les mots en eux-mêmes donnent déjà une idée de la distinction : la vengeance est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée (« se » venger) tandis que l’autre est l’œuvre d’un juge.

Le point commun est que, dans les deux cas, elles sont un « mal » du point de vue de celui qui la subit : enferment carcéral, travaux forcés, atteinte physique, peine de mort (même si nous verrons que celui qui se repent peut trouver que sa peine est un bienfait et que, pour Platon, on fait le mal pour le bien de celui qui a commis quelque chose de mal).
Le fait qu’un tribunal punisse (i.e. condamne) un coupable permet-il pour autant de venger la victime ?

Analyse des termes

La vengeance
La notion de vengeance (ou de loi du talion : « œil pour œil, dent pour dent ») appartient au domaine du sentiment, de la subjectivité et s’éloigne donc de celui du de la justice et du droit. La vengeance suppose une intention de nuire, de voir l’autre souffrir. En cela elle peut sembler primaire et inhumaine.

La punition

La punition n’est pas toujours légale
Toutefois, la punition n’est pas toujours liée au droit et n’est pas toujours sanctionnée par un tribunal : exemple de la loi parentale qui conduit à punir son enfant (le priver de dessert est une punition qui n’a aucune conséquence légale). Pour nuancer, on pourrait dire que même cette dernière relève, bien qu’indirectement, du droit.

Le fondement du droit de punir
Pour bien saisir la distinction, il est important de comprendre le fondement du droit de punir, qui existe partout où il y a une autorité étatique (et qui est lié à la fois au pouvoir législatif – chargé de voter la loi - et au pouvoir exécutif – chargé de la faire respecter). Sans quoi, la punition pourrait être perçu comme aussi injustifiée que la vengeance (c’est-à-dire quelque chose de subjectif, d’aléatoire). En effet, l’instance qui punit est « objective » et désincarnée : le juge n’est alors pas une personne ni un individu, mais l’instrument d’une notion, en occurrence la loi. Il n’y a donc pas vengeance car on sort du subjectif (sur ce dernier point, relatif à l’obéissance à la loi, on se réfèrera au "Contrat Social" de Rousseau)

En quoi l’État a-t-il le droit de nous punir ?

La punition est justifiée car elle guérit l’âme (Platon)
L’idée de « juste punition » (développée par Platon dans le Gorgias) est censée justifier la légitimité que l’État a à nous punir. Pour lui, la punition est non seulement rationnelle (et non pas arbitraire) mais elle est surtout nécessaire : la punition est pensée sur le modèle médical et a pour but de guérir l’homme qui a commis une injustice (le châtiment suprême consisterait donc à ne pas être puni puisque cela signifierait ne pas être guéri de son mal). Même si le malade trouve le remède désagréable, il est nécessaire à sa guérison : on a donc bien ici l’idée d’un mal nécessaire (ce qui permet à l’État de donner une légitimité à sa punition).

La punition ne peut être fondée sur une base théologique et personnelle (Kant, Locke)
La critique de cette « juste punition » est fondée sur le fait qu’elle est plus théologique que rattachée à l’idée de justice : guérir l’âme de ses vices ne devrait pas être du ressort de l’État et devrait rester quelque chose de personnel. La vision platonicienne conduit aussi à des impasses puisqu’elle permettrait de punir les mauvaises intentions (même sans qu’une action s’ensuive) car cela serait déjà moralement répréhensible.
L’histoire a montré, à travers l’exemple de l’inquisition (qui était un tribunal, relevant du droit canonique), que cela conduit à justifier la torture des hérétiques. Cette volonté de fonder la punition sur une volonté de « parfaire les âmes » amène aussi à justifier la lapidation à mort du couple d’Afghans survenue en Août 2010 pour cause d’adultère. En effet, les décapitations et lapidations sont justifiées par l’application à la lettre de la charia (qui est une loi) : la punition vise la guérison de l’âme, son retour dans le droit chemin.
Heureusement, il n’en va généralement pas ainsi du point de vue du droit. C’est ainsi que Kant distingue la morale du droit, la législation intérieure du devoir extérieur :

C’est un devoir extérieur de tenir la promesse donnée dans un contrat mais le commandement d’agir ainsi uniquement parce que c’est un devoir sans tenir compte d’un autre mobile n’appartient qu’à la législation intérieure "
(Kant, Doctrine du droit, III, p.94).

Si le droit fait l’objet d’une législation extérieure, c’est parce qu’il concerne le rapport externe entre deux individus : il détermine si l’action de l’un s’accorde avec la liberté de l’autre. John Locke, dans « La lettre sur la tolérance » (1689), insiste aussi sur le fait que le prince n’a pas à s’occuper du salut de ses sujets mais seulement de la chose commune :

La punition a une utilité sociale (Cesare Beccaria)
De même que Kant et Locke, Cesare Beccaria (juriste et philosophe italien du 18ème siècle, qui se signala notamment en développant la toute première argumentation contre la peine de mort) refuse de fonder la punition sur une notion comme le juste châtiment. Pour lui, la légitimité de la punition se trouve dans son utilité sociale : si l’État ne punissait pas, la société ne pourrait être conservée. La fonction de la punition est donc moins d’améliorer le criminel que d’assurer la conservation de la cité.
Beccaria ne négligera pas non plus l’importance de la protection des droits du condamné. S’inscrivant pleinement dans les revendications des philosophes des Lumières, il estime qu’une réforme de la justice est nécessaire afin de la faire évoluer dans le sens d’une plus grande humanité (i.e. améliorer les conditions de vie des détenus et arrêter les exactions [1] et supplices commis dans les prisons). La philosophie de Beccaria se retrouve aussi dans l’œuvre de Jeremy Bentham, inventeur d’un concept de système pénitentiaire modèle : le "panoptique". Pour ce dernier, la peine ne doit plus être conçue comme une punition mais comme une occasion pour le condamné de de s’améliorer. C’est donc toute une réflexion sur l’objectif de la détention qu’il propose : la prison doit devenir un endroit où le prisonnier va entamer une rééducation qui lui permettra une meilleure réinsertion dans la société

Metro :
Dans le cadre du festival vous allez jouer à la Maison d’arrêt de Bois d’Arcy, dans les Yvelines. Ce sera un moment particulier ?
Youssoupha (rappeur français) :
(...) Attention, la privation de liberté est une sanction que je ne conteste pas. Ce pourquoi je milite, c’est l’existence d’une vie culturelle en prison. Parce qu’elle éduque, parce qu’elle élève. Qu’il s’agisse de musique, de littérature ou d’expositions.

Coût et condition de détention
On aurait aussi pu aborder le débat sous l’angle du coût de la détention : une place de prison coûte à l’état 111 360 €...Pourquoi les Norvégiens devraient payer pendant 21 ans pour la rétention d’Anders Behring Breivik ? Etre relâché (même si c’est dans 21 ans et que cette peine pourra être prolongée) est-il acceptable lorsqu’on a tué 77 personnes ? A Halden, prison de haute sécurité en Norvège, chaque cellule dispose d’une télévision à écran plat, d’une douche individuelle avec de belles serviettes blanches. "Ils avaient droit à des cours de langue, de yoga, à une bibliothèque, une salle de sport". La prison symbolise un système norvégien davantage tourné vers la réadaptation des criminels que sur leur punition. Le débat est difficile : certes les prisons Norvégiennes sont parmi les plus confortables du monde...mais le taux de récidive est aussi parmi les plus bas. la Norvège a sans doute le pourcentage de récidives le plus bas chez les condamnés d’Europe (moins de 20%), ce qui peut indiquer que le traitement des criminels est bon

La différence entre punition et vengeance peut sembler minime

En conclusion, quelle que soit la justification donnée à la punition, cette dernière se doit de s’écarter du subjectif afin de ne pas être assimilée à la vengeance. De plus, la punition est institutionnalisée alors que la vengeance est personnelle et arbitraire.
Cependant, le principe même de la punition, qui consiste à faire faire à la personne coupable un acte qui lui est pénible semble contradictoire. Faire du mal à celui qui a fait du mal consiste à se montrer soi-même coupable d’un dommage : celui qui punit n’entre-t-il pas finalement toujours dans le cercle vicieux de la volonté de faire le mal ?

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Planche n° 13 du Fluide Glacial n° 20 (cercle vicieux de la guillotine)

Toutefois, on peut aussi dire qu’en punissant on ne fait pas du "mal" mais plutôt du "juste". De plus, comme énoncé précédemment, personne ne punit, sinon la loi ou la société.

La punition n’a pas un but personnel
On peut toutefois penser que si la vengeance a pour but de faire souffrir l’autre autant qu’il nous a fait souffrir, la punition a d’autres buts, moins personnels : perfection de l’âme (Platon) ou conservation de la cité (Cesare Beccaria).

La punition donne des droits à l’accusé
La punition donne des droits au criminel alors que la vengeance n’en a que faire : punir le criminel (selon Hegel), c’est lui faire honneur car on le traite alors comme un être ayant des droits. La vengeance ne s’embarrasse pas de ces droits. Ainsi, le fait que la justice française ne permettra jamais la torture dans aucun de ses jugements montre bien que le condamné sera puni mais que cela ne fera pas de la victime un homme vengé.
A l’inverse, le souci de l’essence rétributive de la justice que développe Kant (dans « Doctrine du droit », qui débute la « Méta-physique des mœurs », 1785) semble (en apparence seulement) se rapprocher de la vengeance : « Si le criminel a commis un meurtre, il doit mourir » ; la sévérité de la peine est nécessaire « afin que chacun éprouve la valeur de ses actes ». Le droit pénal européen va donc devoir manifester une grande force argumentative pour contrer cet argument de Kant (Jean-Jacques Rousseau et Hegel étaient eux aussi favorables à la peine capitale). Il faudra d’ailleurs attendre encore près de deux siècles pour que soit entendue la condamnation de la guillotine par Victor Hugo ou Albert Camus.

Pour prolonger la réflexion, on pourrait se demander pourquoi Hegel est favorable à la peine de mort alors qu’il défend justement une idée de la punition qui doit s’écarter à tout prix de celle de la vengeance. La peine capitale ressemble en effet plus à une volonté de vengeance qu’à une volonté de rendre la justice.
En fait, pour Hegel (mais encore plus pour Kant et Rousseau), la peine de mort est une "juste punition", et non une vengeance car le criminel - s’écartant de la communauté - doit périr pour assurer le bon fonctionnement de celle-ci. Il s’agit donc encore de justice. En effet, la notion de vengeance n’est pas liée à la gravité de la peine, mais au fait qu’on en reste à une appréciation subjective, ce qui n’est pas le cas ici.

Texte présentant un exemple

La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l’œuvre d’un juge. Il faut donc que la réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle, et le droit se trouve troublé.
De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l’arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien, quand le droit se présente sous la forme de la vengeance, il constitue à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle, et provoque inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances.

HEGEL, Propédeutique Philosophique


Notes

[1] Actes de violence sur quelqu’un



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