Dans les meilleures comédies, il y a souvent deux niveaux de lecture. Le divertissement pur, la machine à activer les zygomatiques, un art délicat, aussi gras les gags soient-ils. Et puis il y a le discours sous-jacent, le message, même modeste, que ses auteurs veulent faire passer auprès du spectateur. Dans Supergrave, leur premier délire en commun, écrit à l’âge de 13 ans, Seth Rogen et Evan Goldberg riaient de leur propre déboires de puceaux, interdits de boisson, lors d’une folle soirée qui virait à la catastrophe. Le tout en célébrant une amitié précoce qui a fait d’eux l’un des duos les plus soudés – et lucratifs - de l’humour à l’américaine.
En 2013, les deux copains d’enfance signaient leur première réalisation en commun, This is the end, l’histoire d’une bande d’acteurs hollywoodiens, reclus dans la villa de James Franco lorsque survient la fin du monde. C’était spectaculaire, un brin potache, parfois longuet. Le tout transpirait la bonne humeur et caricaturait, avec justesse, les travers du showbiz et de ses jeunes icônes. Dans sa première partie, satire de la dictature du trash dans les médias, L’interview qui tue ! retrouve ce ton joyeusement canaille. James Franco est Dave Skylark, un animateur dont le talk show, Skylark Tonight, bat des records d’audiences, à force de confessions fracassantes comme le vrai-faux coming out du rappeur Eminem.
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Et puis il y Aaron Rapoport, Seth Rogen himself, le producteur de l’émission. Recruté par son acolyte pour ses talents de journaliste d’investigation, il aimerait parfois troquer quelques points d’audimats en échange d’un peu de reconnaissance, à commencer par celles de ses pairs, qui le prennent de haut. Un peu comme si l’acteur-scénariste-réalisateur-producteur nous confiait, en creux, qu’il a envie de passer à autre chose, d'être "pris au sérieux" après avoir consacré l’essentiel de sa jeune carrière à faire rire les spectateurs. D’où l’idée, sans doute, de s’attaquer à un sujet lourd : la politique, internationale de surcroît.
Dans un article consacré à la Corée du Nord, le duo découvre que le dictateur Kim Jong-un est fan de la série comique Big Bang Theory… et de Skylark Tonight. Après un périple à travers la Chine, jusqu’à la frontière nord-coréenne, Aaron décroche l’interview… qui tue, à tous les sens du terme. Un entretien exclusif, avec questions et réponses rédigées à l’avance, du chef d’Etat le plus secret –et donc fantasmé du XXIe siècle. Alors qu’ils viennent de célébrer le scoop à venir, Dave et Aaron reçoivent la visite de l’Agent Lacey, une séduisante émissaire de la CIA qui leur demande de "faire sortir – (take him out en VO)", l’homme dont les ogives nucléaires menacent l’Amérique.
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C’est le début d’un périple rocambolesque, plutôt élégant dans la forme, qui repose surtout sur le talent de ses comédiens principaux. Si Seth Rogen… fait du Seth Rogen, nounours bourru au grand cœur, champion de la vanne expresse, L’interview qui tue ! offre au caméléon James Franco l’occasion d’une performance jouissive, superbe abruti bling-bling qui va tomber en affection pour son hôte, joué par l’excellent Randall Park, avant de réaliser le vrai visage de sa dictature. C’est un peu là que le bât blesse.
Car oui, L’interview qui tue ! est un film américain, écrit par des Américains dont le logiciel géopolitique classe le monde en deux catégories. Les bons démocrates d’un côté, et les méchants dictateurs de l’autre. Un monde où la pop culture est une arme de conversion massive, à l’image de "Fireworks", le tube de Katy Perry que Kim a honte d’écouter en boucle dans son char d’assaut. Et qui va provoquer son pétage de plomb au cours de la fameuse interview, conduite par un Dave Skylark soudain héraut des belles valeurs de l’Oncle Sam. Lorsque l’animateur yankee déstabilise son interlocuteur en évoquant la famine qui ravage son peuple, le dictateur met en avant les sanctions économiques infligées par Washington à Pyongyang. 1-1 balle au centre ? Ce serait trop simple.
Là où un OSS 117, au hasard, se rit de la suffisance colonialiste de son héros, L’interview qui tue ! abandonne soudain l’autocritique pour assimiler ce "salaud" de Kim Jong-un à petit garçon complexé, que son père traitait d’homosexuel parce qu'il boit de la Margarita, et qui fait croire à son peuple, entre autres mensonges, qu’il ne possède pas d’anus… là où Aaron Rapoport n’hésite pas, lui, à s’insérer dans le rectum un missile contenant le poison destiné à éliminer l’affreux dictateur. Un peu comme si les auteurs du film nous expliquaient que pour vivre en démocratie, il fallait parfois savoir baisser son pantalon. Une analyse un brin "osée". De là à en faire une affaire d’Etat ?
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