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23 mai 2005
L’homme et l’argent

lundi 21 novembre 2005



Le don, la gratuité, l’argent, l’échange, l’investissement, le prêt : ces mots font partie du langage courant et de la sphère économique, et leur emploi dans ces deux contextes connote chaque mot d’une autre signification que celle qu’il avait à l’origine. Un paquet de gâteaux dans un lot « 3+1 gratuit » est-il réellement gratuit ? Un échange entre deux personnes est-il en premier lieu une discussion ou un troc ? Interrogeons-nous sur leur contenu philosophique et sociologique, et commençons par faire des distinctions entre les différents sens de chaque mot afin de les employer à leur juste place.

L’argent

L’argent peut être une réalité objective : le terme approprié est alors la monnaie. Il en existe trois sortes : la monnaie divisionnaire (les pièces), la monnaie papier (les billets) et la monnaie scripturale (les chèques et les paiements par carte bleue). En France, la première est émise par le Trésor, à hauteur de 2,2 milliards d’euros en 2004 ; la deuxième par la Banque de France, à hauteur de 35 milliards d’euros ; la troisième par les banques, à hauteur de 195 milliards d’euros. Les banques sont donc la principale source de monnaie en France, en se portant garantes de la signature de leurs clients. Dans ce cas, par la confiance qui doit être placée dans cette signature et dans la garantie apportée par la banque, on approche déjà la réalité subjective que couvre le terme d’argent.

L’argent représente tous les biens possibles, disponibles avec cet argent. Les hommes, dans leur volonté de capter le maximum de biens, se focalisent sur un seul : l’argent devient porteur d’imaginaire, il est potentiellement tous les biens. De la même façon que la recherche de la pierre philosophale représentait la quête de tous les pouvoirs.

Dans l’Evangile, l’argent est désigné à deux reprises par le mot araméen Mamon qui viendrait du verbe ‘Aman (croire), repris ensuite par le grec Μαμωνας : « Faites-vous des amis avec le Mamon des injustes » et « Nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mamon ». Dans ces deux cas, ce n’est pas l’argent comme monnaie d’échange qui est désigné, mais un certain « argent fiduciaire » (du latin fides : foi ; fiducia : confiance) qui réclame donc une nécessaire ‘foi’ pour être efficace, spécialement quand on va jusqu’à le servir comme un dieu. L’argent n’est plus ici un moyen mais un but en soi.

Le sociologue Georg Simmel, à la suite de Durkheim, écrit dans La philosophie de l’argent que ce dernier sert à « objectiver la valeur qu’un individu donne à un objet ». C’est la rencontre entre l’appréciation personnelle et par essence subjective, et d’une quantification connue de tous grâce à la valeur intrinsèque du métal argent ou or. Faisons à ce stade une parenthèse pour souligner combien la valeur donnée à l’or ou à l’argent est un mélange entre l’objectif (le poids par exemple) et le subjectif (la beauté reconnue). Pourquoi tous les hommes s’accordent à trouver beaux ces types de métaux ? Parce qu’ils mettent en valeur leur corps, comme les pierres précieuses ? Par leur absence d’impuretés reconnue ? Si le commerce a commencé avec le troc d’un objet contre un matériau beau en soi, la beauté artistique a ensuite été utilisée (effigie et taille d’une pièce différentes selon la valeur qui lui est donnée), et l’on se dirige de plus en plus vers une abstraction par rapport au matériau, la fonction et la protection devenant prépondérantes par rapport à la valeur de l’objet.

Par l’argent, on glisse du qualitatif (le désir d’un objet) au quantitatif (le temps de travail nécessaire pour le produire, la quantité de matière première, l’efficacité de la protection, etc.) et l’on est amené à comparer les prix entre eux et non les objets. Ce qui peut être un leurre et conduire à acheter un produit de qualité moindre... Mais l’argent étant le moyen de combler le fossé entre le désir et sa satisfaction, payer moins cher devient un moyen d’épargner du plaisir, voire du pouvoir.

Car l’argent donne l’indépendance, mais « ne fait pas de bonheur », dit le dicton. Aristote nous éclaire en marquant la différence entre indépendance et autonomie : « le bonheur, c’est l’autonomie, pas l’indépendance » ; l’argent par contre peut donner l’indépendance. L’autonomie est ici force de vivre, capacité à gérer substantiellement sa vie, ce qui suppose d’accepter de compter sur les autres, d’aimer, donc une certaine forme de dépendance. En revanche, « pour devenir contemplatif, il faut quand même avoir à manger » dit encore Aristote : c’est là une certaine indépendance que permet l’argent.

La gratuité

La notion de gratuité mérite d’être éclairée par la notion d’ouverture à l’autre, d’attention à l’autre, et ce afin de faire des distinctions éthiques. Classons donc les échanges humains sur deux axes :

L’échange gratuit à court terme, mais tourné vers lui-même donc espérant un retour sur investissement à plus long terme, est caractérisé par l’échange commercial. Il peut prendre différentes formes :
-   celle du casino, où le joueur peut croire au hasard et à la possibilité de faire un gain important sans investissement de départ, alors que l’ensemble du jeu est régi par un calcul statistique complexe qui assure la rentabilité du casino ;
-   celle du cadeau commercial, où le marchand exploite le besoin affectif de la personne, et son souvenir des cadeaux reçus dans un cadre d’amour (la famille, le couple, etc.) Il peut également n’avoir aucun espoir de retour sur investissement mais être purement égoïste ou sans aucun but, par orgueil ou par folie, description qu’en fait Dostoïevski dans Les Possédés pour le premier cas, cas de l’âne du buridan dans le second : ayant le choix entre l’eau et le foin pour commencer son repas, ce dernier finit par mourir de faim et de soif à force d’hésiter. Trop de choix, de gratuité sans amour, sans finalité, peut faire désespérer. Cas largement constaté dans nos grandes villes occidentales où l’on a tout et où pourtant le recours aux antidépresseurs atteint des records.

Cela amène à penser que la réelle gratuité que cherche l’homme vient de l’amour. L’expression la plus parfaite en est la Création : Aristote démontre par la raison que nous pouvons découvrir un Être premier qui nous crée infiniment gratuitement, auquel nous n’ajoutons rien en existant. Il nous crée par pur amour, c’est là la gratuité par excellence, une gratuité infinie, celle du don désintéressé de l’être Nous retrouvons des traces de cette gratuité parfaite dans l’amitié, qui n’attend rien en retour. Un ami manifeste son amitié par des services ou des cadeaux parce qu’il aime et qu’il souhaite que son ami soit plus heureux. Il ne fait aucun calcul dans ce don, car un don qui se calcule place la personne au-dessus de celui à qui elle donne ; or, par définition, l’ami n’est pas au-dessus de son ami mais son égal. Par analogie avec la Création par Dieu - une création pour nous et non pour Dieu - la mise au monde d’un enfant peut être pure gratuité. Certes, un travail de purification et de deuil nous sera toujours nécessaire pour renoncer aux attentes et espérances égoïstes, au désir d’épanouissement personnel par la maternité ou la paternité, mais il est toujours une part de surplus d’amour présent pour être donné à l’enfant, pour lui-même et non pour soi.

Le capital

Par définition, un capital est un ensemble de biens produits par le passé et dont on bénéficie dans le présent. Traditionnellement, et ce dans de nombreux peuples, il s’agit d’une prolongation d’amour instinctif : une propriété privée transmise à ses enfants, sorte de testament d’amour. Cette notion est donc profondément ancrée en l’homme et dans sa volonté d’aimer. Or le capitalisme libéral en a donné une définition légèrement différente, en faisant un ensemble de biens produits dans le passé et destinés à faire du profit dans le présent, appelés à s’accroître. La notion a perdu son cadre familial et est devenue technique et individualiste. De même dans l’expression de « capital humain », chère aux entreprises, la notion originelle de richesse familiale ou amicale tend à disparaître : l’homme peut-il vraiment être un capital ?

Notons à ce stade combien l’utilisation de certains mots par la sphère économique peut en galvauder le sens profondément humain présent à l’origine. Combien certains termes montrent à quel point l’homme n’est pas la finalité de l’œuvre économique parfois, mais bien l’accroissement de la richesse. Ainsi au lieu de « ressources humaines », ne pourrait-on pas parler de « qualités humaines » ? Le « capital humain » d’une entreprise devient ainsi parfois un « investissement » pour l’avenir : le calcul pariant sur la capacité de travail de l’homme ne risque-t-il pas d’abîmer l’homme qui n’est pas visé en tant qu’homme ? Encore faut-il que les termes soient changés sans hypocrisie, mais bien pour changer le regard objectif.

Dans cette nouvelle définition du capital, l’idéal qui est révélé en filigrane est l’accumulation. Sri Aurobindo, penseur indien, avait raison de penser que « le commercialisme engendre un nouveau barbarisme » car cet idéal de l’accumulation produit l’exclusion, et est signe d’avarice, alors que le but de la vie est le don, et non l’accumulation.

Le don

Enfin, il convient de faire la distinction entre les différentes réalités que recouvre le terme de « don ». Car un don peut avoir un fondement moral, éthique, mais il peut également être un don économique, un don qui attend un retour, un compte-rendu, et crée une dette morale. Dans ce cas, ce « don » exploite la relation et tient le bénéficiaire du don par un lien fondé sur des valeurs immatérielles (prestige, loyauté, etc.) ou matérielles (service, compte-rendu de l’activité réalisée avec l’argent donné, qui devient proche du prêt ...). Or Derrida soulignait combien le vrai don avait une dimension métaphysique, puisqu’il était une présence, qu’il avait le souci d’engendrer le bonheur de l’autre, sans retour vers soi.

Force est de constater toutes les ambiguïtés avec lesquelles joue l’économie capitaliste grâce aux différents sens des mots. Peut-être faut-il les souligner pour prendre conscience de l’exploitation de nos failles psychologiques dans nos comportements d’acheteur, de salarié, de mécène ou de bénéficiaire de dons, et par ce biais, de notre besoin naturel d’être considéré pour nous-même. Mère Térésa de Calcutta, à la suite de Maslow dans un sens, rappelait bien que l’essentiel est, tout en le nourrissant et l’habillant, de rendre à chaque homme sa dignité de base par une considération qu’il mérite en tant qu’homme : un vrai sens du don, celui de l’amour. Appelons le reste, moyens, ressources ou échanges plus simplement ou plus justement.

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