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L'homme et l'argent : un rapport ambivalent

Le Point.fr - Publié le

C'est dans une salle bondée que s'est déroulée la première table ronde des 8e Rencontres de Cannes. Son thème : l'argent.

La première conférence a fixé le cadre des Rencontres de Cannes : l'argent.
La première conférence a fixé le cadre des Rencontres de Cannes : l'argent. © Marco La Via
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"L'argent est une invention formidable qui fait partie de l'histoire de l'homme mais qui a également sa propre histoire." C'est avec ces mots que Gérard Desportes, journaliste au Point, ouvre le débat. L'occasion de donner la parole à Françoise Dastur, philosophe et historienne de la philosophie, qui rappelle que l'apparition de l'argent est récente, précisant que "c'est en Mésopotamie, au milieu du troisième millénaire avant notre ère, qu'est apparue la notion de comptabilité". Une forme d'écriture spécifique qui serait l'ancêtre de l'argent.

Du troc à la carte bancaire

Tous les intervenants sont unanimes : la première forme d'échange entre les hommes était le troc, c'est-à-dire l'accord mutuel sur la valeur d'un bien. Ce processus d'échange, "le passage des boeufs à la monnaie papier", comme le souligne Françoise Dastur, est intervenu aux alentours du XIXe siècle en Europe, en terre britannique. "L'apparition de la monnaie papier a créé un tout nouvel ordre des sociétés, dans la mesure où, désormais, on fait confiance à une institution", ajoute-t-elle.

Les constantes évolutions technologiques ont grandement contribué à la modification de l'utilisation pécuniaire. Jean François Mattéi, ancien professeur de philosophie, constate que "la monnaie est de plus en plus dématérialisée". Le passage de l'écu d'or aux cartes bancaires est significatif de la "conquête progressive du virtuel sur le réel", selon lui. La figure emblématique de l'oncle Picsou, assis sur un tas d'or sans y toucher, utilisée par l'ancien conseiller du ministère de l'Éducation nationale, relate parfaitement cette puissance, cette richesse virtuelle. Le traditionnel processus de l'argent, le M-A-M (marchandise-argent-marchandise) a été remplacé par un système plus moderne, l'A-M-A (argent-marchandise-argent) ; l'argent appelant dès lors l'argent.

Un médiateur indispensable

L'argent, c'est donc cette notion complexe, aussi bien facteur d'aliénation pour Marx que de libération et de socialisation pour le philosophe Simmel. S'il est récent dans nos sociétés, il est devenu aujourd'hui indispensable. Constat validé par Jean François Mattéi : "Ça reviendrait à se priver de toute forme d'échange économique ou financier", explique-t-il. Quand on sait que ces échanges représentent chaque jour 4 000 milliards de dollars, on peut se demander si l'argent ne s'éloigne pas tous les jours un peu plus de la réalité. Un risque qui préoccupe l'historien et ethnologue Michel Koutouzis : "On est en train de créer bien plus d'argent que nécessaire pour notre vie quotidienne. Comment ramener les activités humaines au niveau de ses vrais besoins ?" se questionne-t-il.

Cette omniprésence du rapport marchand explique en partie pour Françoise Dastur l'apparition dans notre société de l'égoïsme et de l'individualisme. D'après elle, sauf accident exceptionnel (nouvelle guerre mondiale ou catastrophe écologique), "la planète dans sa globalité va continuer à s'enrichir mais actuellement, les inégalités demeurent, et la misère avec elle". Se passer ou non de l'argent n'est pas forcément la question à se poser pour Jean François Mattéi : "L'argent, c'est l'objet de nos désirs, on ne peut pas s'en séparer en tant que tel, mais on peut se questionner sur le désir de puissance qu'il représente", précise-t-il.

Ce qui fait dire à Salamatou Sow, sociolinguiste, que le problème n'est pas l'argent, mais plutôt l'homme lui-même. "Les hommes ont vu l'argent avant l'homme", indique-t-elle. L'argent a-t-il dépassé son maître ? "Encore faudrait-il qu'il en ait un", rajoute-t-elle. Pour Michel Koutouzis, le problème réside dans le fait que nous sommes dans une société peu encline à la nuance lorsqu'il s'agit d'argent : "On parle soit d'argent sale, soit d'argent propre. Pourquoi ne pas nuancer comme les Grecs, qui disaient par exemple que la drogue est autant un médicament qu'un poison à forte dose ?" À méditer...

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