- Par Emmanuel Baron (Epicentre)
Les orientations et les financements des programmes de santé dans les pays dits «en voie de développement» dépendent aujourd’hui de la volonté et des priorités des États les plus riches, mais aussi d’institutions philanthropiques comme la fondation Gates. Or, trois appels récents montrent les failles de cette action sanitaire internationale, à la merci des soubresauts de la générosité des États et de quelques milliardaires.
Lors de la conférence internationale «AIDS 2010», qui réunissait à Vienne en juillet dernier les acteurs politiques, sociaux et médicaux de la prise en charge des malades du sida, une partie des débats s’est concentrée sur les conséquences d’une baisse des financements internationaux, et notamment sur la menace qui pèse sur le «Fonds global de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme».
Plus récemment, une tribune signée de Kofi Annan et Jimmy Carter appelle les gouvernements à poursuivre leur effort financier pour améliorer les activités vaccinales à destination des plus vulnérables, et inciter les pays concernés à y consacrer les ressources nécessaires.
Enfin, dans une initiative baptisée «The giving pledge», Bill Gates et Warren Buffet invitent les milliardaires américains à céder la majorité de leur fortune à des causes de leur choix. Quarante d’entre eux ont déjà souscrit à l’idée.
Mais on doit également s’interroger sur l’attitude des acteurs de soins qui s’associent à ces appels en faveur de l’augmentation des financements. Pour convaincre les États de la nécessité de maintenir ou d’augmenter leurs donations, la tentation est grande de promettre des miracles sanitaires. Ainsi, l’idée que le contrôle de la pandémie de sida est à portée de main gagne du terrain au sein des acteurs nationaux et internationaux de la lutte contre le VIH. Conjuguant incantations opérationnelles et résultats de modélisation mathématique, ils proposent le dépistage annuel et massif de la population, puis la mise immédiate sous traitement de tout séropositif, quel que soit le stade de la maladie. Peu importe que les institutions de Santé publique soient déjà en grande difficulté pour assurer le traitement de l’ensemble des patients suivis aujourd’hui, l’intendance suivra !
S’éloignant des enseignements d’une approche clinique, les acteurs de soins cautionnent ainsi l’annonce de prophéties sanitaires qui masquent la complexité et les difficultés rencontrées en pratique.
L’exemple du sida est édifiant. Très individualisées dans les pays du Nord, les stratégies de traitement et de suivi biologique d’un malade séropositif reposent sur un capital de connaissances médicales et des moyens peu adaptés aux besoins et aux ressources disponibles dans les pays les plus affectés par l’épidémie. Les médicaments sont difficiles d’emploi sur la durée. La rareté des co-formulations (plusieurs comprimés en un) complique la prescription, l’observance ou encore le stockage des traitements. Techniquement trop exigeante en termes de matériel, de coût et de maintenance, la mesure de la charge virale dans le sang, pierre angulaire du suivi en France, est indisponible en Afrique subsaharienne. Enfin, en cas d’échec de la première ligne de traitement, le coût prohibitif des médicaments de recours – en partie lié aux modes actuels de gestion de la propriété intellectuelle – forme la dernière haie du parcours d’obstacles vécu par un malade séropositif et par son médecin.
Tenir compte des contextes d'intervention
De même, les principaux vaccins contre les infections les plus courantes de l’enfant (méningite, infections pulmonaires, rougeole, certains formes de diarrhées sévères) n’ont pas été développés pour répondre aux besoins des pays aujourd’hui les plus touchés d’Afrique sub-saharienne ou d’Asie. Leur mode de délivrance à large échelle est exigeant: transport et stockage au froid; nécessité de matériel d’injection; rythmes contraignants des calendriers vaccinaux; et parfois même absence de données pour connaître l'efficacité réelle des vaccins utilisés dans les pays du Sud.
A contrario, le développement d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi a permis d’améliorer les stratégies de lutte et la prise en charge de la malnutrition infantile, encore à l’œuvre cette année au Sahel. Si beaucoup reste à faire, des solutions émergent quand scientifiques et industriels développent des produits spécifiques tenant compte des contextes d’intervention.
A l’image de la lutte contre la malnutrition, de nouveaux modes de prise en charge médicale peuvent s’envisager pour répondre plus durablement aux principales causes de mortalité touchant les pays affectés par des catastrophes de Santé publique. Mais ils doivent s’enraciner dans la réalité des contextes sanitaires, dans l’analyse médicale et sociologique des résultats des programmes de soin déjà à l’œuvre. La recherche biomédicale doit aussi se remettre en question, et ne plus cibler uniquement les malades des marchés les plus solvables. En dehors des pays riches, les contraintes liées à l’emploi des outils de la prévention, du diagnostic et du traitement ne sont pas prises en compte dans les processus de recherche et de développement. Cela complique la pratique médicale dans de nombreux pays où le personnel accède difficilement aux formations et aux ressources nécessaires à l'exercice de la médecine dans de bonnes conditions.
Pour améliorer la réponse vaccinale ou lutter efficacement contre le sida, les ONG médicales se trompent de registre en misant sur un plaidoyer politico-financier, qui leur impose de forcer le trait sur les objectifs atteignables avec les techniques aujourd’hui disponibles. C’est en puisant dans leur propre expérience que leur crédibilité s’affirme et que des avancées sont possibles. C’est en expliquant en quoi les politiques médicales à l’œuvre dans les pays du Sud s’appuient sur des outils médicaux inadaptés, en quoi il faut stimuler, promouvoir et soutenir une recherche biomédicale basée sur de nouveaux modes de rétribution et de valorisation de ses produits que l’impact sur les principaux phénomènes morbides mondiaux a des chances de succès rapides et pérennes. A défaut, le risque existe aussi que les progrès possibles soient entravés par la poursuite d’illusions sanitaires.
© Isabelle Merny / MSF
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Merci pour cet excellent billet.
Il est effectivement lassant de devoir finalement lutter contre ces plans com para-scientifiques faits de solutions miracles et massives.
Je me rappelle cet été une discussion avec un enthousiaste membre de l'USAID/PEPFAR autour de la question de la mise en route d'un éventuel plan de dépistage/traitement systématique... alors que nous savons que la plupart des systèmes de soins n'arrivent même pas à absorber ces premiers programmes qui ne ciblent au mieux qu'un quart de la population cible.
S'ils veulent tant faire en sorte que nous puissions tordrent le cou de cette épidémie de VIH, et cela sera aussi valable pour l'endémie de maladies cardio-vasculaires qui monte, que la communauté des bailleurs cessent de penser les pays pauvres comme un bloc social monolithique. Et qu'ils donnent du temps aux ONGs pour qu'elles cessent de courir après des proposals de 1 ou 3 ans. Il faut du temps pour saisir un contexte et commencer à implémenter une solution solide. Les grands ONGs internationales ont cette flexibilité. Que les bailleurs commencent à leur faire confiance. 7 ans, 10 ans, que les ONGs aient le temps. Il est tout de même incroyable de penser que les bailleurs privés ou publics comprennent qu'un projet industriel puisse prendre plus de 10 ans à se mettre en place, et n'accordent en parallèle que des financements sur 3 ans pour mettre en place des plans sanitaires dans des zones où tout est à construire.
Cordialement,
Vincent Guérard, directeur général @ Urban Care
www.urbancare.org
Rédigé par : Vincent Guérard | 01/10/2010 à 09:43
Mr Baron nous donne à lire un article non pas désespérant mais réaliste.
Par contre, je suis septique sur "l'inventivité fiscale" qui permettrait de couvrir et d'assurer des financements. En France ou l'inventivité fiscale me parait forte, la crise actuelle me semble faire des dégâts sérieux dans les programmes sociaux.
je voulais réagir aussi sur "la dernière haie du parcours d’obstacles vécu par un malade séropositif et par son médecin". Mettre dans un même élan, sur un même pied, le médecin et son malade ne me semble pas relever de la réalité. L'urgence d'un traitement médicamenteux ne se vit certainement pas de la même manière selon que l'on porte la blouse blanche ou pas. Il me semble même me souvenir que certaines associations de patients se sont bien créés suite à cette épidémie de sida et pour que les patients bénéficient plus vite que prévu de traitements novateurs.
Bon je pinaille, bel article !
Rédigé par : laflibuste | 20/09/2010 à 20:29