Revenu de base, une utopie en passe de devenir réalité ?
Une mission du Sénat propose de favoriser des expérimentations dans les départements. Et se prononce pour une allocation de 500 euros.
Par Marc VignaudIls ont travaillé pendant quatre mois, de juin à septembre. Quatre mois pour se faire un avis sur un sujet des plus complexes : le « revenu de base ». Faut-il l'instaurer en France ? Sans surprise, les membres de la mission sénatoriale, réclamée par le groupe socialiste, ont conclu par une réponse de Normand : « Non, mais… »
« La mission ne préconise [...] pas la mise en place d'un revenu de base en France, même si, à un horizon de dix ou vingt ans, la voie d'une introduction graduelle pourrait être envisagée. En revanche, elle juge indispensable de mener dès aujourd'hui une expérimentation, dans des territoires volontaires, de plusieurs modalités d'un revenu de base », est-il écrit dans son rapport « De l'utopie à l'expérimentation ».
Universel, inconditionnel
Une conclusion contraire aurait été étonnante. D'abord, parce que la mission – comme cela est l'usage – a été constituée à la proportionnelle des groupes sénatoriaux, aux avis divergents. Ensuite et surtout parce que, derrière le même concept de « revenu de base » – autrement appelé revenu universel, allocation universelle, revenu d'existence, dividende universel –, se cachent en réalité des philosophies assez différentes.
Qu'est-ce que le revenu de base ? Ses défenseurs s'accordent sur une définition minimale commune : c'est un droit individuel, inconditionnel et cumulable avec d'autres revenus. En clair, chacun y a droit et cette allocation ne doit pas dépendre des revenus des individus. Pour certains, le revenu universel doit même être versé de la naissance à la mort. Y compris, donc, aux mineurs.
Débat sur le montant
Au-delà de ce socle commun, les avis divergent sur ses objectifs, comme l'a très bien expliqué le Conseil national du numérique dans un rapport sur l'avenir du travail et de l'emploi à l'heure du numérique de janvier 2016. « Comptent parmi ses promoteurs aussi bien des néolibéraux, qui y voient un moyen de simplifier le marché du travail et de réduire le rôle de l'État, que des anticapitalistes d'inspiration marxiste, pour qui c'est, au contraire, une étape supplémentaire dans la socialisation des revenus, que des keynésiens en quête d'un moyen de soutenir la demande, que des écologistes promouvant la sobriété volontaire. Ces différences d'objectifs entraînent nécessairement des différences quant au dispositif du revenu de base lui-même. »
Principale variable, son montant. Les plus à gauche, comme Cécile Duflot, proposent, à terme, un chèque de 1 000 euros par adulte et par mois. Et le considèrent comme un outil pour libérer les citoyens de travailler pour se nourrir. La candidate à la primaire des Verts veut d'ailleurs coupler l'allocation universelle à la réduction du temps de travail à 32 heures par semaine pour mieux partager le travail.
Lutter contre la grande pauvreté
Pour d'autres, un revenu universel doit se limiter à 500 euros, soit à peu près le niveau de l'actuel revenu de solidarité active (RSA), versé aux personnes qui ne disposent pas d'autres ressources. Dans cette version, le revenu universel est un outil de lutte contre la grande pauvreté grâce à l'automatisation du versement des aides sociales actuelles. Cela supprimerait la stigmatisation dont sont victimes leurs bénéficiaires. L'allocation universelle éviterait aussi le problème du non-recours massif aux aides sociales. Cela permettrait enfin de simplifier le maquis d'aides existant et de diminuer les coûts administratifs liés à leur calcul et au contrôle de leur distribution.
Quant au risque de promouvoir l'oisiveté avec un revenu de base, il ne serait pas fondé puisque son cumul intégral avec les revenus du travail permettrait au contraire de s'assurer que le travail paie toujours plus que l'assistance.
Procéder par étape
C'est notamment pour trancher le débat sur le montant adéquat que la mission sénatoriale, qui a procédé à 43 auditions et effectué deux voyages d'études, aux Pays-Bas et en Finlande, recommande de tester plusieurs scénarios dans des départements volontaires, pendant au moins trois ans, avec un échantillon de 20 000 à 30 000 personnes. Cela tombe bien puisque la Gironde planche déjà sur son expérimentation...
Selon les calculs de la mission, le coût d'une telle expérimentation serait de 120 à 150 millions d'euros par an pris en charge par l'État. Ce qui limite le montant à 625 euros par personne et par an (150 millions/20 000/12).
Mais elle prend d'ores et déjà parti pour un revenu universel de l'ordre de 500 euros afin d'éviter que certains soient tentés de ne plus chercher d'emploi. Pour y parvenir, les sénateurs proposent de procéder par étape. Avant d'envisager un revenu universel, à terme, ils recommandent de réformer d'abord les prestations sociales pour aller vers une allocation unique. Celle-ci serait d'abord ouverte aux 18-25 ans. Puis elle serait versée automatiquement à ses bénéficiaires, sans démarche.
La question complexe du financement
La mission se prononce enfin plutôt en faveur d'un revenu universel versé sous forme d'un impôt négatif : l'administration ne verserait ou ne prélèverait au bénéficiaire que la différence entre l'impôt dû et le montant du revenu de base. Ce qui évite de donner l'impression aux gens que le revenu universel implique de verser un chèque même aux plus aisés.
L'instauration d'un revenu universel en France bute inévitablement sur la question de son financement. Pour un montant de 465 euros par adulte, le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) chiffre son coût à 180 milliards d'euros par an, soit 8,4 % du PIB, une fois supprimés le RSA, la prime d'activité et les bourses étudiantes, devenus inutiles.
Aux Pays-Bas, les expérimentations se font au niveau des communes. Celle d'Utrecht, la plus souvent citée, envisage de tester sur un groupe de 500 personnes le maintien, pour certains, de l'intégralité de leur revenu minimum d'insertion (900 euros, soit l'équivalent de notre RSA et des allocations logement) lorsqu'ils retrouvent un emploi. Conclusion de la mission sénatoriale française : Utrecht s'apprête « à procéder à l'expérimentation d'un revenu conditionnel non dégressif, et non pas véritablement d'un revenu inconditionnel, puisque l'entrée dans le dispositif serait réservée aux seuls bénéficiaires actuels du revenu minimum légal ». Encore cette expérimentation reste-t-elle soumise à l'accord du gouvernement, ce qui n'est pas encore acquis.
Le projet d'expérimentation de la ville a en fait pour principal objectif de déterminer s'il est possible de se débarrasser de la loi dite de « participation », qui conditionne le versement de certaines allocations à des « démarches administratives ainsi qu'à des recherches de formations ou d'emplois ». Des obligations qui sont jugées « très complexes, sources de stress pour les intéressés et qui favorisent des stratégies de contournement afin de préserver cet acquis, tout en pesant lourdement sur les administrations communales », rapporte la mission du Sénat. En France, c'est plutôt l'absence d'obligation vraiment contraignante de recherche d'emploi des titulaires du RSA qui est critiquée, en tout cas à droite.
Consultez notre dossier : Le revenu universel, une idée pour le XXIe siècle ?