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Solitude des patrons: "Ils confondent trop souvent responsabilité et culpabilité"

45% des patrons de PME affirment ressentir de l'isolement,s elon une étude publiée le jeudi 3 novembre par Bpifrance.

45% des patrons de PME affirment ressentir de l'isolement,s elon une étude publiée le jeudi 3 novembre par Bpifrance.

Getty Images

Mal compris, mal vus... L'isolement des dirigeants de PME est alarmant, pointe une étude Bpifrance parue ce 3 novembre. Des solutions pour rompre l'isolement existent pourtant.

"Oui, je me sens un peu seul mais je n'ai pas le temps d'en parler..." Interroger un patron de PME sur un sujet aussi intime que le sentiment de solitude et d'isolement qu'il peut ressentir, c'est risquer de se voir opposer un refus. Agenda surchargé, réticence à se livrer ou déni de la réalité: le sujet est très rarement abordé. Pourtant, l'isolement des petits patrons est un problème réel.  

"Il ne s'agit pas de faire dans le compassionnel, explique Nicolas Dufourcq, à la tête de Bpifrance, à l'origine d'une étude sur le sujet publiée le 3 novembre. Avec ces travaux, nous avons simplement voulu objectiver et mesurer ce qui, jusqu'à présent, relevait plutôt de la perception individuelle."  

Les équipes du Lab de Bpifrance ont donc travaillé conjointement avec Olivier Torres, professeur à l'université de Montpellier et fondateur de l'observatoire Amarok sur la santé des dirigeants de PME. Ils ont établi un questionnaire précis* de trente questions et mené des entretiens dans lesquels les patrons de PME et ETI ont pu verbaliser leurs difficultés et leurs attentes.  

"Il n'y en a que pour les grandes entreprises"

Premier constat de cette étude diffusée ce jeudi 3 novembre: ce sentiment d'isolement est assez largement partagé. 45% des patrons interrogés se disent un peu ou très isolés et seulement 15% des sondés se déclarent entourés. "Ces chiffres nous aident à prendre la mesure du phénomène, commente Olivier Torrès. Et permettent aussi de comprendre les facteurs explicatifs de cette situation."  

Ce qui pèse en tout premier lieu, c'est l'incertitude et la complexité de l'environnement. Les patrons doutent beaucoup: de la réussite de leur entreprise, de la situation économique et d'eux, surtout. Ils avouent ainsi que le poids des responsabilités joue beaucoup dans ce processus d'isolement. 86% des sondés disent avoir du mal à recruter et à s'entourer de personnes qu'ils jugent "compétentes et responsables", ce qui ne fait qu'accentuer l'idée qu'ils sont seuls pour "porter" l'entreprise. "La plupart des collaborateurs n'ont pas envie de prendre des responsabilités", regrette un dirigeant anonyme, en quête d'un bras droit.  

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L'autre grand mal des petits patrons naît d'un manque de reconnaissance sociale. Ces derniers se disent mal compris, mal vus. "On appelle ça "l'effet Gulliver", explique Philippe Mutricy, directeur de l'évaluation, des études et de la prospective chez Bpifrance. Les patrons de PME estiment que dans les débats politiques, fiscaux , du point de vue de l'administration publique ou même dans la représentation sociale, il n'y en a que pour les grandes entreprises."  

Ne pas confondre responsabilité et culpabilité

Enfin, les problèmes plus ou moins ponctuels de trésorerie sont également mis en avant par les principaux intéressés comme des facteurs aggravants de stress et d'isolement. Pour Olivier Torrès, habitué à scruter les petits patrons, la solitude est un phénomène "construit", et ces éléments n'expliquent donc pas tout. "Avoir du stress face aux responsabilités est une chose normale quand on dirige une entreprise, détaille-t-il. Les choses deviennent problématiques quand la responsabilité se mélange à de la culpabilité et que le patron ne peut plus mettre les choses à distance. Culpabilité par rapport aux salariés si l'entreprise va mal, par rapport à sa famille qu'il délaisse et peut mettre en danger financièrement s'il a investi son patrimoine dans la société. En plus, tous ces éléments se jouent dans un environnement d'extrême proximité, qui n'arrange rien."  

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Contrairement à une grande entreprise, les petites structures favorisent des rencontres quotidiennes entre le dirigeant, figure de l'autorité, et les salariés, qui la questionnent. "Ce qui est difficile, c'est que l'on cesse d'être ce que l'on est, pour être ce que l'on représente (...) On doit avoir une spontanéité maîtrisée. Tout est sujet à interprétation. Un décalage se crée également parce que les gens ne vous disent plus les choses", témoigne un chef d'entreprise anonyme qui a participé à cette étude.  

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Pour Jean-Paul Rigal, patron de la PME de 40 salariés Stepnet, maintenir un minimum de communication est absolument essentiel. "Il est évident que je ne peux pas détailler l'ensemble des difficultés que je traverse à mon équipe, raconte-t-il. Nous n'avons d'ailleurs pas la même temporalité, ni la même perception de l'entreprise donc les choses peuvent être difficiles. Mais il faut se forcer à échanger sinon vous prenez le risque qu'un ou plusieurs salariés s'isolent à leur tour de l'entreprise. Depuis deux ans, je fais un point d'intention quotidien avec mon équipe dirigeante au cours de laquelle chacun fait part de ses objectifs du jour et j'en retire beaucoup de satisfaction."  

"Absorber du stress et de dégager de la sérénité"

Nicolas Dufourcq estime, lui, que la fonction oblige à une figure quasi impossible: "absorber du stress et dégager de la sérénité, pointe-t-il. C'est pour cela que les consultants à bon relationnel et sens de la psychologie sont très appréciés; les patrons ont besoin de parler à quelqu'un."  

Car il y a des remèdes à ces solitudes. Pour les auteurs de l'étude, des mesures aussi concrètes que la mise en place d'un comité directeur (Codir), d'un conseil administration ou la venue d'administrateurs indépendants peuvent réduire par deux ce sentiment d'isolement. Il faut donc apprendre à s'entourer.  

Rejoindre un réseau d'entrepreneurs est aussi une solution. 45% des sondés affirment que l'adhésion à un groupe leur permet de lutter contre un trop grand isolement. 

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"La mise en oeuvre d'un style de management participatif, d'une gouvernance ouverte et d'une stratégie collaborative sont des voies à privilégier pour améliorer la performance de l'entreprise et pour réduire le sentiment de solitude du dirigeant, poursuit Olivier Torrès. A condition bien entendu que ce dernier l'accepte, car il y a aussi de forts enjeux d'ego dans tout ça." A condition, aussi, que les intéressés prennent le temps d'en parler... 

 

*Cette étude présente les réponses de 2 400 patrons de PME et ETI réalisant plus de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. 

 

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