La semaine dernière à Porter Ranch, en Californie, un homme au bord de la ruine financière a tué sa famille avant de se suicider. C’est là le dernier exemple et le plus extrême de la vague de désespoir qui déferle sur les Américains. Karthik Rajaram, un conseiller financier sans emploi, a laissé une lettre expliquant que sa situation financière ne lui laissait pratiquement pas d’autre choix que de tuer sa femme, ses trois enfants et sa belle-mère.
Le cas de la famille Rajaram illustre de façon tragique la tourmente émotionnelle que vivent les Américains en raison de la crise financière. La chute des cours de la Bourse et la peur de perdre sa maison et son emploi provoquent une flambée de pathologies mentales. “La seule fois où j’ai vu quelque chose d’approchant au cours des vingt dernières années, c’était le pic [de troubles psychiques] qui a suivi le 11 septembre 2001”, confie Richard Chaifetz, le PDG de ComPsych, une société de Chicago qui coordonne les consultations pour troubles men­taux pour le compte des employeurs. “Mais là, les troubles sont plus dispersés géographiquement, et la situation ne va pas s’améliorer en un mois.”
Selon Rich Paul, de ValueOption, une société de Virginie qui organise également des consultations pour troubles mentaux, les appels concernant un stress lié à une saisie immobilière et des difficultés financières ont augmenté de 200 % en un an en Californie. Le Dr Mason Turner, chef du service de psychiatrie du San Francisco Medical Center, indique que les admissions dans son service ont été multipliées par quatre en août et que 60 % des patients imputaient en partie leurs problèmes à l’angoisse financière. “Je suis vidé, j’ai l’impression qu’il me faudrait une injection de vitamine B12 tous les quarts d’heure”, confie Darin Jackson, un verrier originaire du quartier de Moreno Valley, où l’on ne compte plus les maisons saisies.
Pour d’autres, comme Karthik Rajaram, la pression financière paraît insurmontable. Qu’est-ce qui a fait basculer cet homme de 45 ans ? Mystère. Selon ses proches, il avait fait une belle carrière en investissant dans des start-up avant de connaître la crise financière qui l’a conduit à sa perte. Rajaram, sa femme, 39 ans, sa belle-mère, âgée de 69 ans, et ses trois fils, de 7, 12 et 19 ans, semblaient former une famille de la classe moyenne classique. Un ancien associé raconte cependant qu’il avait “des problèmes de comportement” et qu’“il n’était pas stable” émotionnellement. La police n’a trouvé chez lui aucune trace de menace de saisie ni de faillite. L’un des enquêteurs précise cependant que Karthik Rajaram avait “perdu beaucoup d’argent sur les marchés boursiers”. “Il était convaincu qu’il n’avait pas le choix”, confie le capitaine Sean Kane. “C’est dommage, parce qu’il est évident qu’il avait d’autres possibilités.”

Cette crise financière est une grande source de stress

Les taux de dépression et de suicide tendent à augmenter en période de crise économique grave. Selon une étude qui s’est intéressée aux mouvements économiques entre 1972 et 1991, les suicides augmentent en moyenne de 2 % quand l’économie chancelle. Déprimés à cause de leur situation financière, les gens commencent à s’isoler et s’effondrent, explique le Dr Mason Turner. Coupés du réseau de soutien dont ils ont pourtant grand besoin, ils sombrent dans le désespoir. Les suicides de­meurent toutefois rares. Le résultat le plus fréquent, c’est un sentiment de malaise permanent qui nuit au travail et aux relations personnelles.
Selon une étude de l’American Psychological Association (APA) publiée le 7 octobre, huit Américains sur dix déclarent que l’économie est une grande source de stress dans leur vie. Près de la moitié se demandent s’ils vont pouvoir subvenir aux besoins vitaux de leur famille. “Si une personne s’angoisse à propos d’une chose, elle s’angoisse pour tout. Il y a un effet boule de neige”, note la psychologue Elaine Rodino, représentante de l’APA à Santa Monica. Après une décennie d’argent facile et d’augmentation des prix de l’immobilier, nombre de personnes ont eu du mal à faire face à l’éclatement de la bulle financière. Le coup est particulièrement rude pour les immigrés attirés par le rêve américain.
Karthik Rajaram faisait partie d’une minorité modèle qui a réalisé le rêve américain en moins de temps que la plupart des autres vagues d’immigrés, explique Lakshmy Parameswaran, la fondatrice de DAYA, une association de Houston qui aide les victimes de violences domestiques originaires d’Asie du Sud. Cette réussite suscite de grandes espérances, mais génère aussi une énorme pression.

Denise Gellene