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Récit
Rwanda : Paris rouvre le dossier, Kigali menace
Par Maria Malagardis — 25 novembre 2016 à 19:36 (mis à jour le 29
novembre 2016 à 21:22)
Des soldats français en patrouille
croisent une faction hutue des
forces gouvernementales, le 27 juin 1994 au Rwanda. Des soldats
français en patrouille
croisent une faction hutue des forces
gouvernementales, le 27 juin 1994 au Rwanda. Photo Pascal Guyot. AFP
Le Rwanda a annoncé ce mardi l'ouverture d'une enquête sur le rôle de
plusieurs responsables français impliqués dans le génocide de 1994. En
représailles à la décision d’un juge de retarder la clôture de l’enquête.
* Rwanda : Paris rouvre le dossier, Kigali menace
[Edit mardi à 21h20 : les autorités rwandaises ont annoncé
l'ouverture d’une enquête sur le rôle de vingt responsables français
dans le génocide de 1994]
C’est un tweet parmi d’autres. Il est signé Alain Juppé et daté du
1^er avril. Mais il n’a rien d’une bonne blague : «Faire procès à la
France de porter une part de responsabilité dans le génocide au Rwanda
est une honte et une falsification historique», s’énerve le finaliste
de la primaire de la droite. Il faut reconnaître à Juppé une certaine
constance. Depuis 1994, celui qui était alors le ministre des Affaires
étrangères du gouvernement de cohabitation de François Mitterrand n’a
jamais varié d’un pouce : la France n’a rien à voir dans ce génocide
qui a fait en cent jours plus de 800 000 morts au Rwanda. Elle peut
même s’enorgueillir d’avoir été le seul pays étranger à intervenir via
l’opération «Turquoise» déclenchée fin juin 1994. Et peu importe que
Turquoise, opération très tardive, ait permis d’exfiltrer la plupart
des responsables du génocide quand ils ont perdu le contrôle du pays.
On a beau se sentir «droit dans ses bottes», un tel déni peut toujours
vous revenir en boomerang, lorsque les fantômes se réveillent. Les
autorités rwandaises ont annoncé récemment leur intention de rafraîchir
la mémoire de ceux qui étaient aux commandes à Paris en 1994.
Charmante lettre de remerciement
Alain Juppé se souvient certainement de ce 27 avril 1994, lorsqu’il fut
le seul ministre occidental des Affaires étrangères à accepter de
recevoir deux représentants du gouvernement rwandais, qui orchestrait
au même moment les massacres. L’un des deux visiteurs du Quai d’Orsay
ce jour-là était l’un des fondateurs de la sinistre radio des Mille
Collines, qui appelait la population hutue à «redoubler d’ardeur» pour
exterminer «les cafards», comme les extrémistes hutus désignaient alors
les membres de la minorité tutsie.
Juppé est loin d’être le seul à se compromettre à l’époque : Mitterrand
lui-même recevra une charmante lettre de remerciement du chef du
gouvernement génocidaire «pour tout ce que vous avez fait jusqu’à ce
jour», écrit Théodore Sindikubwabo mi-mai 1994. Et quelques jours
auparavant, le 9 mai, c’est le général Jean-Pierre Huchon qui recevait
au ministère de la Coopération un haut gradé de l’armée rwandaise,
auquel il prodigue des conseils de com pour «retourner l’opinion
internationale», consignera l’officier rwandais dans son rapport de
mission.
En réalité, on pourrait multiplier les exemples de ces liaisons
dangereuses qui remontent à 1990, quand la France s’engage au Rwanda et
s’aveugle sur la dérive raciste d’un régime ami. Obsédé par
la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR) qui combat le
régime en place, Paris va se fourvoyer aux côtés d’un pouvoir qui
prétend représenter «la majorité hutue» mais se réduit en réalité à un
clan. Lequel va s’engager dans une véritable fuite en avant, jusqu’au
génocide. Or, au grand dam de Paris, c’est le FPR et son chef, Paul
Kagame, qui vont finalement gagner la guerre et vaincre le régime
génocidaire. Le FPR est aujourd’hui toujours aux commandes à Kigali, et
Kagame le président du pays. Depuis, le Rwanda reste pour la France
comme «le sparadrap du capitaine Haddock», selon la formule judicieuse
d’un éditorialiste de l’hebdo Jeune Afrique : à chaque fois qu’on veut
oublier le passé, il resurgit et provoque un nouveau regain de tensions
entre les deux pays.
Il y a une dizaine de jours, la ministre des Affaires étrangères
du Rwanda, Louise Mushikiwabo, a ainsi menacé Paris de divulguer une
liste de hauts responsables politiques et militaires français
impliqués, selon Kigali, dans le génocide. Ce n’est pas la première
fois que les autorités rwandaises accusent nommément des officiels
français d’avoir collaboré avec les forces génocidaires. Et cette
fois-ci encore, c’est la justice française qui provoque ce nouveau
risque de déballage.
Summum de manipulations
A Kigali, on n’a guère apprécié en effet le nouveau report de la
clôture d’une instruction judiciaire sur l’attentat contre l’avion de
Juvénal Habyarimana. Pour mémoire, les deux missiles qui détruisent
l’avion présidentiel le 6 avril 1994 vont plonger le Rwanda dans les
ténèbres : les Tutsis sont tout de suite accusés d’être responsables de
l’attentat. Une sorte d’«incendie du Reichstag» à l’africaine en
réalité, comme le confirmeront, on le sait aujourd’hui, les toutes
premières notes des services secrets français en 1994, qui soupçonnent
les extrémistes hutus d’avoir tué le chef avant qu’il ne cède au
partage du pouvoir.
Mais curieusement, l’instruction judiciaire française ouverte en 1998
et confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière prendra une
direction opposée : sans jamais se rendre au Rwanda, où la carcasse de
l’avion est toujours sur place, ce magistrat va inculper, huit ans plus
tard, neuf hauts responsables du FPR. Hypothèse monstrueuse, qui ferait
des libérateurs du génocide les chefs d’orchestre de l’extermination de
leurs proches.
En réalité, l’enquête du juge Bruguière apparaît comme un summum de
manipulations, qui mériterait d’être étudié dans les facs de droit. Le
magistrat a entendu une demi-douzaine de transfuges du FPR en rupture
de ban, qui se contrediront les uns les autres, seront parfois laissés
en liberté alors qu’ils s’accusent de faire partie des auteurs du crash
et qui se dédiront pour la plupart par la suite. Pour les auditionner,
le juge recrute un interprète singulier : un ancien espion du régime
Habyarimana, lié aux cercles extrémistes hutus. Le juge aura aussi
recours aux bons services d’un ancien barbouze français, Paul Barril,
auteur de multiples faux coups médiatiques sur cet attentat et qui se
trouve aujourd’hui sous le coup d’une instruction du pôle génocide du
tribunal de grande instance de Paris pour son implication aux côtés des
forces génocidaires en 1994.
Après le départ de Bruguière, nouveau virage à 180 degrés : son
successeur, Marc Trévidic, se rend au Rwanda, réalise enfin une enquête
balistique et conclut que les tirs qui ont abattu l’avion sont partis
du camp de la garde présidentielle, où les extrémistes hutus avaient
plus de chance de circuler que les rebelles FPR. A défaut de désigner
les coupables, on s’achemine vers un non-lieu pour les neuf accusés de
l’ordonnance Bruguière. En janvier 2016, à l’issue des trois mois
réglementaires pour s’y opposer, il semble inévitable.
«Parole contre parole»
Sauf que sans que rien ne l’y oblige, le juge Herbaut, qui a succédé à
Trévidic, va rouvrir le dossier pour entendre un ancien proche du
pouvoir rwandais qui a pourtant toujours fait faux bond à la justice :
Faustin Kayumba Nyamwasa, ex-chef des services de renseignements
rwandais, aujourd’hui opposant farouche à Kagame, qu’il accuse d’avoir
tenté de l’assassiner, et réfugié en Afrique du Sud. Que veut donc dire
ce témoin, qui depuis qu’il est entré en dissidence en 2010 annonce des
révélations fracassantes, sans jamais y donner de suite ? D’après sa
déposition devant notaire en Afrique du Sud, l’ancien officier affirme
avoir appris le soir de l’attentat, par une confidence à lui seul
divulguée, que trois hauts responsables du FPR, dont Kagame, seraient
les auteurs de l’attentat. Et c’est tout.
Un «parole contre parole» qui risque de ne pas faire beaucoup avancer
la vérité. Et encore faudrait-il que Pretoria, qui vient d’annoncer son
intention de quitter la Cour pénale internationale, accepte cette
fois-ci la commission rogatoire française qui court depuis 2012. Reste
qu’en acceptant d’entendre ce témoin, dont l’avocate est aussi celle de
l’ancien chef d’état-major de Mitterrand en 1994, le juge Herbaut a
peut-être rouvert la boîte de Pandore d’un drame qui concerne aussi le
rôle de la France dans un petit pays d’Afrique.
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