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    Phoque

    «Voyage» au bout de l’Inuit

    Par Luc Chessel

    Sébastien Betbeder s’amuse de deux idiots en périple au Groenland.

    Thomas Blanchard et Thomas Scimeca, une rencontre placée sous le signe de la maladresse.
    Thomas Blanchard et Thomas Scimeca, une rencontre placée sous le signe de la maladresse. Photo UFO Distribution

    Le cinéma, c’est drôle, ne change pas beaucoup. Il est resté ce qu’il a été, le lieu d’un petit nombre de problèmes (ou mieux : la comédie de ces problèmes) que chaque film rejoue ou reformule. On sait depuis le Nanouk l’esquimau de Robert Flaherty que l’une de ces questions ne se pose avec toute sa force qu’en langue esquimaude, ou en code morse. La scène de la chasse au phoque chez les Inuits canadiens de 1922 a donné lieu à l’une de ses formulations exemplaires, qui veut qu’«il serait inconcevable que [cette] scène ne nous montre pas, dans le même plan, le chasseur, le trou, puis le phoque. Mais il n’importe nullement que le reste de la séquence soit découpé au gré du metteur en scène. Il faut seulement que l’unité spatiale de l’événement soit respectée au moment où sa rupture transformerait sa réalité en sa simple représentation imaginaire». Dans le voisinage du trio du chasseur, du trou et du phoque (leur relation autant que ses alentours) se jouait, pour le critique André Bazin, la base conflictuelle du discours cinématographique : la rencontre, sur une table de montage, de la fable et du direct, de la fiction et de l’accès, de la rupture et de l’unité, etc. La scène de chasse au phoque du Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder ne déroge pas à cette base, au contraire, elle joue le jeu à fond. Le film parvient ainsi à ses fins - être une bonne comédie - en devenant la comédie de ce jeu et de ce problème, une comédie du cinéma.

    Binôme. Deux comédiens, Thomas (Thomas Blanchard) et Thomas (Thomas Scimeca), arrivent dans un petit village du Groenland pour rendre visite au père du premier, qui y vit, et à ses amis. Autant ne pas trop raconter ici leurs aventures. Mais Thomas et Thomas sont deux idiots dans la grande tradition de cette figure en binôme, qui a déjà ses stupides lettres de noblesse. Toute rencontre sera donc placée sous le signe de la maladresse. Ils sont aussi comédiens, et français, ce sont donc des intermittents. L’intermittence donne lieu à une bonne blague bien littérale. Pour conserver leur statut, ils se retrouvent à la merci de la connexion internet de ce petit village du Groenland : une connexion pour le moins intermittente. Or, l’intermittence n’est-elle pas une figure intermédiaire (et plus contemporaine) entre l’unité et la rupture ? Le jeu néo-Nanoukien du Voyage au Groenland semble bien résider quelque part par là, dans ce paradoxe : deux comédiens qui chassent le phoque chez les Inuits selon la plus stricte tradition documentaire. De façon générale, le film tente de renverser les positions : les deux Thomas sont des objets documentaires (des acteurs), et les villageois filmés dans leur vie quotidienne sont des sujets de fiction (des gens).

    Expérience. Mais le film ne s’arrête pas là, puisqu’en bonne comédie, il ne va nulle part : nulle part ailleurs que là où il était au départ. Les deux Thomas ne se «connaîtront» pas mieux eux-mêmes, pas plus qu’ils ne se connaîtront mieux «avec» les autres (avec le père et les amis du père). Simplement, tout le monde se fréquente, à sa façon intermittente, dans ou sur le même plan. Ce Voyage formule des doutes sur la notion d’expérience, qui a été vaguement réactivée par les publicités pour nos téléphones-caméras, comme archives de la vie intense. Et ces doutes rejaillissent sur la notion de comédien, corps dépositaire d’un reste de «montage interdit» à la Bazin quand il doit goûter dans un plan à du foie de phoque cru encore fumant, mais pas beaucoup plus. Concluons : une expérience déjantée servie par des comédiens formidables.

    Luc Chessel

    Le Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca… 1 h 38.

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