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    Portrait

    Hajime Tabata : Boss final

    Par Erwan Cario (mis à jour à )
    Photo Jérôme Bonnet

    Ce concepteur de jeux vidéo japonais a repris en main l’historique série «Final Fantasy».

    Il a le sourire facile et le rire franc, communicatif. Et ce, malgré le cadre très formel de la rencontre qui se tient dans une salle de réunion impersonnelle des locaux de Square Enix à Levallois-Perret, en présence de l’indispensable traducteur. Hajime Tabata respire même une sincérité plutôt désarmante pour celui qui, depuis des années, a repris le rôle de leader et d’incarnation médiatique d’une des sagas les plus emblématiques du jeu vidéo, Final Fantasy, dont le quinzième épisode majeur est sorti mardi. Même si Hajime Tabata ne rechigne jamais à accorder de longs entretiens pour la presse spécialisée, l’exercice d’aujourd’hui semble pour lui inédit. Il se prête au jeu du portrait pour un quotidien français comme s’il s’agissait d’un rituel initiatique auquel ses aînés, les créateurs reconnus du jeu vidéo, auraient eu à se plier avant lui. Il s’y est préparé et semble d’emblée désarçonné par notre apparence vestimentaire : «Quand on m’a dit qu’un journaliste allait m’interviewer, je pensais voir quelqu’un en cravate. Mais je suis content, je suis plus à l’aise comme ça. Moi-même, je n’en mets jamais. Par contre, au Japon, c’est très rare, les gens comme vous.» On le saura pour la prochaine fois.

    Mais plus que la sincérité, c’est l’humilité presque maladive du personnage qui interroge. Quand on commence par aborder sa jeunesse, passée à Morioka, une petite ville de 200 000 habitants tout au nord du Japon, il s’excuse d’emblée de ne pas pouvoir évoquer une enfance bercée par des influences culturelles prestigieuses. «Je ne vais pas vous faire une réponse très classe comme les autres créateurs. Moi, j’étais surtout un passionné de sport.» Même chose quand on parle du moment où, jeune adulte, il décide d’aller s’installer à Tokyo : «Je sais que c’est un peu superficiel, mais je ne me suis pas trop posé de question. C’est juste le rêve d’un campagnard qui voulait voir la capitale.» Et toujours avec la même volonté de ne pas entrer dans la légende, il raconte avoir hésité, au moment d’entrer dans la vie professionnelle, entre le jeu vidéo et les nouilles instantanées : «Je voulais travailler dans quelque chose que j’aimais.»

    La modestie n’est pas fausse, mais on se rend vite compte que son origine est particulière. Hajime Tabata est obsédé par ce qu’il appelle «les échelles de puissance», comprendre le classement des individus selon l’étendue de leur talent dans leur discipline. «Je faisais des championnats de ski quand j’étais jeune, se souvient-il, et je participais aux rencontres régionales. J’étais très fort et très rapide, mais je n’ai jamais réussi à battre le champion régional. Et ce dernier n’a jamais réussi à être champion national. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il y a toujours plus fort que soi. On a beau monter, il y a toujours quelqu’un au-dessus.» Et cette échelle de puissance, Hajime Tabata n’a eu de cesse de la grimper, barreau après barreau, pour arriver, si Final Fantasy XV tient ses promesses, aux portes du Hall of Fame des créateurs de jeux vidéo. Est-il tout en haut ? «Ne me dites pas ça, il y a forcément mieux que moi. Et puis ce n’est pas moi qui ai créé Final Fantasy, c’est M. Sakaguchi. Et le fait de me faire faire un portrait comme le vôtre aujourd’hui, eh bien je ressens un peu ce qu’il a dû ressentir lorsqu’il est devenu quelqu’un d’important dans le monde du divertissement. Ça me fait très plaisir de goûter à ça.»

    Tabata est en fait le héros d’un manga shonen, façon Dragon Ball Z ou Naruto. Ces albums pour garçons mettent en scène un personnage doté de capacités hors norme (mais qui ne le sait pas forcément) qui ne cesse de relever des défis pour devenir de plus en plus fortiche et avancer dans sa quête d’absolu. Le premier tome de ses aventures raconterait sa jeunesse puis son arrivée chez Tecmo («Ce sont les premiers à m’avoir proposé un poste, alors j’ai accepté») en tant qu’assistant, où il découvre toutes les facettes de la conception des jeux vidéo en travaillant sur une adaptation du manga Olive et Tom. La deuxième partie, c’est la survenue de PlayStation qui, avec sa 3D, met sur un plan d’égalité tous les créateurs, les novices comme les expérimentés. Tabata en profite pour poursuivre son ascension : «Dès les premiers développements auxquels j’ai participé, je me suis dit que j’aimerais bien devenir réalisateur. Je pense que c’est dans mon caractère, que j’aime construire une équipe et qu’ensemble, on fonce dans le tas.» Encore un des lieux communs des mangas shonen, le héros se bat rarement seul.

    Suit l’épisode, en 2003, du transfert chez Square au moment même de la fusion avec Enix, autre acteur majeur du jeu vidéo japonais. Tabata y fait d’abord ses armes sur des jeux pour les téléphones portables, avant de prendre en charge des développements pour la PSP, la console portable de Sony. Chez Square, le jeu pour portable est loin d’avoir les mêmes lettres de noblesse que ceux réalisés pour console de salon, comme les grands Final Fantasy. Mais Tabata s’en sort bien, très bien même. En 2011, alors qu’il visite les lotissements bâtis en urgence pour reloger les habitants sinistrés par le tsunami, il parle avec beaucoup de jeunes qui attendent avec impatience ses nouvelles créations pour pouvoir s’évader de leur quotidien : «Quand on travaille dans le divertissement, c’est incroyable de se rendre compte de la responsabilité qu’on peut avoir vis-à-vis du public.» Aventure suivante, il relance un énorme projet en chantier depuis 2006 : Final Fantasy versus XIII,alors rebaptisé Final Fantasy XV. D’abord en tant que coréalisateur puis, en 2014, seul aux commandes. Un barreau de plus. Le plus important, sans doute.

    Un héros doit toujours faire des sacrifices, et celui concédé par Hajime Tabata est sans doute sa vie personnelle. Marié depuis dix ans, il a une petite fille de 7 ans. «Même si je fais des efforts, je passe quand même plus de temps au travail qu’avec ma famille. » Mais il se refuse à en faire une fatalité japonaise, à considérer cette situation comme normale au regard de ses responsabilités. «Je fais en sorte que pour tout le monde ça ne paraisse pas naturel, que ce ne soit pas une évidence. Ça vaut aussi pour moi, bien sûr. Je me montre reconnaissant chaque jour pour ce que ma femme et ma fille m’offrent, cette possibilité d’aller au bureau avec le sourire.» Le chapitre de sa vie qu’Hajime Tabata est en train d’écrire en ce moment est d’un suspense insoutenable. Sous sa direction, Final Fantasy va-t-il revenir sur le devant de la scène ludique mondiale ? Qu’il atteigne cet objectif ou non, une chose est certaine : il trouvera très vite une nouvelle montagne à gravir.

    5 mai 1971 Naissance dans la préfecture d’Iwata, au Japon. 2003 Embauché chez Square Enix. 30 décembre 2008 Naissance de sa fille. 29 novembre 2016 Sortie de Final Fantasy XV.

    Erwan Cario
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