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Le cupide, le politisé, le satiriste raté… ceux qui se cachent derrière les fausses infos sur Facebook

Les articles mensongers, à l’audience boostée par les réseaux, ne le sont pas tous pour les mêmes raisons.

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Une partie de la presse accuse Facebook de laissé se propager de fausses informations.

Depuis la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine, Facebook est accusé par une partie de la presse d’avoir laissé se propager des « fake news », de fausses informations, entièrement ou partiellement inventées.

Des articles, rédigés par des sites, des blogs ou même des individus souvent engagés en faveur de Donald Trump, surfent sur le sensationnalisme mécaniquement favorisé par les réseaux sociaux : plus c’est extrême, plus on le partage, parfois sans même le lire ou savoir d’où ça vient, si ça colle avec nos idées préconçues. Plus on partage, plus le site en question génère du trafic, donc de l’argent.

La portée et l’impact concret de ces fausses informations sont difficiles à évaluer. Mais il est indéniable que ces sites qui vivent de ces fausses informations ont explosé avec la campagne présidentielle américaine, se mêlant dans le paysage médiatique à la presse d’extrême droite et aux sites résolument satiriques sur les murs Facebook américains. Dans ce large spectre de la fausse information, tout le monde n’écrit pas des mensonges pour les mêmes raisons.

La chercheuse en communication Melissa Zimdars a établi une typologie des sources de fausses informations et en définit au moins trois sortes : ceux qui veulent l’argent du clic, ceux qui cherchent à avancer leur point de vue politique et ceux qui font des blagues. On ajoutera une quatrième catégorie, ceux qui disent des mensonges en ligne sans s’en rendre compte, ou sans en avoir grand-chose à faire.

Celui qui veut gagner des millions : le filon rétributeur des « pièges à clics »

Une évidence s’est rapidement imposé depuis le début de l’année. Les « contenus » qui tendent à défendre Donald Trump, même quand ils sont complètement faux, ont un succès fou sur Facebook. Les deux auteurs derrière le site « piège à clics » LibertyWritersNews l’ont bien compris. Le Washington Post leur consacre un long portrait. Ils ne sont pas républicains. L’immense majorité des « infos » qu’ils produisent sont délibérément fausses et jamais sourcées.

Pour ces deux hommes, qui ne se considèrent pas du tout comme journalistes, les articles sont un produit à vendre. L’important est de « nourrir » l’audience de ce qu’elle aime le plus : des propos rageurs contre Barack Obama, la mondialisation ou Megyn Kelly, des louanges pour Trump, Dieu et le « patriotisme ». Des titres qui font peur, comme « les terroristes veulent infiltrer le gouvernement américain ».

N’importe qui peut écrire des articles courts, souvent écrits dans un anglais très simple. Dès lors, dans une logique purement financière, la prochaine étape est la délocalisation de ces plateformes de fake news à l’étranger ? Selon une enquête menée en août par le Guardian, les habitants de Veles, ville de 45 000 habitants en Macédoine, ont créé entre cent et cent cinquante sites sur la politique américaine en 2016 (dont une centaine est actifs, selon Buzzfeed).

Violemment pro-Trump, ces sites inconnus ont constitué une force de frappe conséquente sur Facebook en reprenant les codes des sites conservateurs américains. Sauf que ceux qui les animent sont à presque huit mille kilomètres de Washington.

Pour les post-adolescents de Veles interrogés par Buzzfeed, c’est d’abord une « façon simple de gagner de l’argent », même si le fondateur de l’un de ces sites, interrogé par le Guardian, se voit dans le rôle « d’influenceur » de la vie politique américaine. La façon de créer des contenus diffère peu d’un site à l’autre : repérer un thème sur un site conservateur, improviser un petit texte à partir de l’information (qui peut elle-même être fausse, pas grave) et ajouter un titre racoleur. Le but n’est pas fondamentalement politique, et encore moins d’informer. C’est de faire du clic.

Celui qui voit l’intox comme une arme politique

Stephen Bannon, directeur exécutif de la campagne présidentielle de Donald Trump à New York, le 20 août.

Dans la cacophonie d’une info de plus en plus partisane en ligne, ces machines à sous numériques ont une source d’inspiration principale : la presse conservatrice américaine. A une différence près : cette presse se considère comme du journalisme, fût-il très engagé à droite.

C’est le cas de Breitbart News, site fondé par le polémiste Andrew Breitbart (mort en 2012) que son patron, Stephen Bannon, a mis au service de la candidature de Donald Trump. Avec 37 millions de visiteurs uniques en octobre, Breitbart News fonctionne sous le modèle extrême des tabloïds britanniques, diffusant des articles incendiaires, misogynes et souvent racistes, faisant travailler tout ce que l’extrême droite compte comme provocateurs.

Bloomberg a décrit Breitbart News comme un repaire pour ceux qui trouvent que Fox News est devenue « trop polie et dans la retenue ». Comme le rappelle Vice, après la victoire de Trump, l’une des analyses les plus partagées de Breitbart était titrée « Donald Trump a gagné 7,5 millions de voix, raz-de-marée dans le cœur du pays ». L’article contenait de fausses informations et une fausse carte du pays.

Invité dans un panel de CNN consacré à Stephen Bannon, désormais conseiller stratégique de Trump, Joel Pollack, un membre de la rédaction, revendique clairement une démarche journalistique malgré les exagérations que certains appelleraient mensonges partisans :

« Il me semble important de faire une distinction entre couvrir quelque chose et défendre quelque chose. (…) Expliquer l’alt-right, ce n’est pas la défendre. (…) C’est du journalisme, pas de la défense ou de la promotion. »

Celui qui se moque : les sites satiriques pris dans le grand brouhaha du mensonge en ligne

L’emballement des fausses informations, dont les audiences sont gonflées par l’exposition sur Facebook, finit par créer une sorte de grand brouhaha sur les murs Facebook ou les « feed » Twitter, où il n’est plus possible de distinguer en un coup d’œil le mensonge partisan du canular. Dans un environnement où le temps d’attention est minime, la prise de connaissance d’une info dépend moins de sa source que de la personne qui la partage.

Vos amis, en qui vous avez confiance, la partagent. Le président-élu des Etats-Unis la partage. Autant de relais qui donnent à n’importe quelle info une couche de véracité à une époque où la confiance dans les médias dits « traditionnels » s’est effondrée.

Exemple : le site satirique RealNewsRightNow a publié par exemple le chiffre de « 250 000 réfugiés syriens » qui seraient « accueillis dans les réserves indiennes de Standing Rock et de Navajo ». L’info est complètement fausse, mais le chiffre, lui, a fait son chemin jusque dans un discours de Donald Trump.

Son auteur, interrogé par le Guardian, n’en revenait pas. Il travaille dans l’hôtellerie à Washington. Le peu d’argent qu’il gagne en revenus publicitaires est réinjecté immédiatement dans son site, qu’il maintient donc surtout pour le plaisir d’écrire des blagues. Le problème est que personne ne connaît sa « marque », contrairement à d’autres sites célèbres comme The Onion ou, de ce côté-ci de l’Atlantique, Le Gorafi.

Un autre exemple est Paul Horner, « un imprésario de l’empire des fake news de Facebook ». Lui aussi a compris en 2016 que quelque chose ne tournait pas rond : les partisans de Trump se sont mis à reprendre ses sites : « Ils postaient tout, croyaient tout, ne vérifiaient rien. »

Sur Big Browser :   Le constat d’un auteur de fausses infos sur Facebook : « Personne ne vérifie. C’est effrayant »

Celui qui ne fait pas exprès : Monsieur Tout-le-monde dans le grand bain de Twitter

Dernier cas de figure, l’auteur de « fake news malgré lui ». Eric Tucker, un Texan de 35 ans, fondateur d’une entreprise de marketing qui poste sur Twitter, le 9 novembre, une image de plusieurs bus censés avoir acheminé les « manifestants anti-Trump ». Sauf que les bus avaient acheminé les participants à une conférence qui devait se tenir dans la ville d’Austin, et non des manifestants.

L’information devient virale. M. Tucker est le cas typique de la « fausse info malgré soi ». Disposant de peu de followers sur Twitter, il se considère comme un citoyen lambda, dont les propos ne sauraient toucher une si large audience. « Je suis un homme d’affaires très occupé. Je n’ai pas le temps de fact-checker tout ce que je mets en ligne. » Dont acte.

Dans l’ensemble des erreurs factuelles, intox, mensonges et canulars qui plombent Internet, il reste cependant un espoir, comme nous l’apprend le site NewsBiscuit :

« Des explosions de joies partout dans le monde après la révélation du fait que des informations mensongères ont circulé sur Facebook. (…) Comme nous l’avions supposé dès le départ, le public américain n’a jamais été assez bête pour voter Donald Trump ni les Britanniques pour voter la sortie de l’Union européenne.
Et de nombreuses célébrités aimées de tous sont encore en vie. Certains analystes ont insinué que les informations contenues dans cet article sont fausses. Ce qui, évidemment, n’est pas vrai. »

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