Utopie électrique
Apparemment, les énergies renouvelables sont en train de gagner le match. L'an dernier, les investissements mondiaux dans le solaire, l'éolien et les autres énergies vertes ont atteint 240 milliards de dollars, contre à peine 10 milliards dans le nucléaire. Les prix de l'électricité venue du vent et du soleil ne cessant de diminuer, ils peuvent aller jusqu'à devenir compétitifs sans la moindre subvention - ce qui semblait impossible il y a une décennie. Les énergéticiens comme Engie se reconvertissent à grande vitesse. Et le verdissement gagne du terrain un peu partout dans le monde. En Chine comme en Inde, le vent a produit l'an dernier davantage de watts que la fission nucléaire.
Cette montée en puissance va, bien sûr, dans le bon sens. Mieux vaut une production propre à partir d'une ressource illimitée qu'une production sale avec un produit condamné à l'épuisement. Mais il serait dangereux d'abandonner pour autant tout calcul économique, toute vision d'ensemble, toute lucidité. Les affichages en « capacités installées " et en « couverture des besoins », aujourd'hui privilégiés par beaucoup d'acteurs du secteur qui veulent verdir leur image, sont au mieux trompeurs, au pis périlleux. Car une majorité des énergies alternatives sont pour l'instant des énergies intermittentes. Le vent peut fabriquer de l'électricité pendant 15 à 25 % du temps, le soleil pendant 10 à 15 %. Or nos sociétés modernes ne sont aujourd'hui pas prêtes à vivre avec des énergies à éclipses. Accepteriez-vous que l'ascenseur s'arrête parce que les nuages arrivent ? Ou d'attendre un coup de vent pour recharger votre voiture électrique, sans savoir s'il viendra demain ou dans dix jours ? Pour éviter ces ruptures, il y a trois solutions. La première est de choisir les énergies renouvelables « souples " comme l'hydroélectricité, mais les capacités sont limitées - deux jours par an de production en France. La deuxième possibilité est de doubler les installations vertes par des centrales à gaz ou à charbon, mais c'est sale et coûteux - ce n'est pas un hasard si les pays européens les plus équipés en éolien et solaire sont ceux où l'électricité coûte le plus cher, et souvent ceux qui émettent le plus de CO2 par kilowatt. La troisième possibilité est de stocker l'énergie produite - mais on ne sait pas encore le faire à grande échelle à des coûts supportables. Investir massivement dans les énergies renouvelables, c'est bien. Organiser un mix énergétique acceptable à la fois sur le plan économique, social et climatique, c'est mieux. Cela suppose du renouvelable, du nucléaire, du gaz, de la recherche - et une réflexion stratégique qui manque singulièrement aujourd'hui.