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    Affrontement

    Homme-machine : partie d’égo

    Par Eva John, Correspondante à Séoul
    Homme-machine : partie d’égo
    Homme-machine : partie d’égo

    Depuis ce mercredi, et pendant une semaine, un programme créé par Google affronte le meilleur joueur de go du monde, après avoir écrasé le champion d’Europe.

    «C’est un grand jour pour l’humanité. L’intelligence artificielle va rendre les hommes plus intelligents et le monde meilleur.» Sous le crépitement des flashs des photographes, le président exécutif de Google, Eric Schmidt, a sorti le grand jeu. Dans la salle comble d’un grand hôtel de Séoul, les journalistes du monde entier sont venus par centaines pour couvrir la plus grande rencontre entre l’homme et la machine depuis la victoire de Deep Blue contre Garry Kasparov, il y a dix-neuf ans. «On n’a peut-être pas vu assez grand», s’inquiète un organisateur. Le jeu de go, originaire de Chine et vieux de trois mille ans, avait jusqu’ici résisté aux algorithmes toujours plus puissants des ordinateurs. Mais en octobre, le programme AlphaGo, développé par DeepMind, une filiale de Google, a battu à plate couture le champion d’Europe. Cinq manches à zéro. Et depuis 5 heures ce mercredi matin (heure française), cette «IA» se frotte à un adversaire d’un autre calibre : le Sud-Coréen Lee Sedol, considéré comme le meilleur joueur du monde de ces dix dernières années.

    La machine…

    Le but du go, qui se joue avec des «pierres» noires et blanches sur un plateau quadrillé, est de contrôler un maximum de territoires. Si ses règles de base sont simples, il se révèle extrêmement complexe à maîtriser car il ouvre la voie à un nombre quasi infini de possibilités (lire ci-contre). En développant le premier algorithme capable de battre un joueur professionnel à jeu égal (c’est-à-dire sans handicap), l’entreprise DeepMind a créé la surprise, coiffant au poteau ses concurrents, parmi lesquels Facebook. Avec ce pas de géant, les ingénieurs informaticiens de chez Google ont amené l’intelligence artificielle à un niveau jamais égalé : «Flexible, adaptative, inventive, elle est capable d’apprendre à partir de données brutes», commente sobrement Demis Hassabis, cofondateur de DeepMind.

    … contre l’humain

    Lee Sedol, prodige de 32 ans à la voix anormalement haut perchée après des problèmes de santé apparus à l’adolescence, semble avoir été prédestiné pour jouer au go. Son nom signifie en effet «pierre du monde» en coréen. «Son style est intuitif et imprévisible. Il sait créer des situations compliquées puis s’en sortir grâce à sa capacité d’analyse», commente Lee Hajin, secrétaire générale de la Fédération internationale de go. Passé professionnel à 12 ans et désormais 9e dan, le plus haut niveau dans la discipline, il fait la fierté de son peuple, et ce malgré une confiance en soi qui friserait parfois l’arrogance, de l’avis de nombreux Coréens. Mais après s’être montré très sûr de lui quand le match a été annoncé pour la première fois, il s’est révélé un peu moins confiant à la veille du jour J, allant même jusqu’à s’avouer nerveux. Sans pour autant douter de sa victoire : «Je me dis maintenant que je ne vais pas forcément l’emporter 5 à 0», plaisantait-il mardi.

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    Les pronostics

    AlphaGo, lui, «ne se fatiguera pas et ne se laissera pas intimider», comme l’a malicieusement souligné Hassabis lors de leur conférence conjointe. La machine ne connaît ni la peur ni le doute. Ce qui pourrait pécher, en revanche, du côté de l’algorithme : l’intuition, un élément crucial du jeu de go. C’est ce qui avait jusqu’ici sauvé l’humain contre la machine, et c’est ce qui sauvera peut-être Lee Sedol contre AlphaGo. Si les paris sont difficiles à tenir, c’est parce que l’équation comporte une grande inconnue : quels progrès les programmeurs ont-ils réussi à accomplir depuis la victoire d’AlphaGo à Londres en octobre (lire ci-contre) ? Mais au jeu des pronostics, le champion humain semble a priori donné gagnant. «L’ordinateur ne maîtrise pas encore toutes les subtilités du jeu. Les joueurs professionnels repèrent le style, les capacités de leur adversaire, ils sont conscients de la situation présente tout en étant capables d’anticiper les crises. Ils construisent leur stratégie en prenant en compte l’influence que peut avoir un coup sur l’ensemble du plateau. Autant de compétences que l’ordinateur n’a pas encore, malgré sa vitesse exceptionnelle et ses capacités d’analyse et de traitement des données», estime Jeong Soo-hyun, 9e dan professionnel et directeur du département des études du jeu de go au sein de l’université Myongji. Situé en banlieue de Séoul, ce département retient chaque année, via un examen particulièrement sélectif, une trentaine d’étudiants passionnés. Les débouchés ? L’enseignement, ou encore des postes au sein de Baduk TV (la chaîne entièrement dédiée au jeu de go), ou des postes de développeurs de sites et d’applications de jeu de go sur smartphone. «On recale même des joueurs professionnels», précise fièrement Jeong.

    La Corée derrière son champion

    Si le match, retransmis en direct sur le Web, va être suivi par les spécialistes et curieux du monde entier, il a une résonance particulière en Corée du Sud. Le pays, qui compte près de 8 millions de joueurs sur 50 millions d’habitants, s’apprête à vibrer, pendant une semaine derrière son champion. A commencer par les anciens, comme monsieur Yoon, septuagénaire membre d’un club de go, persuadé que Lee Sedol ne fera qu’une bouchée de la machine. Et si les jeunes générations ont tendance à préférer Candy Crush ou World of Warcraft au «baduk» (le go en coréen), de nombreuses écoles primaires proposent encore le go comme option facultative. Il est également au centre d’une bande dessinée à succès adaptée en série télévisée : Misaeng raconte l’histoire d’un jeune joueur qui abandonne son rêve de devenir professionnel et commence un stage dans une grande entreprise. Le scénario multiplie les analogies entre la vie de bureau en Corée et un match de go.

    Historiquement réservé aux nobles et aux intellectuels, ce loisir a été adopté par le plus grand nombre à l’ère moderne. Et s’il est communément admis que c’est en Chine qu’il est né, il n’est pas rare qu’un Coréen précise, à l’instar de Jeong Soo-hyun, «qu’il n’y a pas vraiment de preuve à cela». Régulièrement, ce professeur est invité par de grands groupes comme Samsung et LG pour y donner des conférences sur l’utilité du go dans la gestion d’entreprise. «Le go influence tous les pans de notre société ! Même notre langue quotidienne, notamment celle des médias, lui emprunte de nombreux termes», fait remarquer Jeong.

    Les enjeux de l’«IA»

    Que se jouera-t-il réellement au cours de cette partie en cinq manches ? «La fierté des joueurs professionnels !» estime Daniela Trinks, collègue de M. Jeong à l’université Myongji. En jeu également : un million de dollars (900 000 euros), que Google reversera à des œuvres caritatives en cas de victoire. Mais les enjeux dépassent largement le cadre sportif. Même si AlphaGo ne remportait qu’une seule manche, l’événement serait historique en matière d’intelligence artificielle. Et Google ne compte par s’arrêter là : «Les jeux, que ce soit le go ou les jeux vidéo, constituent pour nous un terrain d’entraînement idéal pour nos algorithmes d’intelligence artificielle. Ces derniers visent, à terme, à s’appliquer au quotidien, aux domaines de la santé, de la robotique ou des objets intelligents. Ou plus généralement, à tous les secteurs qui ont recours à de nombreuses données et nécessitent une prise de décision», annonce Demis Hassabis. Une perspective qui ne va pas sans soulever des inquiétudes, même dans une Corée friande de nouvelles technologies. Google, qui assure que l’intelligence artificielle est «à des décennies» d’atteindre la fameuse «singularité» en dépassant l’intelligence humaine, estime qu’il reviendra à la société «d’utiliser ces technologies avec responsabilité». D’ici là, précise Hassabis, il faudra voir s’il existe une limite au développement d’AlphaGo. «Pour l’instant, nous n’en avons pas rencontré.»

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    Eva John Correspondante à Séoul
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