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"Le jour où j'ai failli adopter"
Par Véronique Houguet
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Après sa rupture, Floriane, 33 ans, se lance un défi. Un nouvel amoureux, un
nouveau job, une nouvelle maison ? Non, un bébé. Mais quand la maternité
devient un challenge, le piège peut se refermer.
Lorsque, il y a quatre ans, je décide d’adopter un enfant, soyons
franche, j’ai conscience que j’entreprends ces démarches pour de
mauvaises raisons. J’ai 33 ans, je viens de quitter mon compagnon et
j’éprouve une soif immense de liberté, car je sors de neuf années très
fusionnelles, ce qui n’était pourtant pas ma vision du couple. Je suis
extrêmement frustrée de ne pas m’être réalisée par moi-même, excepté
dans mon travail. Mon indépendance est primordiale, et pour le moment,
je ne ressens pas de désir d’enfant.
Je voulais adopter un enfant pour de mauvaises raisons
Mon projet d’adoption vient en réaction à une remarque profondément
blessante de mon ex, lors de notre rupture amoureuse : « J’ai perdu mon
temps avec toi ! Tu n’as pas voulu d’enfant avec moi, j’ai gâché neuf
ans de ma vie à cause de toi ! » sous-entendu : « Maintenant il faut
que je m’y mette, et vite. »
En effet, il souhaitait être père : « Avant l’âge de 30 ans, je veux
avoir des enfants », m’avait-il annoncé dès le début de notre histoire.
J’avais alors 24 ans, et lui, 26. Ça ne cadrait absolument pas avec mon
schéma de vie : je sortais de cinq années d’études d’ingénieure, ce
n’était pas pour rien… Fonder une famille immédiatement ? Inconcevable
! Je voulais d’abord me réaliser professionnellement et profiter de la
vie.
Mais quelques mois après notre rupture, j’apprends que mon ex a
rencontré une autre femme, qu’il l’a épousée très vite et que, dans la
foulée, elle est enceinte. Qu’il ait son enfant, sa famille, sa femme
agit sur moi comme un électrochoc. Je me dis : « Il a construit sa vie,
moi aussi je vais construire la mienne, et je vais lui montrer que je
n’ai pas besoin de lui pour le faire. » Je suis bien désolée de le
reconnaître, car ce n’est pas intelligent et adopter un enfant n’est
pas neutre, mais c’est ce qui a motivé ma démarche. A ce moment-là,
j’ai besoin de me prouver qu’il y a une vie après lui et que je peux me
lancer dans un projet plus exaltant que sa petite vie tranquille. Quoi
de plus beau que de donner sa chance à un enfant abandonné par sa
famille et condamné sinon à la prostitution du moins à une vie terrible
dans une décharge, comme le montrent la plupart des documentaires.
De plus, je vois l’adoption comme une façon de me « ré-humaniser ».
Rationnelle, peu encline aux sentiments, je cède rarement aux émotions.
Je suis très investie professionnellement, et mes comportements sont
assez masculins. Je suis une machine de guerre (rires), et j’ai envie
de me « normaliser », de me réapproprier une vie dans la « norme » de
la société – où, vers 30 ans, les femmes éprouvent un désir de devenir
mère qui s’impose comme une évidence. C’est ce que me décrivent mes
amies, même si je ne le ressens pas vraiment.
Adopter un enfant : la réalité en pleine face
Je suis, certes, retombée amoureuse entre-temps, mais il aurait fallu
que cet homme me laisse toute ma liberté pour que l’histoire marche…
C’est ainsi que je me lance en célibataire dans l’adoption, comme dans
un défi personnel à relever.
La lourdeur administrative des démarches me tombe dessus : dossiers
remplir, entretiens avec les psychologue, assistante sociale,
travailleurs sociaux. J’apprends qu’il m’est impossible d’adopter en
France, car cela est réservé aux couples mariés, et qu’à l’étranger,
tous les États n’acceptent pas les célibataires, que ce sera donc très
sélectif, que je n’ai aucune chance d’adopter un bébé – mais un grand,
peut-être avec un handicap ou un passé terrible de maltraitance, de
viol… J’accepte donc d’accueillir un enfant ayant jusqu’à 6 ou 8 ans,
mais pas handicapé, je m’en sens incapable. Et je ressens d’ailleurs
une injustice énorme à ne pas être à égalité de chances avec les
couples pour accueillir un petit. Je serais donc potentiellement
mauvaise mère parce que célibataire ?
Déjà, j’imagine cet enfant qui a commencé à se construire avec une
culture et un mode de vie différents des nôtres. Je me dis que cela
risque de lui causer un tel choc lorsqu’il arrivera en France, que ce
sera purement ingérable… Pour un enfant biologique, on ne se pose pas
toutes ces questions : on le fait, point. Si on se prenait le chou
ainsi, l’espèce humaine serait éteinte depuis longtemps ! Pourtant, ma
détermination reste intacte : je trouverai les solutions pour faire
face aux difficultés et, émotionnellement, je ne suis pas atteinte, je
suis dans le défi.
Avec la psy, c’est pire : mes réponses ne lui conviennent pas, à tel
point que je passe trois entretiens au lieu des deux habituels. Que ce
soit à propos de mon désir de maternité ou au sujet de la rencontre
avec l’enfant, elle juge les mots que je suis capable ou non de
formuler, et elle m’estime « pas assez dans l’affectif » :
Vous vous montrez volontaire, combative, et non comme une personne
capable d’éprouver des sentiments maternels.
Bien sûr, je ne peux pas exprimer la vérité sur ma motivation, par
rapport à mon ex, sinon l’agrément serait perdu d’avance ! Je déteste
aussi ses questions incisives et culpabilisantes sur la figure
paternelle nécessaire à la construction de l’enfant, et surtout le
message sous-jacent : « Sans père votre gamin ne sera pas correctement
construit. » Alors que des enfants dont les parents sont séparés vivent
seuls avec leur mère et sont bien dans leurs baskets.
Résultat : au troisième entretien, je lui sers ce qu’elle veut
entendre, après avoir bachoté et appris par cœur des textes trouvés sur
Internet. Je récite : « J’ai pris conscience que lors de la rencontre
avec l’enfant, il peut se révéler différent de ce que j’imagine,
blablabla, qu’il peut manifester du rejet, pleurer ; qu’en cas de
difficultés je me ferai aider par des psys, blablabla. » Mes réponses
plaisent enfin, et je décroche le précieux sésame : l’agrément !
Adopter un enfant par défi et non par désir maternel
Bien qu’il reste valable cinq ans, j’attaque dès le lendemain les
démarches en vue d’obtenir le parrainage d’un organisme agréé, seule
garantie de parvenir à adopter, car ces organismes n’acceptent que les
candidats pour lesquels ils sont sûrs d’aboutir. Là encore, c’est la
réussite de mon défi qui me presse, pas l’impatience d’avoir un enfant.
J’envoie donc une dizaine de lettres de motivation.
En avril 2010, le téléphone sonne, porteur de la bonne nouvelle : l’un
des organismes m’accepte. Traduction : dans un an, nous serons deux
la maison. Et là… c’est la catastrophe. Au lieu de sauter de joie, je
panique : « C’est juste pas possible ! » En une seconde, je prends en
pleine face les contraintes de la maternité : dans un an, il faudra
qu’un enfant puisse vivre ici, avec son lit, une maman qui s’occupe de
lui, qui le lève le matin, le lave, le prépare, le conduise à l’école,
le ramène, veille à ses vaccins, l’emmène à son entraînement de judo…
Comment survivre et, surtout, travailler avec ces contraintes de
logistique.
Je me vois refusant des déplacements professionnels ou des réunions
parce que c’est incompatible avec le planning de l’enfant, alors que ma
carrière est capitale pour mon équilibre. Ne plus pouvoir faire du
sport trois ou quatre fois par semaine… Et personne pour me seconder,
car ma famille vit à 500 km. Comment concilier mes horaires ? Je
travaille de 7h30 à 19 heures. Et pour une heure de shopping, je fais
comment ? Et chez le coiffeur, j’emmène l’enfant ? Et pour les vacances
scolaires ? Tout se bouscule. Je suis totalement perdue.
Je me suis lancée dans l’adoption comme une autruche plonge la tête
dans le sable, et pour la première fois je me dis que vis-à-vis de cet
organisme, il m’est impossible de confirmer mon engagement. Pendant une
semaine, je me sens mal dans ma peau comme jamais, je pleure, et je
cherche avec mes amis et mes parents une solution à ces contraintes
inextricables – en sachant qu’elle n’existe pas, car ce changement
radical de vie je ne le souhaite pas vraiment. Je sais qu’il serait
incompatible avec ma carrière, ou alors en prenant le risque d’être
perçue comme moins performante et moins impliquée, ce qui est
impossible actuellement.
Néanmoins, je suis tiraillée : tout arrêter, alors que je suis presque
au bout du parcours ? De plus, je commence à me sentir intéressée par
l’idée de la maternité, d’accueillir un enfant. Je me dis : « Ça me
plairait, finalement », de donner de l’amour à un petit être et qu’il
m’en donner.
L’aventure » vaut d’être vécue, mais j’entends « aventure » comme «
défi en Amazonie » – comme quoi je ne suis pas claire avec ça.
Ces quelques journées m’en apprennent aussi beaucoup sur ma relation
avec mes parents. Si ma mère s’inquiète de ne pas pouvoir m’aider car
elle traverse des ennuis de santé, mon père m’offre un soutien
incroyable. Il s’implique comme jamais je n’aurais soupçonné qu’il le
fasse, car il n’est pas démonstratif. Habituellement, il semble assez
froid, il garde ses émotions pour lui, et là, il m’épaule, jamais il ne
m’abandonne, il cherche tous azimuts comment soulager mes difficultés
logistiques. Jusqu’à suggérer : « Il faudrait peut-être que nous
déménagions pour nous rapprocher de toi. » Je me sens aimée, c’est si
précieux… (Sa voix s’étrangle.)
Arrêter le processus d'adoption
Pourtant, une petite voix intérieure continue de me dire que je fais
fausse route, et lorsque j’annonce à l’organisme que je mets le
processus en stand-by, un poids énorme disparaît de mes épaules. Peu
peu, je réalise que j’ai aussi déposé cette demande d’adoption afin de
donner à mes parents le bonheur d’être grands-parents. Non qu’ils
m’aient jamais mis la pression – je n’en ai même jamais discuté avec
eux. Mais, ayant vécu pendant neuf ans en couple, je suppose qu’ils ont
cette attente de mariage et d’enfant. Ils sont fiers de ma réussite, de
mes études et de ma carrière, mais au fond de moi, je pense que ce
n’est pas suffisant, que je suis moins « aimable » sans enfant. Fille
unique, j’ai peur de les décevoir en n’entrant pas dans le moule de la
société.
Réaliser qu’ils m’aiment, même s’ils ne sont pas grands-parents,
m’apaise. C’était implicite, bien sûr, mais là, ils me font clairement
comprendre que l’important pour eux est bien que je sois heureuse. Et
tout à coup, je réalise que, moi non plus, je ne leur dis pas assez que
je les aime. Je vais me rattraper.
Chaque année, à la date anniversaire de l’agrément, il faut confirmer
par courrier son désir d’adopter. En décembre dernier, je décide de
tourner la page, et je ne le fais pas. J’abandonne définitivement le
projet d’adopter seule. J’ai encore un peu de temps pour rencontrer
l’homme, « le bon », avec qui j’aurai vraiment envie d’avoir un enfant.
Et si cela arrive trop tard, alors j’adopterai peut-être. Et ce sera
magnifique. Il y a plein de façons de se réaliser et d’être heureuse.
Sans forcément suivre le modèle dicté par la société.
Propos recueillis par Véronique Houget.
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