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Actualités société - archives 2015
Adoption : les illusions perdues des homosexuels
Par Brice Perrier
famille homoparentale (BUTTON) Ajouter aux favoris (BUTTON) Crédits :
David Trood / Getty Images
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Alors que la loi sur le mariage pour tous fête ses trois ans, qu'en est-il de
l'adoption promise aux couples homosexuels ? Dans un contexte international
très difficile, elle relève plutôt de la mission impossible. A moins de
passer par la procréation médicalement assistée.
Thomas, directeur de la photographie de 38 ans, attend un heureux
évènement depuis maintenant deux ans. Avec son conjoint, épousé en
2013, ils ont entamé une démarche pour devenir pères. Un processus qui
débuta par la demande de l’indispensable agrément délivré par les
services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, l’autorisation
d’adopter. « Ce fut une formalité, nous n’avons eu aucun problème pour
le recevoir », confie Thomas. Mais la suite s’est révélée plus
compliquée : « Il ne fallait pas envisager d’obtenir un pupille de
l’Etat. Les conseils de famille* décidant de leurs attributions les
réservent à des familles “traditionnelles”. Restait l’international.
Nous nous sommes donc dirigés vers deux organismes réputés ouverts aux
couples homosexuels, qui ont refusé notre dossier, sans justification.
Il a ensuite été accepté par Médecins du Monde, avec qui une demande a
été lancée dans trois Etats du Brésil. Celui de Sao Paulo nous a
accordé son agrément, il y a un an. » Depuis, ils attendent.
L'adoption par les couples homosexuels, un droit virtuel ?
Trois ans après le vote de la loi sur le mariage pour tous, son
pendant, l'adoption, se révèle très loin d'être accessible à tous les
couples homosexuels passés devant le (ou la) maire. Contrairement à ce
que certains ont pu annoncer, redouter ou espérer, leur droit d'adopter
serait même presque virtuel. « Les couples mariés obtiennent l'agrément
mais ne peuvent pas concrétiser leur démarche, confirme Doan Luu,
porte-parole de l'Association des parents et futurs parents gays et
lesbiens. En trois ans, nous n'avons eu, de notre côté, connaissance
d'aucun cas d'adoption, du moins au sens large. Car il faut la
distinguer de l'adoption intra-familiale, également prévue par la loi
Taubira. »
Permettant d'adopter l'enfant de son conjoint, celle-ci serait ainsi en
pratique la seule susceptible d'être réalisée par des couples
homosexuels depuis l'entrée en vigueur de la loi. Elle concerne
principalement des naissances consécutives à des procréations
médicalement assistées (PMA) réalisées en Belgique et en Espagne. «
Près des trois quarts des dossiers sont des PMA, les autres cas étant
essentiellement des naissances avec donneurs connus, explique l'avocate
Clélia Richard**. Depuis qu'en septembre 2014 la Cour de cassation a
levé l'obstacle juridique que constituait l'accusation de fraude à la
loi*** , il n'y a plus de problème, en tout cas pour les femmes. »
Pour les hommes, ceux qui utilisent la gestation pour autrui (GPA), les
difficultés sont tout autres. « On reste dans un no man's
land, remarque la juriste. Ceux qui ont entrepris cette démarche
galèrent tellement pour régler les problèmes d'état civil qu'il n'y a
encore eu aucune demande d'adoption d'enfant du conjoint. En fait, on a
eu le mariage pour tous, mais l'adoption seulement pour toutes. Avec
environ un millier de cas à ce jour. » Clarisse, cadre de 28 ans
installée dans le sud de la France, a hâte de devenir une de ces mères
adoptives d'un nouveau type. Il y a deux ans, suite à une insémination
réalisée en Espagne, son épouse a donné naissance à des jumelles que
Clarisse considère déjà comme ses enfants. « Je n'ai pas le sentiment
d'adopter, ce n'est pas le bon terme, explique-t-elle, dans l'attente
d'une décision de justice consacrant son statut de parent. On a vécu
une grossesse comme n'importe quel couple. Et l'étape suivante sera
pour moi de porter le prochain enfant. » Viendra alors le tour de son
épouse d'adopter. Clarisse estime toutefois qu'il serait plus logique
de bénéficier d'une présomption de parentalité, comme dans un couple
marié hétérosexuel.
Adoption et dossiers de célibataires bloqués
L'histoire de l'adoption est en perpétuelle évolution. A l'origine,
sous Napoléon, on ne pouvait adopter que des majeurs, en vue de
préparer un héritage. L'adoption ne s'est véritablement ouverte aux
mineurs qu'au début du XXe siècle, avec les milliers d'orphelins
laissés par la Première Guerre mondiale. Clarisse va aujourd'hui
incarner une nouvelle facette d'une opération juridique reflétant
toujours les aspirations et les besoins de son temps. Reste que la loi
de 2013 n'était pas censée avaliser des PMA mais donner la possibilité
à des homosexuels d'établir un lien de filiation avec un enfant en
manque de parents. Or, sur ce point, on aurait plutôt reculé. « Quand
j'ai été auditionnée par la commission de l'Assemblée nationale,
j'avais prévenu que la loi aurait pour conséquence de fermer l'adoption
internationale aux célibataires, rappelle Béatrice Biondi, directrice
de l'Agence française de l'adoption (Afa), principal organisme aidant
l'adoption internationale. L'effet a été immédiat, en commençant par la
Russie. » Suivie par d'autres Etats, la Russie, alors premier pays en
matière d'enfants adoptés par des Français, ne s'est en effet pas
contentée de refuser toute demande émanant de couples homosexuels. Elle
a bloqué l'ensemble des dossiers de célibataires français, devenus
systématiquement « suspects ».
Avec cette loi, on a donné de faux espoirs, sans tenir compte de son
impact sur les pays partenaires qui n'ont pas les mêmes idées que
nous, glisse-t-on, en off, dans les services de l'Afa. Résultat :
nous n'avons pas encore pu prendre le moindre dossier de couple
homo, car aucun des pays avec lesquels nous travaillons ne
l'accepterait, alors que nous pouvions auparavant faire aboutir des
dossiers de célibataires.
Si pour les homosexuels l'adoption semble aujourd'hui relever de la
mission impossible, c'est aussi parce qu'elle est de plus en plus
compliquée, quel que soit le demandeur. Entre 2010 et 2015, on est
passé de plus de 3 500 enfants adoptés à l'international à seulement
815, tandis qu'on avoisine toujours les 20 000 titulaires d'agréments.
La plupart des Etats appliquent désormais la convention de La Haye, qui
impose de privilégier les adoptions par des nationaux. Et lorsqu'il
s'agit d'étrangers, des règles strictes sont fixées. Vous serez ainsi
refusé en Chine si on vous juge trop gros ou pas assez diplômé. Idem
aux Philippines, si vous n'êtes pas chrétien pratiquant. Quant aux
couples homosexuels, ils ne sont les bienvenus quasiment nulle part. En
théorie, il y aurait l'Afrique du Sud, où les Français (tous genres et
sexualités confondus) qui ont pu adopter l'année dernière se comptent
sur les doigts d'une main. Un Etat du Mexique autorise également
l'adoption par des couples homosexuels, en la réservant plutôt à des
Mexicains. La Colombie pourrait devenir une possibilité après une
récente décision de sa Cour de cassation, mais pour l'heure il n'y a
guère d'autres choix que le Brésil, où Thomas et son époux ont effectué
leur demande avec l'aide de Médecins du Monde. En 2015, trois couples
ont pu, grâce à cette ONG, adopter. Des cas qui s'avèrent donc
rarissimes. Suite à notre demande, le ministère de la Justice n'a pas
souhaité communiquer de chiffres officiels.
Rachel, 49 ans, technicienne au service communication d'une commune des
Côtes-d'Armor, n'en revient toujours pas. Avec son épouse, Dominique,
elles font partie de cette poignée de couples qui démontrent que la
mission est parfois possible. « Après nous être mariées et avoir obtenu
l'agrément, nous avons bouclé notre dossier avec Médecins du Monde fin
mars 2015. Cinq mois plus tard, le Brésil nous faisait une proposition
pour deux frères âgés de 9 et 10 ans, que nous avons acceptée. Nous
nous sommes rendues là-bas fin octobre pour les rencontrer. Nous
n'avons alors plus quitté nos fils, et sommes rentrées en France avec
eux, le 23 décembre, pour passer Noël en famille. On vit depuis un vrai
bonheur. » Rachel et Dominique font figure d'exception, mais elles
témoignent de la nouvelle règle de l'adoption internationale pour tous
les candidats. Une large majorité des enfants adoptables sont dits «
besoins spécifiques » : âgés de plus de 5 ans, fratrie, avec des
problèmes de santé ou un lourd passé. « Les nôtres avaient été
maltraités, mais nous avions accepté ce type d'enfants et le principe
de la fratrie, ce qui a dû faciliter les choses, estime Rachel. La
limite que nous avions posée était un handicap mental qui ne leur
permettrait pas de devenir autonome une fois adulte. »
Quelques exceptions françaises
Thomas et son mari sont aujourd'hui sur cette même ligne de conduite,
pleins d'espoir mais sans illusion : « On ne proposera aux couples
homos, surtout garçons, que les enfants que les autres ne veulent pas,
comme ceux porteurs du virus du sida. Mais cela se soigne mieux
aujourd'hui, et nous, nous accepterions un séropositif. Au début, comme
tout le monde, on rêve d'un bébé qui va bien, mais on découvre très
vite qu'il n'y a pas le choix si on veut être parents. Et cette absence
de choix devient finalement notre choix, après des années de réflexion
sur comment faire une famille. La GPA ne correspondrait pas du tout
notre façon de penser un enfant. C'est l'adoption qui nous convient. »
Si la plupart des parents pensent n'avoir d'autres options aujourd'hui
que de se tourner vers le Brésil, quelques enfants français pupilles de
l'Etat ont néanmoins été confiés à des homosexuels mariés. « Plusieurs
couples ont adopté en France, certifie Nathalie Parent, présidente
d'Enfance & familles d'adoption, fédération représentée dans l'ensemble
des cent un conseils de famille. Leurs projets personnels
correspondaient aux besoins de certains enfants, ce qui est le seul
critère important. On a pu, par exemple, considérer qu'une enfant
victime d'inceste serait mieux avec un couple de femmes, sans homme.
Comme les personnes ayant adopté ne sont pas des militants, ils ne vont
pas le revendiquer. » Discrètement, en incarnant, loin du tapage
véhiculé par les pro-et les anti-mariage pour tous, une vérité de
l'adoption qui ne peut, elle, être pour tous. Quoi qu'en dise la loi.
* Organes départementaux chargés de la tutelle des pupilles de l'Etat.
Ils sont notamment composés de conseillers départementaux, de membres
d’associations familiales et de personnalités qualifi ées en matière de
protection de l’enfance.
** Coauteure, avec Serge Portelli, de Désirs de familles, homosexualité
et parentalité, éd. de l’Atelier.
*** La PMA n’est autorisée en France qu’en cas de stérilité.
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