Témoignage : "J'ai adopté une petite fille de 6 ans au passé tragique"

Rien ne prédestinait Adeline et Nastia à se rencontrer, et encore moins à ce qu’elles deviennent mère et fille. Mais, à 35 ans, Adeline était déterminée à fonder une famille grâce à l’adoption. Dans un livre* bouleversant coécrit avec sa fille, elle raconte son parcours semé d’embûches, la rencontre avec sa fille et son bonheur de devenir mère. Témoignage.

Un récit fort sur l’adoption

« L’envie d’adopter remonte à l’enfance. L'adoption faisait partie de mon histoire familiale. Mon grand-père que j’adorais était un enfant illégitime, il fut abandonné dès ses 3 jours de vie. J’ai grandi à Sarcelles dans les années 70, une ville cosmopolite qui accueillait de nombreuses diasporas planétaires de différentes religions. Comme je résidais dans le quartier de la synagogue, mes copains de jeux se trouvaient être d'origine ashkénaze et séfarade. Ces enfants avaient en héritage l’exil et la Shoah. A mes 9 ans, je me souviens avoir vu arriver dans ma classe des enfants, orphelins pour la plupart, après la guerre du Vietnam. L’institutrice nous avait demandé de les aider à s’intégrer. En voyant tous ces enfants déracinés, je me suis fait une promesse : celle d’adopter à mon tour un enfant en souffrance quand je serais adulte. A 35 ans, âge légal à l’époque où l’on pouvait entamer les démarches, j’ai décidé de me lancer, seule. Pourquoi la Russie ? Au départ, j’avais postulé pour le Vietnam et l’Éthiopie, c’était les deux seuls pays qui proposaient des adoptions aux célibataires, puis, entre-temps, il y a eu l’ouverture à la Russie. Dans le département où je résidais, une œuvre qui proposait des enfants russes à l'adoption a été agréée et j’ai pu postuler.

Après de nombreuses péripéties, ma demande a abouti

Un matin, j’ai reçu l’appel tant attendu, le jour même où ma mère subissait une intervention pour son cancer du sein. Une petite fille de 6 ans et demi m’attendait dans un orphelinat de Saint-Pétersbourg. Quelques mois plus tard, confiante dans cette aventure, je débarquais en Russie pour rencontrer ma fille. Nastia était encore plus jolie que je l’imaginais. Un peu farouche, mais quand elle riait, son visage s’illuminait. Je devinais des blessures enfouies derrière son sourire gêné, sa démarche hésitante et son corps chétif. Devenir la mère de cette petite fille était mon souhait le plus cher, je ne pouvais pas échouer. Durant mon séjour en Russie, nous avons appris à nous connaître progressivement, je ne voulais surtout pas la brusquer. La glace commençait à se rompre, Nastia, doucement apprivoisée, sortait de son mutisme et se laissait gagner par les émotions. Ma présence semblait l’avoir apaisée, elle ne faisait plus de crises de nerfs comme à l'orphelinat.

J’étais loin d’imaginer ce qu’elle avait réellement subi

Je savais que ma fille avait eu un début de vie chaotique : laissée à l’âge de 3 mois dans un orphelinat et récupérée à 3 ans par sa mère biologique. Quand j’ai lu le jugement de déchéance parental la veille de notre retour, j’ai réalisé à quel point son histoire était tragique. Ma fille vivait avec une mère prostituée, alcoolique et violente, entre les ordures, les cafards et les rats. Des hommes dormaient dans l’appartement, des beuveries qui finissaient parfois en règlements de compte, avaient lieu au milieu des enfants. Battue et affamée, Nastia assistait quotidiennement à ces scènes sordides. Comment allait-elle se reconstruire ? Les semaines suivant notre arrivée en France, Nastia sombra dans une profonde tristesse et se mura dans le silence. Amputée de sa langue natale, elle se sentait isolée, mais quand elle sortit de sa torpeur, elle n’eut qu’une obsession, aller à l'école. Quant à moi, frustrée, sans la présence de mon enfant, je tentais vainement de combler mes jours de congé d'adoption.

La rentrée à l’école l’a faite régresser

Nastia était très curieuse, elle avait une soif de savoir parce qu’elle avait compris très tôt que c’était la seule manière pour elle de sortir de sa condition. Mais l’entrée à l’école a provoqué chez elle une régression totale : elle s’est mise à marcher à quatre pattes, il a fallu lui donner à manger, elle ne parlait plus. Elle avait besoin de revivre cette partie de la petite enfance qu’elle n’avait pas vécue. Un pédiatre m’a dit que pour résoudre ce problème, je pouvais essayer une approche corporelle. Il m’a conseillé de prendre un bain avec ma fille afin de lui permettre de réintégrer tout ce qui ne s’était pas créé parce que je ne l’avais pas enfantée. Et ça a marché ! Après quelques bains, elle a touché mon corps et ça l’a aidée à reprendre confiance, à retrouver ses 7 ans.
Ma fille était très attachée à moi, elle recherchait sans cesse mon contact, même si c’était pour elle une notion un peu abstraite. Au tout début, les rapprochements physiques étaient néanmoins violents : elle ne savait pas être tendre. Il y a eu toute une période où elle me sollicitait en permanence pour que je la batte. Ses demandes insistantes que je redoutais me mettaient mal à l'aise. C’était la seule chose qui pouvait la rassurer parce que c’était le seul mode de communication qu’elle avait connu en Russie. Des rapports de force se sont hélas mis en place. J’ai été obligée d’être ferme quand je n’aurais pas voulu l’être. Lorsqu’on adopte un enfant qui a un passif, on est obligé de composer avec ce passé. J’étais pleine de bonne volonté, je voulais l’accompagner dans sa nouvelle vie avec amour, compréhension et bienveillance, mais Nastia traînait avec elle ses cauchemars, ses fantômes et cette violence dont elle était l'enfant. Il a fallu deux ans pour que nos relations s’apaisent et que notre amour réciproque puisse enfin s’exprimer.

J’ai pris sur moi pour ne pas perdre pied

Quand ma fille a commencé à mettre des mots sur ses traumatismes pour se libérer de cette peur qui la tourmentait, ce qu’elle m’a révélé était inimaginable. Sa mère biologique, criminelle, l'avait souillée à jamais en tuant un homme à coup de couteau devant ses yeux et en l'a rendant responsable de cet acte. Elle ne s’apitoyait pas sur elle-même, au contraire, sans émotion apparente, elle voulait se libérer de cet horrible passé. J’étais écœurée par ses révélations. Dans ces moments, il faut avoir de l’empathie et de l’imagination pour trouver des solutions. Sans tabou, ni préjugé, j’ai fait de mon mieux pour chasser ses démons. J’ai mis en place toute une stratégie éducative proche de la nature et des animaux pour qu'elle retrouve un peu de l'enfance et de l'innocence. Il y a eu des victoires définitives et d'autres passagères. Mais le passé ne meurt jamais. »

*“Veux-tu une nouvelle maman ? - Mère-fille, histoire d'une adoption”, Editions La Boîte à Pandore.

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Candice Satara-Bartko Article mis à jour le



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