Il a la force physique de son père et la finesse de sa mère, une grande Polynésienne aux cheveux magnifiques. En même temps, et c’est incroyable, il a de plus en plus les traits de mon mari. Je suis très à l’aise avec sa filiation : son père et sa mère sont ses parents biologiques. Sa maman et son papa, c’est nous. Il était pour moi important d’adopter un enfant qui connaisse sa filiation, sa vie intra-utérine, sa naissance. C’est la raison pour laquelle, après l’échec d’une fécondation in vitro(FIV) il y a 8 ans, j’ai choisi l’adoption ­libre. Mais pas seulement : après l’ex­périence difficile de l’agrément, je ne voulais plus que quiconque décide si je méritais un enfant ou non.

Dans la culture polynésienne, l’enfant qui ne peut être nourri est donné pour qu’il ait une vie meilleure. D’où son nom, faamu, ce qui signifie « donner à manger ». Il est proposé à une tante infertile, à des grands-parents qui ont besoin d’un bâton de vieillesse ou, de plus en plus, à des métropolitains (des « Popaa ») qui cherchent à adopter. C’est pour cette raison que nous sommes allés à Papeete.

A notre arrivée, un ami nous a accueillis dans sa villa. De 5 heures du matin à 18 heures, nous faisions du « porte à porte » – disons la vérité – dans les quartiers les plus miséreux. A tour de rôle, nous demandions : « Vous ne connaîtriez pas une jeune fille enceinte qui ne veut pas garder son enfant ? » Je revois encore mon mari poser la question à un pêcheur au bord de la route et ce dernier ramener aussitôt une jeune femme en lui disant : « Tu ne veux pas donner ton bébé ? Ils ne peuvent pas en avoir. » Celle-ci a répondu : « Non pas celui-là. Dommage, l’année dernière, j’en ai donné un. »

J’avais le sentiment d’arriver toujours trop tard. Combien de fois, je me suis effondrée en pleurs ! En août 2007, j’ai rencontré une femme formidable, Fanny, qui m’a trouvé une jeune femme enceinte de 3 mois, déjà maman d’un enfant, qui acceptait de me donner la petite fille qu’elle attendait. Cordiale au départ, ­notre relation s’est détériorée petit à ­petit. Son mari me demandait de plus en plus de choses, jusqu’au jour où il m’a réclamé une maison. Dans un rire nerveux, je lui ai répondu que non seulement je n’avais pas l’argent nécessaire mais qu’en plus la loi l’interdisait. Payer est si facile, tellement déculpabilisant quand on voit la misère dans laquelle ils vivent. Je ne voulais pas acheter mon enfant, même contre un euro. En revanche, je lui avais promis de parrainer leur aîné. Quatre jours avant l’accouchement, j’ai appris que le bébé allait être donné un autre ­couple français contre 1.000 euros. J’étais anéantie…

Un soir, ma copine vendeuse de bijoux m’a présentée à une nièce éloignée, donc « une personne sûre », Tévahiné, une magnifique liane de 30 ans, enceinte de 5 mois. Elle avait déjà 5 enfants de deux hommes différents et, n’ayant rien pour vivre, voulait donner le petit garçon qu’elle attendait, comme elle l’avait déjà fait à 3 reprises. Tous les jours, je prenais soin d’elle, nous buvions le café ensemble, allions à la plage…

Le 19 mai 2008 au matin, Tévahiné a ressenti les premières contractions. Et, en début de soirée, nous sommes entrées toutes les deux dans la salle d’accouchement. Ce fut un moment fort entre elle et moi. Maui est né à 21 heures et on l’a mis aussitôt dans mes bras. En le voyant, j’ai tout de suite reconnu mon enfant. Tévahiné m’a regardée en me disant : « Tu as vu, je t’ai fait un beau bébé. » Même si elle n’a jamais douté de sa décision, elle pleurait beaucoup. Personne n’était là pour l’accompagner dans le deuil de son enfant. Alors, tous les jours, je venais chez elle l’écouter. Elle était devenue une amie, je ne pouvais pas la laisser dans cette détresse. Était-ce de la culpabilité ? Peut-être. Ses larmes séchées, je l’ai aidée à passer le permis, à préparer un CV et des entretiens pour retrouver du travail.

Pile un mois après la naissance, nous sommes passés devant le juge pour signer une délégation d’autorité parentale (l’adoption simple et plénière se fait aux 2 ans de l’enfant). Il nous a demandé si nous avions quelque chose à dire. Tévahiné a répondu que cette situation était difficile à vivre, d’autant plus que son fils partait vivre loin. Le juge lui a répondu que, par expérience, il savait que les enfants donnés à des locaux se sentaient davantage perdus, écartelés ­entre les parents. Le lendemain, nous sommes repartis en France.

Treize mois sont passés depuis. J’appelle régulièrement Tévahiné, je lui envoie des photos, elle me demande des nouvelles de tout le monde, pas spécia­lement de Maui. Quant à mon bébé, je l’ai emmené partout avec moi, même à mes séances de thérapie. C’est au cours de l’une d’elle, au bout de 9 mois, que j’ai senti quelque chose s’apaiser en lui, qu’il se laissait adopter.

Et moi ? Lorsque Maui a fêté son premier anniversaire, j’ai ressenti le contrecoup de cette aventure qui fut terrible et épuisante. Mais quand je regarde ce ­petit garçon devenu sociable, ouvert et heureux de vivre, quand je pense à ce lien d’amour charnel qui nous lie, je ne regrette rien. C’est de cette manière que j’envisageais la rencontre avec mon enfant.