Adoption : en Seine-Maritime, des soupçons de discrimination envers les homosexuels
Parce qu'ils seraient «atypiques», les couples homosexuels pourraient adopter les enfants «atypiques» dont les couples hétérosexuels ne veulent pas, selon la fonctionnaire chargée du service adoption. Le Défenseur des droits s'est saisi.
Aux couples hétérosexuels, les enfants «normaux», aux couples homosexuels ceux qui sont «atypiques» ? C'est en substance le discours tenu par la responsable du service adoption du département de Seine-Maritime.
Est-ce «a priori compliqué» pour un couple homosexuel d’adopter «un bébé qui va bien, de trois mois» ? France Bleu Normandie Seine-maritime/Eure à posé cette question à la collectivité, après avoir recueilli les témoignages de couples de même sexe expliquant leurs difficultés pour adopter. La réponse de Pascale Lemare, responsable du service adoption au département, est claire : «Il y aura des parents qui correspondent davantage aux critères requis».
- «Et donc pas un couple homosexuel ? », interroge la journaliste de France Bleu dans un entretien disponible sur le site de la radio.
- «Ben non», confirme Pascale Lemare.
Car pour cette fonctionnaire, les couples de même sexe sont «un peu atypiques, si on peut dire, par rapport à la norme sociale et à la norme biologique», et «donc si leur projet supporte des profils d’enfants atypiques (...), si les couples homosexuels ont des attentes ouvertes, ils peuvent très bien adopter un enfant». Invitée à préciser ce qu’elle entendait par «enfant atypique», la responsable de service a répondu : «des enfants dont personne ne veut, puisqu’il y a des gens qui veulent pas adopter des enfants trop cassés, trop perturbés psychologiquement, trop grands, handicapés. Ces enfants-là ont des perturbations qui ne sont pas recherchées par les couples et c’est normal».
Ces propos ont été «condamnés très fermement» par le président du département Pascal Martin (Mouvement radical) dans un communiqué. Il y «réaffirme qu’en aucun cas, l’orientation sexuelle des futurs parents n’est un critère d’évaluation» du service.
Mais les propos de la responsable n’en ont pas moins suscité de vives réactions. «Ils sont contraires aux principes de neutralité, d’égalité et de refus des discriminations qui caractérisent la fonction publique. Je les condamne», a tweeté le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes Publics, Olivier Dussopt.
«Aucune discrimination ne saurait être tolérée», a abondé la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité hommes-femmes Marlène Schiappa.
.@MarleneSchiappa condamne les propos litigieux à l’encontre de familles homoparentales dans le cadre de l’#adoption et rappelle qu’aucune #discrimination ne saurait être tolérée #LGBT pic.twitter.com/CCH2WYNA1H
— Mathieu Pontécaille (@mpontecaille) June 19, 2018
Des plaintes et une auto-saisine du Défenseur des droits
«Nous avons porté plainte auprès du procureur de la République de Rouen. Nous sommes extrêmement choqués par ces déclarations», a déclaré Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales (ADFH). «Nous sommes scandalisés. On avait déjà entendu des choses à propos de la politique d’adoption du département mais cela restait du domaine de la rumeur», a réagi de son côté Géraldine Chambon, membre du centre LGBTI de Normandie, «Nous sommes en phase de réflexion quant au déclenchement d’une action en justice».
«Les enfants sont égaux. Et toutes les familles aussi», a réagi le Défenseur des droits Jacques Toubon sur Twitter, en annonçant se saisir d’office «afin d’enquêter sur les pratiques du service de l’adoption du département de la Seine-Maritime».
Les témoignages de trois couples
France Bleu avait recueilli trois témoignages de couples homosexuels évoquant ces discriminations avant de réaliser cet entretien avec la responsable du service adoption, en présence d’une responsable de la communication du Département Parmi ces témoignages, Julie (prénom d’emprunt), 38 ans, en couple avec une femme depuis 10 ans, explique avoir rencontré Pascale Lemare en 2016 en vue d’une adoption. La fonctionnaire «nous a tenu le même discours qu’à la journaliste. A savoir qu’il est très difficile pour un couple homosexuel de voir son projet aboutir». «Si nous voulions quand même persévérer dans cette démarche, il fallait que nous soyons prêts à accueillir un enfant à besoin spécifique, très grand ou alors avec des problèmes de santé. Au final, on a abandonné l’idée d’adopter. On n’a pas été plus surpris que ça de ce discours vu que la discrimination, on la vit au quotidien», a indiqué la jeune femme.
Interrogé par l’AFP sur d’éventuelles sanctions à l’encontre de Mme Lemare, le conseil départemental a indiqué que son président attendait, pour en décider, le résultat d’un audit externe pour voir s’il existait un dysfonctionnement à l’intérieur du service.
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