Thomas, directeur de la photographie de 38 ans, attend un heureux évènement depuis maintenant deux ans. Avec son conjoint, épousé en 2013, ils ont entamé une démarche pour devenir pères. Un processus qui débuta par la demande de l’indispensable agrément délivré par les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, l’autorisation d’adopter. « Ce fut une formalité, nous n’avons eu aucun problème pour le recevoir », confie Thomas. Mais la suite s’est révélée plus compliquée : « Il ne fallait pas envisager d’obtenir un pupille de l’Etat. Les conseils de famille* décidant de leurs attributions les réservent à des familles “traditionnelles”. Restait l’international. Nous nous sommes donc dirigés vers deux organismes réputés ouverts aux couples homosexuels, qui ont refusé notre dossier, sans justification. Il a ensuite été accepté par Médecins du Monde, avec qui une demande a été lancée dans trois Etats du Brésil. Celui de Sao Paulo nous a accordé son agrément, il y a un an. » Depuis, ils attendent.

L'adoption par les couples homosexuels, un droit virtuel ?

Trois ans après le vote de la loi sur le mariage pour tous, son pendant, l'adoption, se révèle très loin d'être accessible à tous les couples homosexuels passés devant le (ou la) maire. Contrairement à ce que certains ont pu annoncer, redouter ou espérer, leur droit d'adopter serait même presque virtuel. « Les couples mariés obtiennent l'agrément mais ne peuvent pas concrétiser leur démarche, confirme Doan Luu, porte-parole de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens. En trois ans, nous n'avons eu, de notre côté, connaissance d'aucun cas d'adoption, du moins au sens large. Car il faut la distinguer de l'adoption intra-familiale, également prévue par la loi Taubira. »

Permettant d'adopter l'enfant de son conjoint, celle-ci serait ainsi en pratique la seule susceptible d'être réalisée par des couples homosexuels depuis l'entrée en vigueur de la loi. Elle concerne principalement des naissances consécutives à des procréations médicalement assistées (PMA) réalisées en Belgique et en Espagne. « Près des trois quarts des dossiers sont des PMA, les autres cas étant essentiellement des naissances avec donneurs connus, explique l'avocate Clélia Richard**. Depuis qu'en septembre 2014 la Cour de cassation a levé l'obstacle juridique que constituait l'accusation de fraude à la loi*** , il n'y a plus de problème, en tout cas pour les femmes. » 

Pour les hommes, ceux qui utilisent la gestation pour autrui (GPA), les difficultés sont tout autres. « On reste dans un no man's land, remarque la juriste. Ceux qui ont entrepris cette démarche galèrent tellement pour régler les problèmes d'état civil qu'il n'y a encore eu aucune demande d'adoption d'enfant du conjoint. En fait, on a eu le mariage pour tous, mais l'adoption seulement pour toutes. Avec environ un millier de cas à ce jour. » Clarisse, cadre de 28 ans installée dans le sud de la France, a hâte de devenir une de ces mères adoptives d'un nouveau type. Il y a deux ans, suite à une insémination réalisée en Espagne, son épouse a donné naissance à des jumelles que Clarisse considère déjà comme ses enfants. « Je n'ai pas le sentiment d'adopter, ce n'est pas le bon terme, explique-t-elle, dans l'attente d'une décision de justice consacrant son statut de parent. On a vécu une grossesse comme n'importe quel couple. Et l'étape suivante sera pour moi de porter le prochain enfant. » Viendra alors le tour de son épouse d'adopter. Clarisse estime toutefois qu'il serait plus logique de bénéficier d'une présomption de parentalité, comme dans un couple marié hétérosexuel.

Adoption et dossiers de célibataires bloqués

L'histoire de l'adoption est en perpétuelle évolution. A l'origine, sous Napoléon, on ne pouvait adopter que des majeurs, en vue de préparer un héritage. L'adoption ne s'est véritablement ouverte aux mineurs qu'au début du XX siècle, avec les milliers d'orphelins laissés par la Première Guerre mondiale. Clarisse va aujourd'hui incarner une nouvelle facette d'une opération juridique reflétant toujours les aspirations et les besoins de son temps. Reste que la loi de 2013 n'était pas censée avaliser des PMA mais donner la possibilité à des homosexuels d'établir un lien de filiation avec un enfant en manque de parents. Or, sur ce point, on aurait plutôt reculé. « Quand j'ai été auditionnée par la commission de l'Assemblée nationale, j'avais prévenu que la loi aurait pour conséquence de fermer l'adoption internationale aux célibatairesrappelle Béatrice Biondi, directrice de l'Agence française de l'adoption (Afa), principal organisme aidant à l'adoption internationale. L'effet a été immédiat, en commençant par la Russie. » Suivie par d'autres Etats, la Russie, alors premier pays en matière d'enfants adoptés par des Français, ne s'est en effet pas contentée de refuser toute demande émanant de couples homosexuels. Elle a bloqué l'ensemble des dossiers de célibataires français, devenus systématiquement « suspects ».

Avec cette loi, on a donné de faux espoirs, sans tenir compte de son impact sur les pays partenaires qui n'ont pas les mêmes idées que nous, glisse-t-on, en off, dans les services de l'Afa. Résultat : nous n'avons pas encore pu prendre le moindre dossier de couple homo, car aucun des pays avec lesquels nous travaillons ne l'accepterait, alors que nous pouvions auparavant faire aboutir des dossiers de célibataires.

Si pour les homosexuels l'adoption semble aujourd'hui relever de la mission impossible, c'est aussi parce qu'elle est de plus en plus compliquée, quel que soit le demandeur. Entre 2010 et 2015, on est passé de plus de 3 500  enfants adoptés à l'international à seulement 815, tandis qu'on avoisine toujours les 20 000 titulaires d'agréments. La plupart des Etats appliquent désormais la convention de La Haye, qui impose de privilégier les adoptions par des nationaux. Et lorsqu'il s'agit d'étrangers, des règles strictes sont fixées. Vous serez ainsi refusé en Chine si on vous juge trop gros ou pas assez diplômé. Idem aux Philippines, si vous n'êtes pas chrétien pratiquant. Quant aux couples homosexuels, ils ne sont les bienvenus quasiment nulle part. En théorie, il y aurait l'Afrique du Sud, où les Français (tous genres et sexualités confondus) qui ont pu adopter l'année dernière se comptent sur les doigts d'une main. Un Etat du Mexique autorise également l'adoption par des couples homosexuels, en la réservant plutôt à des Mexicains. La Colombie pourrait devenir une possibilité après une récente décision de sa Cour de cassation, mais pour l'heure il n'y a guère d'autres choix que le Brésil, où Thomas et son époux ont effectué leur demande avec l'aide de Médecins du Monde. En 2015, trois couples ont pu, grâce à cette ONG, adopter. Des cas qui s'avèrent donc rarissimes. Suite à notre demande, le ministère de la Justice n'a pas souhaité communiquer de chiffres officiels.

Rachel, 49 ans, technicienne au service communication d'une commune des Côtes-d'Armor, n'en revient toujours pas. Avec son épouse, Dominique, elles font partie de cette poignée de couples qui démontrent que la mission est parfois possible. « Après nous être mariées et avoir obtenu l'agrément, nous avons bouclé notre dossier avec Médecins du Monde fin mars 2015. Cinq mois plus tard, le Brésil nous faisait une proposition pour deux frères âgés de 9 et 10 ans, que nous avons acceptée. Nous nous sommes rendues là-bas fin octobre pour les rencontrer. Nous n'avons alors plus quitté nos fils, et sommes rentrées en France avec eux, le 23 décembre, pour passer Noël en famille. On vit depuis un vrai bonheur. » Rachel et Dominique font figure d'exception, mais elles témoignent de la nouvelle règle de l'adoption internationale pour tous les candidats. Une large majorité des enfants adoptables sont dits « à besoins spécifiques » : âgés de plus de 5 ans, fratrie, avec des problèmes de santé ou un lourd passé. « Les nôtres avaient été maltraités, mais nous avions accepté ce type d'enfants et le principe de la fratrie, ce qui a dû faciliter les choses, estime Rachel. La limite que nous avions posée était un handicap mental qui ne leur permettrait pas de devenir autonome une fois adulte. »

Quelques exceptions françaises

Thomas et son mari sont aujourd'hui sur cette même ligne de conduite, pleins d'espoir mais sans illusion : « On ne proposera aux couples homos, surtout garçons, que les enfants que les autres ne veulent pas, comme ceux porteurs du virus du sida. Mais cela se soigne mieux aujourd'hui, et nous, nous accepterions un séropositif. Au début, comme tout le monde, on rêve d'un bébé qui va bien, mais on découvre très vite qu'il n'y a pas le choix si on veut être parents. Et cette absence de choix devient finalement notre choix, après des années de réflexion sur comment faire une famille. La GPA ne correspondrait pas du tout à notre façon de penser un enfant. C'est l'adoption qui nous convient. »

Si la plupart des parents pensent n'avoir d'autres options aujourd'hui que de se tourner vers le Brésil, quelques enfants français pupilles de l'Etat ont néanmoins été confiés à des homosexuels mariés. « Plusieurs couples ont adopté en France, certifie Nathalie Parent, présidente d'Enfance & familles d'adoption, fédération représentée dans l'ensemble des cent un conseils de famille. Leurs projets personnels correspondaient aux besoins de certains enfants, ce qui est le seul critère important. On a pu, par exemple, considérer qu'une enfant victime d'inceste serait mieux avec un couple de femmes, sans homme. Comme les personnes ayant adopté ne sont pas des militants, ils ne vont pas le revendiquer. » Discrètement, en incarnant, loin du tapage véhiculé par les pro-et les anti-mariage pour tous, une vérité de l'adoption qui ne peut, elle, être pour tous. Quoi qu'en dise la loi.

* Organes départementaux chargés de la tutelle des pupilles de l'Etat. Ils sont notamment composés de conseillers départementaux, de membres d’associations familiales et de personnalités qualifi ées en matière de protection de l’enfance.
** Coauteure, avec Serge Portelli, de Désirs de familles, homosexualité et parentalité, éd. de l’Atelier.
*** La PMA n’est autorisée en France qu’en cas de stérilité.