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    Tribune

    Etats-Unis : en quoi le «socialisme démocratique» est-il socialiste ?

    Par Jacob Hamburger, Journaliste et éditeur du blog franco-américain sur la démocratie contemporaine «Tocqueville 21»
    Alexandria Ocasio-Cortez, à New York, le 12 juillet.
    Alexandria Ocasio-Cortez, à New York, le 12 juillet. Photo Spencer Platt. AFP

    Alexandria Ocasio-Cortez, la candidate démocrate victorieuse à la primaire de New York, se revendique d’un «nouveau socialisme». Et porte une nouvelle vision du progrès, au-delà de la simple lutte contre les discriminations.

    Depuis sa victoire à la primaire parlementaire de New York le 27 juin, Alexandria Ocasio-Cortez est devenue la nouvelle star du Parti démocrate américain. Ce n’est pas uniquement parce qu’elle a tenté, comme Bernie Sanders contre Hillary Clinton, de renverser (avec succès, contrairement à Sanders) un membre de l’establishment de son parti, Joseph Crowley. Ce n’est pas non plus parce que c’est une jeune femme charismatique, comme l’on en trouve lors de nombreux scrutins de l’Etat de Pennsylvanie à celui du Texas. Ce qui fait d’elle un phénomène politique, c’est son appartenance à un mouvement dont le nom apparaît dangereux à l’oreille américaine : le «socialisme démocratique».

    Alexandria Ocasio-Cortez est membre des Democratic Socialists of America (DSA), l’organisation socialiste le plus ancienne de l’Amérique contemporaine, fondée en 1983. Depuis l’élection présidentielle de 2016, DSA compte plus de 30 000 membres, presque cinq fois plus qu’avant la candidature de Sanders (qui n’en est pourtant pas membre). Le principe de base du socialisme démocratique, comme Ocasio-Cortez l’a expliqué lors d’un entretien télévisé peu après sa victoire à la primaire, est que «dans une société moderne et morale, personne ne devrait être trop pauvre pour vivre». Pour cette raison, elle et ses camarades socialistes de DSA soutiennent la création d’un système universel de santé, la gratuité des universités publiques, l’abolition de la police d’immigration et du système d’«incarcération de masse».

    Cette défense de la dignité humaine et des services publics semble convaincre de plus en plus d’électeurs démocrates, mais représente-t-elle un nouveau «socialisme» ? De nombreux commentateurs européens ont mis en doute le caractère «radical» de ces principes qui, depuis au moins l’après-guerre, sont au cœur de l’Etat-providence et de l’Etat de droit construits par les droites chrétiennes-démocrates et gaullistes aussi bien que par les gauches sociales-démocrates et socialistes. Aux Etats-Unis, le programme d’Ocasio-Cortez (et de Sanders) est souvent comparé à ceux de Roosevelt et de Johnson : deux présidents étiquetés parfois comme des «socialistes» par leurs opposants de droite, mais qui, loin de vouloir nationaliser les industries ou abolir le capitalisme, ont défini le «libéralisme» américain comme un compromis entre l’économie privée et les valeurs sociales et progressistes. Le socialisme démocratique contemporain n’est-il pas tout simplement une réarticulation de ces traditions sociale-démocrate et «libérale» au XXIe siècle ?

    Cette contextualisation historique n’est pas fausse, mais elle ne traduit pas suffisamment le sens du mouvement du socialisme démocratique dans la configuration actuelle du Parti démocrate. Sous les présidences de Bill Clinton et de Barack Obama, comme l’explique Thomas Frank dans son récent ouvrage Pourquoi les riches votent à gauche (Agone, 2018), ce parti a largement abandonné sa base traditionnelle - celle de la classe ouvrière - pour devenir le parti des professionnels éduqués. Sans oublier les mouvements féministes ou pour les droits civiques des Afro-Américains, les démocrates se sont créé un nouvel idéal de méritocratie diversifiée : une société dans laquelle chaque personne talentueuse, quelles que soient ses origines, peut obtenir une position prestigieuse et bien rémunérée (les universités Ivy League, la direction des grandes entreprises, etc.). Certes, cet idéal a été indispensable à la lutte contre les discriminations, et on ne peut sous-estimer le pouvoir symbolique de l’arrivée d’Obama à la Maison Blanche. Mais en confondant le progrès avec l’accès non discriminatoire à l’élite sociale, le Parti démocrate n’a pas pu fournir de réponse à la crise économique de 2008 ni à l’explosion des inégalités sociales aux Etats-Unis.

    En positionnant leur programme comme un affrontement avec l’establishment démocrate, les socialistes démocratiques le posent comme un rejet de cette vision méritocratique. L’idéal prôné par Ocasio-Cortez et ses camarades n’est pas l’accessibilité aux positions d’élite, mais une société fonctionnelle pour tout le monde. Certains membres de ce mouvement essaient aussi de renouer les liens avec les syndicats, donnant au socialisme démocratique une conscience de classe analogue à celle des mouvements socialistes d’autrefois. Mais même quand les positions des nouveaux candidats de gauche ne sont pas articulées explicitement en termes de classes, l’insistance sur un égalitarisme «pour les 99 %» traduit le rejet d’un paradigme individualiste et élitiste en faveur d’une nouvelle vision du social.

    De nombreux sondages montrent que les positions des socialistes démocratiques, surtout celles en faveur de la santé universelle et de la gratuité des universités, ont déjà convaincu une majorité de sympathisants du Parti démocrate. Même l’ex-garde du parti - comme Nancy Pelosi, la cheffe des démocrates à la Chambre des représentants, qui a récemment insisté sur le fait que «l’on est capitaliste ici» - a de plus en plus de mal à rejeter publiquement le programme d’Ocasio-Cortez. L’argument que l’on entend le plus souvent aujourd’hui contre le socialisme démocratique ne met pas en question ses idées, mais plutôt son efficacité électorale. La sénatrice démocrate Tammy Duckworth a affirmé en juillet que «l’on ne peut gagner dans le Midwest si l’on se positionne trop à gauche». Jugeant que des Etats clés comme l’Ohio, le Michigan et le Wisconsin se sont révélés très conservateurs en votant pour Trump en 2016 (l’Etat que représente Duckworth, l’Illinois, est pourtant solidement démocrate malgré sa présence dans le Midwest), de nombreux démocrates appellent à la modération afin de les regagner.

    Ici, l’on voit qu’à l’égard de ses rivaux centristes, le mouvement du socialisme démocratique n’est pas seulement basé sur une nouvelle vision du social, mais aussi de la démocratie. Les présidents Clinton et Obama ont depuis longtemps appelé au compromis et au dialogue «bipartisan» avec la droite. Toute une génération de bien-pensants de la politique américaine a cru que, pour gagner une élection et pour rester légitime une fois au pouvoir, il fallait trouver une voie centriste entre les deux extrêmes partisans. Les socialistes démocratiques, largement de jeunes Américains nés à partir des années 80, ont vu au cours de leur vie politique que cette logique a toujours plus convaincu à gauche qu’à droite, que les mains tendues au Parti républicain par la gauche modérée sont presque toujours refusées. La droite ne recherche pas le compromis, mais plutôt à satisfaire sa propre base électorale - en ceci, Trump ne fait rien d’autre qu’imiter ce que les dirigeants du Parti républicain avaient découvert avec Newt Gingrich au cours des années 90. Les militants du socialisme démocratique veulent un parti de gauche qui, comme la droite, promeut un agenda qui correspond à ses valeurs sans apologie (mais qui le fait sans recours aux donations massives des grandes entreprises et de Wall Street dont bénéficient actuellement les deux partis).

    Cet aspect démocratique du socialisme démocratique est essentiel, car même si les critiques d’Ocasio-Cortez ou de Sanders ont raison de souligner qu’il manque des militants d’extrême gauche hors des grandes villes des deux côtes, il est certain que les Américains ont très envie d’un système qui prenne en compte leurs désirs politiques. Le pari de cette nouvelle gauche est le suivant : pour renouer avec la démocratie, les Américains, et le Parti démocrate surtout, devront expérimenter le socialisme.

    Jacob Hamburger Journaliste et éditeur du blog franco-américain sur la démocratie contemporaine «Tocqueville 21»
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