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Puisque l’on vous dit d’être heureux au travail !

Publié le par dans sécurité et santé au travail

Comment nous avons pu passer d’une nécessaire reconnaissance de la souffrance et la pénibilité au travail à la promesse du bonheur au travail ? Caroline Acs, Directrice Générale des Editions Tissot a enquêté...

Elle ne figure (encore ?) dans aucun contrat de travail ou règlement intérieur, mais l’injonction au bonheur vise désormais le cadre professionnel. Cela commence à dater d’ailleurs. La formule choc du « bonheur au travail » a connu son heure de gloire en 2015 dans le documentaire d’Arte du même nom. A l’heure où les modes se succèdent à une vitesse vertigineuse, force est de constater que 3 ans plus tard, cette formule est encore utilisée et a même fait des émules.

Sceptique, mais ouverte d’esprit et n’écoutant que mon courage, je suis sortie de cette torpeur estivale pour essayer de comprendre comment nous avons pu passer d’une nécessaire reconnaissance de la souffrance et la pénibilité au travail à la promesse du bonheur au travail, comme ça, directement.

Enquête…

Comment créer les conditions du bonheur au travail ?

Rien de tel que des retours d’expérience pour répondre à cette question. Je m’attendais à quelque chose de très compliqué, proche de la psychologie ou de nécessaires chamboulements organisationnels… pas du tout ! Les actions possibles n’ont de limite que la créativité : nommer un responsable du bonheur, un Chief Happiness Officer, (qui n’est pas un RH, allez savoir pourquoi…), mettre à disposition des corbeilles de fruits, laisser les collaborateurs qui le souhaitent amener Médor au bureau, aménager des plages de sieste ou des massages…

D’accord donc des fruits, des chiens, des papouilles, une personne pour organiser tout ça… le bonheur c’est finalement assez simple ! Et, cerise sur la gâteau, en plus d’avoir des salariés heureux, les entreprises qui ont mis en place ces actions n’hésitent pas à en faire des arguments pour attirer de nouveaux « talents », avides eux aussi de fruits, de papouilles et très attachés à Médor.

Ces entreprises sont visiblement des modèles d’humanisme. Ah non ? Le bonheur a quoi ? un ROI ?? Décidément, je vais de surprise en surprise : Des chiffres incroyables (et invérifiables !) prétendent apporter la preuve de l’efficacité du bonheur au travail : il génèrerait 6 fois moins d’absentéisme et 30% de productivité supplémentaire !

Mieux, on a même mesuré les domaines d’activité, les tailles d’entreprise ou les fonctions les plus susceptibles de le garantir : si vous avez entre 18 et 34 ans, que vous êtes depuis moins d’un an cadre supérieur au marketing d’une entreprise de 100 à 250 personnes, alors vous êtes le plus heureux du monde ! (1)

Est-ce à dire que les quadragénaires de la finance ou les quinquagénaires de la distribution doivent abandonner tout espoir d’être heureux au travail ?

C’en est trop pour moi… Aucun doute possible ne subsiste : le « bonheur au travail » est une fumisterie.

Non seulement le bonheur ne se décrète pas, mais confier son bonheur - cet état on ne peut plus personnel et subjectif - à l’entreprise n’est ni réaliste, ni souhaitable.

Nous sommes tout simplement en train de nous égarer.

Le bonheur repose sur un épanouissement qui, fort heureusement, dépasse largement le cadre professionnel. Le travail peut y contribuer car il n’est pas forcément inutile de rappeler qu’il présente quelques vertus (un salaire, des relations humaines, un lien social, un rôle important dans l’image de soi…) mais non, le travail seul ne peut pas rendre heureux (curieux de rappeler une telle évidence…).

Et si plutôt que de viser le « bonheur au travail », on se concentrait sur les missions qui relèvent réellement de la responsabilité et du pouvoir d’action de l’entreprise : la qualité de vie au travail ? Moins spectaculaire que la corbeille de fruits ou les massages, je vous l’accorde, la QVT repose sur le bon sens avant tout, et se traduit par des actions de fond : veiller aux conditions de travail, insuffler la bienveillance, limiter le stress, respecter l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle….

Prenons le « bonheur au travail » pour ce qu’il est : une formule choc, mais en aucun cas un objectif d’entreprise car, à promettre le bonheur nous allons récolter du désengagement et de la frustration.

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(1) Etude Robert Half menée auprès de 24 000 salariés dans huit pays (Australie, Belgique, Canada, France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni et États-Unis) au dernier trimestre 2016.